Le destin de la femme est triple : un destin d’être humain, d’individu et de femme. Elisabeth Badinter, dans son ouvrage « L’Amour en plus » aux Éditions Flammarion, exprime que l’amour maternel n’est qu’un sentiment… Il peut exister ou ne pas exister ; être ou disparaître... L’amour maternel ne va pas de soi. Il est « en plus »… Mais qu’expérimente donc la femme au cœur de la maternité ?
Dans le chapitre 2 de la Genèse, au commencement de l’humanité, la femme est créée comme le vis-à-vis de l’homme par la parole. Être femme, c’est laisser naître la parole de l’intérieur, une parole juste, touchée par les événements extérieurs pour orienter l’homme dans sa vie. Etre mère, c’est laisser naître un enfant en soi afin d’aider l’humanité dans l’histoire. Le midrash, méthode d'analyse et d'interprétation de la Bible par les rabbins, raconte que le serpent choisit pour tenter Êve le moment qui suit l’union conjugale d’Adam et Êve. Un germe de vie a été déposé dans son sein par Adam. L’homme choisit ce moment pour s’absenter dans le sommeil ou le travail. Êve, délaissée, face à la responsabilité de la vie qu’elle porte, est vulnérable. Devant cette incertitude quant à l’avenir, l’angoisse la submerge.
La mère parfaite
La surenchère médiatique survalorise la grossesse, l’enfant, la mère épanouie. De leur côté, les couples ont le désir d’être de bons parents. Pourtant, la future mère peut être inconsciemment dupée par la rencontre possible avec son enfant imaginaire avant qu’il ne soit là. L’obligation du bébé parfait semble peser de plus en plus sur la femme enceinte, favorisée par les performances actuelles des examens périnataux pour la surveillance du développement de l’embryon. Un bébé parfait qui renvoie à la notion de mère parfaite. Illusion trompeuse ! La femme s’inscrit dans une filiation, fille de sa mère et de son père, eux-mêmes fils de leurs parents respectifs, avec toujours ce décalage de génération qui pose problème. La future maman ne peut pas revivre la maternité de sa mère, et encore moins de sa grand-mère. Pour la psychanalyse, son statut de femme dans la famille lui assène une mission : la transmission du symptôme familial. Alors, lorsque l’enfant prend naissance dans son ventre, l’angoisse survient, consciente ou pas, masquée en totalité ou partiellement par des sentiments positifs de joie ou des sentiments négatifs de désespoir. La fidélité familiale exige la répétition. La société commande la perfection. Cette opposition est-elle conciliable et la mère peut-elle réellement se détacher de son enfant pour respecter la liberté de ce nouvel être ?
La passion maternelle
Pendant les neuf mois de grossesse, la femme se concentre sur son corps, sur ses émotions. Dans son ventre, dans un corps à corps intime se développe la vie. Mélange d’émerveillement, de sérénité et d’angoisse. Difficile de penser que cette chair en elle ne lui appartient pas ! Elle sait au conscient que cet être est autre, avec son destin à lui. Inconsciemment, des sentiments, des pulsions opposées s’animent. Une lutte interne attise les complexes d’infériorité et de supériorité. Donald W. Winnicott, pédiatre et psychanalyste, a passé sa vie à observer ce lien mère-enfant. Selon lui,
pendant la période périnatale, la femme est capable d’atteindre un stade d’hypersensibilité et de s’en remettre ensuite. Cet état organisé pourrait être comparé à un état de repli, tel un épisode schizoïde. Pendant ce temps nécessaire, la femme s’adapte aux tout premiers soins du petit enfant avec délicatesse et sensibilité. Le nourrisson peut alors vivre un sentiment continu d’exister suffisant. Winnicott développe aussi les termes de
la préoccupation maternelle primaire, de la mère ordinaire normalement dévouée, de la mère suffisamment bonne. Il précise
: Si les mères savent ce qu’elles font, elles le font moins bien.
Cela ne s’apprend pas. La mère ne peut donc faire défaut au bébé dans ce premier temps de maternage. Julia Kristeva examine
les ambiguïtés de la passion maternelle clivée entre l’emprise et la sublimation, entre le risque de la folie et le dévouement dans ce lien
amoureux mère-enfant. Parfois, la mère - sous le prétexte de protéger son enfant - le domine et l’inhibe.
Devenir mère
Dès l’accouchement, la femme expulse corporellement son enfant pour lui donner la vie. Instantanément, ce nouveau-né doit alors respirer de manière autonome. Tous les deux vont expérimenter la séparation. La femme devenue mère reçoit la lourde et difficile tâche d’éducatrice, avec une responsabilité illimitée vis-à-vis de son enfant. En ajustant sa réponse à la demande de celui-ci, elle apprend l’humilité. Entre la mère qui respecte l’ordre des choses et l’enfant qui cherche à résister à cette distance, naît une tension pour un travail de dépossession. Mais fort heureusement, la mère parfaite n’a pas lieu d’exister. L’homme, par sa présence, aide la femme excessive, captive dans sa relation à son enfant, à le diriger vers l’extérieur. Dans « Le prophète », Khalil Gibran l’explique à sa mère : Vos enfants ne sont pas vos enfants… Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas…
Brigitte Péridon