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La psycho
dans Signes & sens
Guérir, est-ce valoriser l’Autre ? |
Quelques témoignages...
Avant de traiter la proposition « Guérir c'est valoriser l'autre », je souhaiterais dire à bâton rompu ce qui m'habite... Actuellement, grand-mère de cinq petits enfants « valorisés inconditionnellement », je suis mariée depuis trente cinq ans au même autre.
Voici l'occasion de me présenter puisqu'il s'agit-là de disserter du « Moi ». Aînée d 'une famille d'agriculteurs lorrains, née dans une ferme isolée, expulsée pour cause de guerre, ballottée, je n'ai connu l'école qu'à sept ans. À travers prés, tous les matins je fonçais au plus court. Les étapes et arrêts étaient les passages aux fils des clôtures de parcelles.
Au village, ma voisine de pupitre m'a dit « On serait cousines ». C'était faire connaissance avec enthousiasme : devenir proche, être valorisée. Guérir de la solitude ? C'était l'apprentissage de bonheurs, en partageant : valorisée par l'autre.
Depuis, l'un des fils, Antoine, s'est tué et je suis en deuil. Mon drame accentue et pourrit la vie. Le dicton du « Moi », médité à chaud, me dit combien la douleur me fait entrer dans une nouvelle étape du moi.
Cette disparition tragique de mon fils m'a fait sentir que la paix revient si je reconnais la valeur de son acte. Quand, malgré les apparences, son choix est reconnu, ça lui donne de la valeur.
Ainsi, valorisant l'autre, j'arrête de me mettre à sa place ou d'imaginer des solutions qui ne sont plus à l'ordre du jour. Donner du prix à tout autre, c'est être dans le coup, intéressée (non bouffée), stimulée, interpellée, vivante.
Pourtant, alors que j'ai peint avant le drame, je ne me permets pas de faire maintenant de création. Pour créer, il me faut une raison : un appel, comme celui du « Journal de la Psychanalyse »...
J. Peignier
Guérir suppose qu'on est donc malade ! Qu'est-ce qu'être malade ?
On peut être malade physiquement, psychiquement, bien souvent les deux vont de pair. Être malade est l'expression d'un sentiment de danger : j'ai une peur inconsciente qui provoque un mécanisme de défense. J'entre alors dans une relation de moi à moi-même.
Je suis malade d'un besoin que je ne connais pas. Je ne peux faire confiance à l'Autre. Je me replie sur moi-même dans une tentative d'auto-satisfaction qui échoue partiellement. J'évite la souffrance morale. Je souffre physiquement, souffrance qui peut être tellement insupportable que je ne peux vivre avec. Force est alors de me poser la question de la signification du symptôme. Question très difficile puisque le symptôme vient à la place d'un manque de mentalisation et par là-même, il y a impossibilité de verbalisation. Je peux décrire mon symptôme mais je n'ai pas de prise sur lui. Il me domine, je ne le comprends pas, il me déroute.
Être malade veut donc dire : être isolé, être replié sur soi, être dans la négation (inconsciente) du besoin de l'Autre, être dans l'impossibilité de faire confiance, de s'ouvrir, de s'abandonner car l'Autre est un danger. Être malade signifie une régression à une situation infantile de dépendance (du bon vouloir de l'Autre). J'ai la connaissance inconsciente que l'Autre n'est pas capable de me donner ce dont j'ai besoin. Mais je ne me résigne pas, je me bats, je ne veux pas être perdant, donc je lutte, je me fabrique un Autre en moi que j'agresse à cause d'une trop grande frustration. L'Autre m'a rendu muet, m'a décontenancé. Je ne peux être dans une relation duelle qu'à l'intérieur de moi avec tous les désordres que cela occasionne... L'Autre ne peut accepter mes sentiments, mes émotions. Je les bloque en moi.
Petit à petit, par des interventions appropriées, le thérapeute remet en cause un système tenace car installé depuis longue date. Des questions de sa part ouvrent à nouveau les portes, des affirmations rassurent. Je prends alors conscience de ce que j'ai dû faire taire en moi par peur de ne plus être aimée... Petit à petit, le thérapeute invite à la confiance, à l'ouverture, à s'exprimer. C'est tentant ! Est-ce possible ? C'est merveilleux, mais est-ce possible de ne plus être dans un transfert négatif lorsqu'un parent a été si défaillant, si traumatisant ? J'ai peur qu'il ne soit pas, lui non plus, à la hauteur, qu'il se sente agressé et m'agresse en retour, me rejette, me haïsse.
Il lui faudra beaucoup de patience pour me remettre en confiance, pour qu'il devienne un bon objet (intégrable). Mais un bon objet n'est pas parfait. Il a ses limites et les limites sont autant d'occasions de régression pour quelqu'un qui a vécu une expérience « limite ».
Accepter les limites de l'Autre signifie reconnaître l'Autre, accepter la séparation, l'autonomie. À partir de là, je peux négocier avec l'Autre, j'entre dans une relation. Je ne suis plus dans la dépendance. Je peux apprendre à formuler la demande, clairement, avec des mots. Je crois en l'Autre. Je reconnais l'Autre comme pouvant me satisfaire, tout en acceptant qu'il ne peut me combler. L'Autre n'est pas tout mais n'est pas nul, pas rien. L'Autre n'est pas une mauvaise mère. L'Autre peut me nourrir.
Être en bonne santé, psychologiquement et physiquement, suppose avoir été autorisé à être soi-même, autorisé à exister. En effet, nul ne peut se construire seul. On se construit grâce aux images qu'on nous renvoie. L'image, pour être positive, a besoin d'être nourrie de valorisation, de confiance, de liberté, de gratuité. Que ces conditions viennent à manquer ou soient transformées en leur contraire : dévalorisation, suspicion, étouffement, l'image de soi est déformée et l'on devient plus ou moins malade selon la dose de nocivité.
Pour guérir, il faut reconnaître ses besoins, accepter le rôle de l'Autre et le passage incontournable d'une relation de dépendance. Pour un enfant qui a des parents « relativement bons », la dépendance n'est pas perçue comme quelque chose d'entravant ou de douloureux mais, au contraire, comme quelque chose de bon et de sécurisant. D'ailleurs, il ne se pose même pas la question. C'est dans cette dépendance qu'il va acquérir sa « sécurité de base » affective. Par contre, si la dépendance est l'occasion d'un abus de pouvoir de la part des parents, cette expérience de la dépendance va être vécue comme plus ou moins dangereuse (selon le degré d'abus) et ce sentiment de danger viendra s'interposer entre lui et l'Autre, empêchant de relations avec Autrui ou toute relation. L'Autre sera celui dont je dois me méfier. Je ne peux compter sur lui, je dois me débrouiller seul, je dois m'auto-suffire, vivre en autarcie.
Si je prends conscience de ce que j'ai mal vécu dans le passé, de ce qui m'a manqué, comme de ce que j'ai reçu que je n'aurais pas dû recevoir, je prends alors conscience de mes besoins et ils passent par une expérience inaugurale de reconnaissance de l'Autre à qui je prête donc autorité pour cela : l'Autre a, à mes yeux, une valeur telle qu'être reconnue par lui me permettra de me reconnaître moi-même.
L'Autre est une « référence ». Il est « supposé savoir » ce que je ne sais pas et surtout, j'ai besoin de son amour pour que ma vie prenne un sens. L'Autre a ce que je n'ai pas (acceptation de la castration). Je reconnais ma Non-Toute-Puissance qui me libère et me rend, paradoxalement, ma puissance.
Je ne peux exister sans le regard de l'Autre, sans la compréhension de l'Autre, l'approbation de l'Autre, l'amour de l'Autre, la permission de vivre de l'Autre.
Élisabeth Bocquet-Pierrard
Ce grand Autre là dont vous parlez, est-ce ce grand Autre qui est une notion lacanienne ?
Dans ce cas-là et excluant donc une faute de caractère typographique, il nous est nécessaire de le remplacer dans son contexte qui est : à deux, nous sommes trois.
Cette tierce personne est déterminante par son étrangeté. Cette structure langagière fait sortir l'inconscient de son trou. Dans le cas où elle se manifeste ladite parole, cela passera par le goût de chacun(e) de dire des choses simples, en son nom propre, de parler par affects, intensités, expériences, expérimentations, de choses sues ou non et cela fera sa caractéristique. Il est curieux de constater que ce n'est pas du tout au moment où l'on se prend pour soi, ou que son moi émerge à travers la personne, l'objet, le sujet, qu'on parle en son nom. Le « je pense, donc je suis » de Descartes pourra devenir le « je panse, donc j'existe ».
On n'acquiert un véritable nom propre qu'à l'issue du plus sévère exercice de dépersonnalisation et à l'ouverture des multiplicités qui le parcourent. Déployer le lieu du déploiement du dire ; par empathie, appuyons-nous sur le tableau de Dali qui illustre bien, par sa peinture, le manque de consistance de l'inconscient. Peindre ou écouter ce nouvel espace psychique, c'est le déchiffrer dans un rapport duel, façon « Montres molles ». Structuré comme un langage, par le lapsus, le mot d'esprit, le rêve, il s'expose à une signification. Si quelqu'un vous dit « Je souffre pour vous écrire », au lieu de « je m'ouvre (l'esprit) », l'écart entre les deux posera question en termes de castration, résurgence. Aussi bien par le passé enfoui au plus profond, qu'en surface, gît la perspective du grand A. L'aviver, l'expliquer pour se l'approprier, voilà le principe de la réalité mis à l'épreuve de celui du principe de plaisir, de la mise en valeur de la friche en culture. Donc il n'y a pas d'Autre de l'autre, dixit Jacques-Marie Lacan ou alors c'est devenir une référence au bout du voyage.
Reprenons Nietszche : « L'amour est sorti de cette haine, épanoui, une couronne triomphante qui s'élargit sous les chauds rayons d'un soleil de pureté sous le signe de la lumière et du sublime, avec les buts identiques : victoire, conquête, séduction ».
Au coupable Dionysos-Apollon, on se sent attiré par Dionysos qui porte Ariane au ciel, couronnée par les pierreries que sont les étoiles.
Que guérir soit un coup de dés de la terre au ciel. L'aïon qui joue au palet : l'innocence. Nous sommes tous des mauvais joueurs avec notre déplorable manie d'accuser. Le fameux « C'est pas moi, c'est l'autre ou l'Autre », ne serait-ce pas l'effet zéro d'une séparation qui fait sens pour le p'tit d'Homme ?
Lionel Blettery & Muriel Guérardi
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