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La psycho
dans Signes & sens
La marque s'affiche aujourd'hui comme un nouveau code d'appartenance à un groupe, à une famille mais aussi à une époque. Elle s'expose tel un marquage, une estampille à l'égard d'autrui dans le but de signifier, de faire passer un message, de donner à voir une intention. Signifiante de la relation à l'inconscient, Freud explique qu'elle se sert du « corps comme support de la relation aux autres et au monde »...
Un engouement quasi obsessionnel
Signe d'une reconnaissance sociale, cette distinction permettrait l'affirmation d'une singularité. Pourtant, elle ne s'est jamais autant démocratisée. Désormais, les marques sortent leurs griffes ; elles drainent avec elles un enthousiasme et un engouement quasi obsessionnels, exprimant paradoxalement, à défaut d'une différenciation, un mimétisme notoire à l'autre et à l'image même du produit, porteur d'une idéologie culturelle. En outre, la marque, figure d'un langage non verbal, révèle-t-elle alors une défection du lien social, une perte de repères face à l'émergence d'un individualisme étouffant ou participe-t-elle simplement à un profond désir de communication et de reconnaissance ? La marque est-elle un échange culturel, un passeport social ou l'expression d'un symptôme ?
Le phénomène du logo qui fait intrusion dans nos vies induit une tyrannie du look colportée par les médias, de telle sorte que celui ou celle qui ne succombe pas à l'exhibition de ces dits codes a bien peu d'importance aux yeux des autres. Autrefois utilitaire, doublé d'une fonction symbolique, le vêtement véhiculait le rang social : tissus brodés et raffinés étaient l'apanage des rois et des princes, tandis que les gens du peuple avaient besoin de lins solides et épais pour leur labeur. L'apparence a toujours été manifestation d'une distinction sociale, chaque rang occupé n'empiétant jamais sur un autre. Autrement dit, chacun restant à sa place. Or, la marque n'apparaît plus aujourd'hui comme une définition du rang social mais semble contribuer à la construction de l'identité même au sein du groupe, à l'instar des rites initiatiques des tribus primitives. Pour Freud, il n'y a pas d'identité sans identifications, l'objet contribuant donc à créer l'identité, sorte de médiateur de soi face aux autres. Cependant, le paradoxe de l'identité dans sa définition même est d'être « comme les autres », tout en étant différent : être soi-même nécessite de se différencier après s'être identifié. L’identité se forme à la suite d'une multiplicité d'appartenances à des catégories et à l'incorporation de modèles. Ce processus permet d'aller vers une unicité, une singularité à laquelle chaque être aspire et contre laquelle il lutte car, dès lors qu'il s'identifie (à une ethnie, une mode, une idéologie), il se conforme. Ainsi, ce désir d'être différent est illusoire dans la mesure où il répond au besoin d'intégrer un groupe. Curieux paradoxe.
Signes ostentatoires et rationalisation
La marque est identifiable, repérable ; plus qu'un concept, elle représente une enseigne évoquant un art de vivre, une façon de penser, des références communes. De nos jours, cette pseudo différenciation est en inadéquation avec une réalité familiale et économique ou même esthétique et sème la confusion dans les esprits. L'achat se fonde souvent sur la représentation du produit, non sur les qualités inhérentes à celui-ci. Point de besoin réel mais une rationalisation émise en premier lieu pour justifier l'attirance de ces signes ostentatoires. La qualité ne prime pas toujours ; l'étiquette suffit à combler les acheteurs compulsifs, convaincus que le poinçon sera un déterminant identificatoire nécessaire à leur revalorisation. De fait, le référent culturel cède la place à une uniformisation de masse, à une homogénéisation qui tend à effacer l'identité de l'individu, renforçant l'esprit de caste et donc, la ségrégation sociale, notable chez les adolescents. Comme les marques évoquent une recherche narcissique, il va de soi que ceux qui la dressent comme telle succombent aussi à ce pouvoir sans fin. L'acte de consommer amplifie le fantasme dans la mesure où ces signes distinctifs apparaissent comme support de l'expression de soi à travers lequel s'expriment tous les modes de plaisirs et de jouissance de l'individu. Le consommateur incorpore avec boulimie le sigle, le faisant de la sorte, sien.
Cependant, l'effet compensatoire de ce genre de consumérisme du luxe n'est pas suffisant pour protéger l'individu d'un manque : manque de confiance, complexe d'infériorité, névrose de classe... Il serait illusoire de prétendre sortir de l'obscurité, de l'anonymat, par l'affichage d'un prétendu statut. La marque en son principe exerce alors un contrôle sur autrui ; elle confère un pouvoir, une supériorité, un « plus ». Elle devient une entité. Même si se démarquer revient aujourd'hui, somme toute, à se banaliser, à rentrer dans un moule, on suit le mouvement, comme les moutons de Panurge... Certains se transforment en véritables panneaux publicitaires humains... Or, la consommation de masse exclut la rareté du produit ; sa valeur n'en est que diminuée puisque l'imitation dessert la distinction et l'originalité. L'utilisation du nom comme bannière n'en est pas moins une recherche de repères auxquels se référer car seul l'autre peut conférer l'admission au sein du groupe.
Être n'est plus : il faut montrer, exhiber. Ainsi semblent trôner les nouvelles valeurs de la société, basées sur le culte de l'image. À se vouloir conforme, on cède à la soumission puisque le diktat de l'image domine dans une ère incertaine centrée sur une consommation fugace, changeante, donnant une illusion matérielle. Il serait plus structurant d'envisager que le meilleur signe d'ascension réside plutôt dans le choix de découvrir le réservoir de nos potentialités, miroir véritable de ce que nous sommes vraiment. Pour cela, cependant, il devient incontournable de se détacher du regard des autres. L'unicité de l'être l'exige en ses fondements. À l'individu de faire le pari qu'il existe bel et bien en tant que sujet. Sinon la souffrance perdure. À chacun donc – d'évidence – de se démarquer...
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