Amour filial, amour parental... L'amour parfois peut être confus et sa demande imperceptible ou mal comprise. De l'enfant sage à l'enfant turbulent, il n'y a probablement toujours qu'une seule et même espérance : être aimé, regardé, reconnu, admiré... Certains sont des insatiables, des boulimiques de l'amour, toujours en recherche de quelques mots, de quelques gestes tendres... Pas toujours facile pour le parent de décrypter ce langage, surtout lorsque la demande se traduit par de la violence, de la colère, de la jalousie ou de l'agressivité. Chez l'Homme, tout est signifiant : les attitudes, les comportements ont un sens, ils font partie d'un langage symbolique.
Par le cri, notamment, le petit d'Homme va demander : il nomme son insatisfaction à l'intention d'un autre, la mère. Non seulement le cri est une demande biologique mais il manifeste une dépendance à l'égard de son désir. L'objet signifié dans la demande devient le signifiant d'autre chose. La demande appelle autre chose que la satisfaction, elle est demande d'amour. Ainsi, en demandant le sein, l'enfant demande à être aimé. Cette demande a déjà une structure de langage. Ce besoin d'amour, qui s'étaye sur un besoin d'auto-conservation, prend alors toute sa force et annule le besoin premier : aucun objet de besoin ne saurait satisfaire le désir d'être aimé. Aucun objet ne peut remplacer et satisfaire cette insatiabilité.
Tout se complique d'avantage encore car l'enfant est pour ses parents un sujet sur lequel ils projettent leur narcissisme : le bébé est comblé d'amour et de sollicitude mais aussi d'investissements libidinaux... Lorsque l'enfant découvre que la mère ne détient pas ce qu'il espère, c'est-à-dire la satisfaction complète qu'il attend et revendique, il subit un état de frustration qui conduit, certes avec difficulté, au renoncement. Lacan illustre cet état difficile de la façon suivante : « Je serai aliéné parce que je me chercherai dans les objets, alors que je ne suis aucun moi et aucun objet non plus ». Il reste toutefois un idéal, celui de l'individu qui se désire lui-même ; c'est le choix d'objet narcissique dont parlait Freud.
Le sens de sa vie
La grande dépendance de l'enfant à la mère dans les premiers mois de son existence conditionnera l'individu dans sa vie affective. Pas évident de « défusionner » lorsque l'on a connu la symbiose ! Ainsi, certains enfants sont en demande constante de preuves d'amour et de mots apaisants. Ils ressentent un besoin permanent d'être rassurés, de se sentir en sécurité. Ils pistent, sont à l'affût des sentiments des parents. Mais peuvent-ils véritablement être rassasiés ? Parfois, la seule présence du parent suffit à sécuriser l'enfant, si celle-ci est de qualité et si l'enfant n'a pas une demande démesurée. Tout dépend du caractère anxieux de l'enfant et de sa capacité à avoir introjecté la sécurité. Bien souvent, il peut se retrouver dans un conflit dans la mesure où il grandit et veut s'affirmer, s'individuer, s'autonomiser car cela fait partie de son développement. Il cherche à se défendre de son impuissance et de son appréhension face au monde adulte. Mais son indépendance n'est que relative et il le sait car il a un besoin fondamental du regard parental
bienveillant. Or, ce regard est empreint d'ambivalence ; bien des projections engendrent un processus pathologique et fabriquent du mimétisme, l'enfant se conformant à l'idéal parental et non à ses propres désirs. Valoriser son narcissisme sans y mettre de projections est un acte d'amour qui défusionne et prépare l'envol de l'enfant.
Chez le petit d'Homme, les demandes incessantes n'ont pas pour but d'obtenir les objets qu'il réclame mais sont donc le signe de l'amour. Quelle est la mère qui n'a jamais été exaspérée par le nombre de « maman » prononcé dans une seule journée ? Quelle mère encore n'a jamais entendu son enfant lui dire : « Je ne t'aime plus » ? Sans compter les acrobaties parfois périlleuses destinées à nous épater ou les caprices inconsidérés... Mais l'objet est, de toute façon, inadéquat : aucun don d'objet, aucun réconfort ne pourra amener à la satisfaction. Nous l'avons compris, la relation de la mère avec son nourrisson est essentielle et le regard que celle-ci va lui porter, tout au long de ses premières années, va construire son narcissisme. Comme l'enfant va s'identifier à cet « objet d'amour », les yeux de la mère vont être un miroir, une surface dans laquelle il va pouvoir s'apercevoir. Il va guetter la reconnaissance ; s'il se sait aimé et reconnu, il pourra dès lors mieux s'aimer ; cela l'aidera à s'accepter plus facilement, puis à se socialiser. D'ailleurs, le cri du nourrisson, simple expression d'insatisfaction ou de besoin, devient appel et demande. Tout son être crie la demande d'amour, d'autant plus que le fantasme de ne pas être aimé l’habite parfois. Ce sentiment est lié à une peur de ne pouvoir être aimé, de ne pas être « aimable ». Cet état de ne pas être digne de recevoir l'amour peut engendrer de la culpabilité qui viendra bloquer plus tard le développement affectif de l'enfant. D'où l'importance de le valoriser afin de le rassurer dans la construction de son propre processus d'auto-valorisation. Néanmoins, la mère qui ne peut répondre immédiatement à sa demande, parce qu'occupée à d'autres tâches, si elle le frustre incontestablement, l'inscrit aussi inconsciemment, à travers l'attente, dans la réalité. Rappelons-nous que le désir est vecteur de vie puisqu'il ancre l'individu dans le futur, c'est-à-dire dans son devenir.
Le rôle des parents
L'amour parental a évolué au cours du siècle dernier. L'enfant est respecté dans son développement : il n'est plus « dressé » selon une morale psychorigide. Il est une personne à part entière, avec ses désirs, ses émotions. Winnicott s'est vivement intéressé au rôle déterminant de la mère quant à l'évolution harmonieuse de son enfant : sécurité et soutien sont des éléments fondateurs indispensables à son existence. Pour lui, «l'enfant doit se développer selon son propre rythme afin que ses capacités soient mises en valeur».
Cependant, une dérive semble s'accentuer aujourd'hui : plus que jamais, pour certains, l'enfant est devenu un « bien rare et précieux », un représentant de l'idéal de perfection des parents. Ceux-ci projettent sur lui tous leurs désirs et leurs fantasmes, leurs faiblesses et leurs manques, ainsi que toute l'histoire transgénérationnelle. Cet enfant tant attendu, enfant-roi, est alors intouchable : il n'est ni soumis à autorité, ni à limites ! Difficile alors plus tard d'aimer « correctement » lorsqu'il s'agira, au tour de l'enfant-roi devenu parent, de faire preuve d'autorité. Certains de ceux-là se trouveront devant un dilemme dérangeant. En fait, ils sont bien souvent eux-mêmes en recherche de cet amour archaïque, primitif, symbole du premier attachement à la mère, l'autorité étant un acte d'amour qui renforce la relation. Le « laisser-faire » abandonne l'enfant sans repères à ses pulsions. L'autorité amène de la sécurité. Ainsi, par exemple, lorsque l'enfant commet de petites bêtises ou est victime de blessures sans conséquences, il cherche lui-même l'interdit ou la punition : à travers ce
besoin de punition s'exprime toute la demande implicite d'être aimé, dans tout son être.
Il est aussi des parents qui peuvent assigner leur enfant à une place qui n'est pas la sienne ; ce peut être le cas des familles monoparentales où l'enfant devient seul objet de
jouissance du parent avec lequel il vit ; il n'est qu'un objet de remplacement et c'est d'autant plus dangereux dans la période œdipienne car, comme chacun sait, l'enfant élit le parent du sexe opposé comme conjoint fantasmatique ! Il s'agit alors pour l'adulte de manifester de l'amour sans outrepasser ses fonctions et sans créer de confusion. Il ne faut pas confondre fusion étouffante et épanouissement structurant. Le rôle des géniteurs n'a donc rien de facile ! D'ailleurs, si Freud disait que l'éducation est l'un des métiers « impossibles », avec celui de gouverner, Dolto de compléter pour notre plus grand soulagement, en véhiculant qu'il n'y a pas d'éducation parfaite!
Bénédicte Tahouin