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La psycho
dans Signes & sens
Le rôle de la désidéalisation
dans l’affaire Bill Clinton
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L'idéalisation est, selon Freud, « un processus qui concerne l'objet et par lequel celui-ci est agrandi et exalté psychiquement ». Les objets idéalisés par l'enfant concernent, tout d'abord, les parents ; cette idée se forge lors de l'élaboration du Surmoi. Le petit d'Homme, ayant besoin d'amour et de protection, va se « soumettre » à cette idéalisation jusqu'à l'introjecter et se l'approprier sous forme d'un idéal moïque, pour pouvoir ainsi donc garder cet amour et cette protection.
L'idéalisation a pour but la récupération de ce qui a été fantasmé comme du « plus ». La pulsion sexuelle sera certes déviée de sa trajectoire pour être socialisée mais, à l'inverse de la sublimation, qui a pour sens d'harmoniser les pulsions en les socialisant et les humanisant, c'est-à-dire en tenant compte de l'extérieur et de la vie collective, cette pulsion va être alors récupérée à des fins personnelles de toute-puissance narcissique, permettant ainsi de braver et de passer outre les interdits. Cette position autorise alors le sujet à usurper et à prendre la place d'un autre, de cet autre objet idéalisé, à qui seront dérobés les attributs du pouvoir supposé. Toute idéalisation se calque sur l'idéalisation de ceux ou celles qui ont aussi idéalisé ; elle hiérarchise donc la relation à l'autre et empêche, souvent et malheureusement, la réalisation de soi au travers d'un Moi Idéal. Bill Clinton aurait-il, lui aussi, idéalisé un autre Chef d'Etat ? Son histoire se rapproche étrangement de celle du Président Kennedy et de Marilyn Monroe. Mais il est vrai, par ailleurs, que tout ce tapage médiatique et cette désidéalisation, à l'inverse des Kennedy, ont permis, paradoxalement, un dénouement plutôt inattendu...
Une compulsion
Pendant de longs mois, il a été question de Bill et de Monica. Nul besoin d'en rappeler l'histoire et le contexte, leurs seuls prénoms suffisent à situer le tableau. Aujourd'hui, c'est une affaire close ; elle n'intéresse plus personne, à part quelques détracteurs farouches qui s'épuisent à la rappeler sans se rendre compte qu'ils exaspèrent tout le monde. Et, si cette histoire n'a pas ajouté à la gloire de ses protagonistes, elle ne peut plus faire valoir personne. Voici donc quelques réflexions, étayées par le recul nécessaire à l'objectivité. Pendant les faits, il y avait quelque chose de surréaliste dans le déballage de celui alors considéré comme l'homme le plus puissant de la planète, réduit à la seule expression du phallus ! Il y avait également chez Hillary de l'incroyable : une constance dans le soutien apporté au mari adultérin, doublée d'une contenance de tous les instants. Sa carapace moïque a été maintes fois louée mais personne n'a la réponse à la question : comment a-t-elle fait pour endurer tout cela ? Amour sincère et profond, ou calculs savants nourris par l'ambition ?
Les anti-Bill Clinton l'ont vite relégué au rang de renégat, laissant entendre un discours quasi religieux : « Un homme politique doit être exempt de péchés. Quelqu'un qui trompe sa femme ne peut pas être un homme de confiance ». Cette obligation de pureté fait de l'homme un sujet sans faille et sans désir autres que ceux permis par la bonne moralité : c'est un parangon de vertu. Mais cet homme n'existe évidemment pas ou alors c'est un extraterrestre ! Au-delà de cette illusion, on est dans le mythe de l'homme parfait... parfaitement parfait!
Cela ne nous rappellerait-il pas ce petit homme qui adule et béatifie son père ? L'histoire infantile ne se rejoue-t-elle pas aussi dans le rapport avec les hommes politiques (c'est-à-dire avec le pouvoir ) ? Par le jeu du miroir et des identifications, voici ce qui apparaît : Bill Clinton parfaite cible des hommes qui ont peur de leur propre désir, Bill Clinton parfaite cible des femmes « victimes » de leurs maris volages, Bill Clinton parfaite cible de ses adversaires politiques trop heureux de jeter l'anathème sur l'immoralité du personnage, Bill Clinton enfin, parfait crédule qui ergote sur les gestes prouvant qu'il n'y a pas eu tromperie, du moins, pas « jusqu'au bout »... Les grands moments d'actualité nous donnent toujours l'occasion de régler nos comptes indirectement. Et les avis que nous avons sur tel ou tel sujet sont évidemment rarement innocents et procèdent des mêmes facteurs qui conditionnent nos « affinités électives » à telle ou telle personne, à tel ou tel sujet.
Une sublimation
Aux États-Unis, la férocité de Fouquier-Tinville réincarné – le célébrissime Kenneth Starr – a été effroyable. Pourtant, souvenons-nous que ce sont souvent les plus médisants qui ont quelque chose à se reprocher. On se délecte des histoires salaces ou tragiques des autres pour mieux mettre les siennes à distance ou pour égayer sa propre vie qui manque d'intérêt. Sans aucun doute, Clinton a fait preuve d'une grande pusillanimité et a mésestimé ses adversaires en croyant pouvoir mentir sans se faire remarquer. Mais c'est bien son propre mensonge qui a déchaîné les médias ; ceux-ci ont agité la boue, trop contents de mettre à mal le Père de la nation. Les Américains auraient-ils des comptes à régler avec leur rapport à la sexualité ? À coup sûr, les États-Unis, si pudibonds, se cachent derrière un modèle puritain qui leur sert de garde-fou et ils s'en servent pour mieux jouir : cette affaire, ils l'ont investie, décortiquée, argumentée, disséquée ; ils s'en sont repus jusqu'à l'overdose. Pauvre Bill Clinton, instigateur d'une histoire qui lui a échappé et bouffon à ses dépens !
Sans doute, l'ex-Président démocrate s'est-il complètement discrédité en niant sa liaison avec Monica Lewinsky, pour finalement la reconnaître, tout en faisant valoir que ce qui s'est passé « sous le bureau » ne manifestait pas une intention de tromper. Ils ne se seraient pas embrassés, donc il n'y aurait pas eu infidélité ! Ses tentatives de démontrer que l'acte n'a pas été entièrement consommé sont vaines et n'ont dupé personne, et encore moins Hillary ! On imagine Bill Clinton, gamin, planqué dans la cuisine pour manger du chocolat et, pris en flagrant délit par sa mère, répondant : « Mais il en reste ! ». C'est-à-dire en substance : « J'ai pas complètement fauté, tout n'a pas été consommé »... Or, ce qui est reproché ici n'est pas le fait qu'il y ait moins de chocolat mais bien que l'interdit ait été bravé ! Il adopte ce style de défense avec Monica : « Oui, on a couché, mais pas vraiment, un tout petit peu, pas complètement... », comme si mordre au fruit défendu était excusable au regard de ce qui a été mangé !
Quelle est donc la morale de l'histoire ? On peut être un bon Président et un homme à femmes mais, dans l'esprit populaire, les deux ne vont pas ensemble, d'où cette exigence de vertu des grands Hommes ; mais on sait que c'est vœu pieux... La preuve par le contraire nous mènerait à considérer d'autres faits : on peut être un dictateur impitoyable et un père acceptable et même affectueux (comme en témoigne Svetlana Alliluyeva, la fille de Staline)… Ainsi n'y a-t-il guère qu'Hillary Clinton pour tirer profit des frasques sexuelles de son mari ; celle-ci a donné à ce spectacle déshonorant des allures de triomphe en gagnant les élections du Sénat de New York, alors que beaucoup pariaient sur la fin de ce couple...
Anne Soulier
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