Enfants doués, enfants intellectuellement précoces, talentueux, à haut potentiel, surdoués, prodiges, virtuoses, génies : les termes ne manquent pas pour désigner ceux dont les aptitudes dans certains domaines sont statistiquement exceptionnelles, soit par rapport aux individus du même âge, soit par rapport à l'ensemble de la population. Cependant, ces termes ne recouvrent pas tous la même réalité, ce qui peut induire des malentendus lorsqu'on en parle. La confusion la plus fréquente est de croire qu'on désigne les mêmes individus en utilisant les termes de « précoces » ou de « surdoués ».
Tous ceux qui ont écrit sur le sujet sont obligés de reconnaître qu'il n'existe actuellement pas de terme générique pour désigner ceux qui ont des aptitudes exceptionnelles. Il faut donc commencer par clarifier le vocabulaire pour savoir de qui l'on parle. En fait, il s'avère que cet embarras de vocabulaire est dû à la connotation innéiste de certains de ces termes.
Dans le rapport Delaubier, publié en 2002, on peut lire : Nous ne pouvons donc que formuler trois propositions :
1) - Éviter les termes surdoués et haut potentiel afin de prévenir les polémiques et les débats sur l'inné et l'acquis, ou sur l'égalité des chances.
2) - Accepter provisoirement l'expression « enfant intellectuellement précoce » qui, bien que contestable, en particulier pour qualifier des collégiens ou des lycéens, paraît la moins chargée d'a priori idéologique ; par défaut, nous utiliserons cette expression dans la suite de ce rapport.
3) - Poursuivre la recherche pour choisir une expression susceptible de traduire, d'une manière objective et ouverte, la situation d'un élève manifestant des aptitudes particulières, qu'il s'agisse ou non d'aptitudes identifiées par le quotient intellectuel.
Surdoué ?
L'expression « enfant intellectuellement précoce », prise au sens littéral, ne désigne que ceux dont les aptitudes intellectuelles se sont développées plus tôt que chez les autres. Cependant, elle ne peut convenir à ceux qui sont sortis de l'enfance et elle est restreinte aux aptitudes intellectuelles (idées, jugement, raisonnement abstrait, par opposition aux sentiments ou au domaine matériel) et ne convient donc pas pour définir ceux dont les aptitudes s'expriment dans d'autres domaines que l'intellect.
À propos du terme
surdoué, on peut reprendre l'observation de Rémy Chauvin pour qui le mot
surdoué est mal choisi car il implique l'idée de don, c'est-à-dire d'hérédité... Il serait sans doute préférable de trouver un mot plus approprié et qui n'introduise pas une hypothèse dès son énonciation. En effet, dans
surdoué, il y a
doué qui, de par son étymologie, attribue l'origine d'une aptitude exceptionnelle à un
don de la nature, et en fait donc un caractère inné. Ceci a été remis en cause par les études scientifiques qui ont montré l'influence de l'environnement dans le développement de toutes les aptitudes, fussent-elles exceptionnelles. Le
doué serait donc celui qui possède un (ou plusieurs)
don considéré comme exceptionnel. Le
surdoué ne s'en différencierait que par une exceptionnalité encore plus grande.
Par ailleurs, comme l'écrit D-J Duché, « Il faut distinguer les enfants dits
surdoués des enfants très intelligents. Les enfants dits
surdoués doivent être également distingués des enfants dits
précoces qui, tôt ou tard, malgré un début de scolarité brillant, vont rejoindre leurs camarades. Pour pouvoir parler de surdoués, il fallait que ceux-ci aient des capacités intellectuelles supérieures et très diversifiées ». À ces deux termes les plus couramment utilisés, il faut ajouter celui de
talentueux, qui désigne ceux dont le niveau d'exécution est exceptionnel dans un domaine particulier, et celui de
virtuose qui définit ceux qui sont exceptionnellement talentueux. Le terme
prodige désigne ceux dont certaines particularités paraissent être en contradiction avec les lois de la nature et qui ne se distinguent donc que par leur exceptionnalité, quelle qu'elle soit. Il existe des
calculateurs prodiges, par ailleurs déficients intellectuels, qu'on appelait autrefois des
idiots savants, mais on peut être, comme le dit Mme de Staël,
un prodige de sottise ou, pour Néron,
un prodige de cruauté. Quant au
génie, qui désigne à la fois l'individu et ses aptitudes, il exprime la puissance créatrice servie par des qualités exceptionnelles de mise en œuvre. On peut donc dire qu'il est une somme des qualités qui recouvrent les autres termes, objectivant une exceptionnalité statistique à l'échelle de l'histoire humaine. Reste l'expression
haut potentiel qui laisse supposer que l'individu ainsi désigné possède des aptitudes latentes non exprimées, ce qui sous-entend qu'on a pu les mesurer sans qu'on ait constaté leurs effets. Le terme est intéressant car il suppose qu'une aptitude peut ne pas se manifester si elle n'est pas exploitée alors même qu'on peut prouver son existence. Ceci étant, l'adjectif
haut donne une connotation de
supériorité qui vise à situer l'individu dans une échelle de valeurs, échelle de valeurs qui peut évidemment être contestée. Il conviendrait donc de remplacer l'expression
à haut potentiel par
à potentiel particulier qui n'implique pas une estimation de valeur.
On peut maintenant faire une synthèse de tout cela en disant que :
- L'enfant
à potentiel particulier est celui dont on a détecté des aptitudes particulières, telles qu'un Q.I élevé, sans qu'elles se manifestent par une réussite exceptionnelle par rapport aux autres enfants de la même tranche d'âge.
- L'enfant
précoce (intellectuellement ou autrement) est
en avance sur ceux de son âge mais peut rejoindre ensuite la norme : on peut donc trouver, dans cette catégorie, les enfants qui ont un développement intellectuel exceptionnel (enfant intellectuellement précoce) ou une avance dans un autre domaine, scolaire par exemple, sans qu'on puisse pour autant préjuger leur avenir.
- Comme nous l'avons vu, le terme
surdoué est beaucoup plus récent. C'est un choix par
l'absurde pour une catégorie que l'on n'avait pas encore recensée, entre les
doués (enfants) d'une part et les
génies (adultes) d'autre part. Le
surdoué serait
exceptionnellement doué sans pour autant être un génie. Comment est donc apparue cette catégorie ? Il semblerait que ce soit toujours au sein du système éducatif et que cela ait commencé aux Etats-Unis. Ce phénomène peut s'expliquer par l'extrême décentralisation du système éducatif américain qui donne aux acteurs locaux, donc aux parents, un pouvoir de décision énorme sur le contenu et l'organisation de la scolarité de leurs enfants. Il n'est pas étonnant, dans ce contexte, que les exigences de certains d'entre eux puissent être prises en compte avec une facilité inenvisageable dans d'autres pays, européens en particulier. La première école pour surdoués est apparue en 1901 dans le Massachussetts. Il s'avère tout simplement qu'aux Etats-Unis les parents, dont les enfants avaient des capacités d'apprentissage supérieures à la moyenne, ont exigé très tôt que leurs enfants reçoivent un enseignement à la hauteur de leurs possibilités. Ce n'est que par la suite que s'est posé le problème des critères de sélection de ces enfants pour leur admission dans des programmes spéciaux, devenus très courants dans tous les Etats américains. Ainsi peut-on dire que le terme de
surdoué est issu, indirectement certes en français, de l'apparition d'une catégorie d'élèves pour lesquels l'enseignement
de masse n'apportait pas de réponse satisfaisante. Les définitions du surdoué dans les textes officiels américains ne laissent aucun doute sur ce point. Cette constatation est très importante car les débats sur le bien-fondé de la catégorisation de ces enfants sont venus bien après que celle-ci se soit installée dans les faits. Les études qui ont été faites ont souvent eu pour but de valider ou de contrecarrer cette approche pragmatique du problème, après qu'elle se fut imposée sur le terrain. Concrètement, le
surdoué est celui dont l'avance se manifeste par une réussite exceptionnelle dans un ou plusieurs domaines. Pour reprendre les idées de Joseph Renzulli, dans sa
conception des trois anneaux du surdouement, pour qu'il y ait surdouement, il faut que coexistent chez l'individu trois caractéristiques : une intelligence exceptionnelle, une créativité exceptionnelle et une motivation exceptionnelle. Moyennant quoi se manifeste une réussite exceptionnelle, qui n'apparaît pas forcément dans d'autres catégories comme celles des
haut potentiel ou des
enfants de QI élevé qui, eux, peuvent par exemple être en échec scolaire. Il existe une catégorie transversale à ces trois premières, celle des
enfants de Q.I élevé, le niveau exceptionnel du QI étant une caractéristique nécessaire pour faire partie des
enfants à potentiel particulier, des
enfants intellectuellement précoces ou des
surdoués mais pas suffisante à elle seule pour appartenir aux deux dernières catégories.
On peut classer dans d'autres catégories le
talentueux et le
virtuose dont l'exceptionnalité ne se manifeste que dans l'exécution, sans qu'un QI élevé soit nécessaire, même s'il peut coexister. Il ressort de cela que l'on peut être à
haut potentiel sans être
précoce, ou être
précoce sans pour autant être
surdoué. Dans ces deux derniers cas se manifeste une avance que l'on ne trouve pas chez l'enfant
à potentiel particulier. Rien ne laisse présager que le
précoce devienne un jour un
surdoué, alors qu'il est tout à fait possible que le
surdoué soit un jour reconnu comme un
génie. Pour reconnaître la place à laquelle toutes ces sous-catégories d'enfants ont droit au sein du système scolaire, et que le rapport Delaubier qualifie d'«élèves manifestant des aptitudes particulières», il existe un terme approprié, celui
d'enfants à besoins éducatifs particuliers, que nombre de pays et d'instances internationales ont reconnus depuis des années et qui englobe tous ceux auxquels l'enseignement de masse n'est pas adapté. L'intérêt de cette appellation est qu'elle légitime la prise en charge de cette catégorie d'élèves, au sein de l'Education Nationale, par les services de l'AIS (Adaptation et Intégration Scolaire, qu'on appelait autrefois Enseignement Spécialisé), avec tout ce que cela implique, entre autres en moyens de formation des enseignants. Pour le reste, et
a fortiori dès qu'on sort de la sphère scolaire, il n'existe pas de terme générique que l'on puisse utiliser pour l'ensemble de ces enfants, puisque les catégories que nous avons définies ne s'emboîtent pas les unes dans les autres mais se recoupent sur certains aspects seulement. On pourrait seulement parler d'
enfants à profil particulier, à moins que, comme l'écrit Rémy Chauvin, on les inclut, à l'instar des Américains, dans la catégorie des
enfants exceptionnels qui regroupe tous ceux qui sortent de la norme statistique de quelque manière que ce soit. On pourra toujours y mettre des sous-catégories d'enfants
particulièrement intelligents, exceptionnellement intelligents (sans avoir besoin, pour ceux que cela froisse, de se référer au Q.I),
exceptionnellement créatifs, exceptionnellement talentueux et, pour se référer à la catégorisation de Joseph Renzulli, pourquoi pas
d'enfants exceptionnellement motivés ?
Jacques Bert