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La psycho
dans Signes & sens
L'imposture maraboutique
au pays des tradi-thérapies
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Phénomène de plus en plus répandu, le maraboutisme semble, sans distinction, toucher l'ensemble des catégories sociales et notamment les plus fragilisées d'entre elles. Ce serait peut-être faire, un tant soit peu, œuvre de probité que de commencer, déjà, par dénoncer ce fléau insidieux à la lumière de la connaissance psychanalytique. Non pas que nous cherchions à comparer psychanalyse et maraboutisme car toute comparaison ici n'a pas raison d'avoir lieu. L'intention est de mettre en exergue l'objet et la démarche psychanalytique par rapport à l'imposture maraboutique. Il s'agit-là de mettre, humblement, à la disposition des groupes soumis à sa violence, quelques éléments propédeutiques d'analyse et de réflexion, susceptibles de les aider à comprendre et à résister à cette forme insidieuse de manipulation psychique.
Qui donc n'a pas reçu dans sa boîte à lettres l'insistante réclame des nouveaux démiurges s'autoproclamant, sans vergogne, tout-puissants à résoudre toutes sortes de difficultés, qu'elles relèvent de la santé, de l'amour, de l'argent ou de la promotion sociale ? Sans considération aucune, ni pour la science, ni pour la morale, ils sévissent allègrement sur la détresse de leurs victimes, leur portant parfois l'ultime estocade. Et de fait, s'agissant d'un discours quasi mystifiant, de quels critères de vérité ou de fausseté sont susceptibles ces énoncés pour des personnes fragilisées ?
Un mauvais transfert
Pour le comprendre et démasquer ces prétentions supposées, il est nécessaire de déconstruire l'objet même de leur fatuité à la lumière de la psychanalyse. Sachant profiter de certaines propensions humaines à refouler, puis à reléguer ses grandes difficultés de la sphère réelle à la sphère idéo-mythique, et sachant la demande irrépressible et inconsciente de ces patients, le marabout viendrait, illico et sur un mode déictique, s'engouffrer dans cet espace d'attente ; il peut alors suggérer et s'imposer comme intermédiaire incontournable entre le sujet et son objet tant désiré. Mais, diminuée déjà dans ses facultés psycho-cognitives et dépourvue de moyens de résistance, la personne exposée peut, sans coup férir, tomber malencontreusement dans l'escarcelle de l'imposteur ; incapable alors de se donner les moyens de surmonter ses difficultés, de les comprendre et de recourir aux services adaptés d'un psychothérapeute, elle succombera subrepticement à la tentation irrationnelle, allant chercher une compensation jusque dans les plus lointains et les plus obscurs arcanes de sa psyché. En effet, plus le champ de conscience des sujets se trouve limité, plus ils tendent à accorder à leurs propres contenus psychiques, notamment à leurs fantasmes, des caractères d'externalité. Et cependant qu'ils répriment les causes profondes de leurs malaises, ils font advenir inconsciemment la personne même du gourou sur laquelle ils projettent fantasmatiquement, par une sorte de mauvais transfert et dans une dépendance quasi infantile, l'objet de leur désir. Cette faculté chez l'Homme à adhérer bien plus doxologiquement aux dogmes à caractères idéo-mythiques qu'à toute autre forme d'interprétation ou d'explication rationnelles, fournira au marabout l'occasion idéale d'exercer l'arbitraire de ses agissements. Ainsi, à l'aspiration exclusivement pécuniaire du marabout viendra se conjoindre la demande inconsciente de sa victime qui, loin de s'annuler, se renforcera potentiellement dans une sorte de péréquation névrotique de ses désirs opposés.
Contribuer au recul de l'obscurantisme
En prétendant résoudre, magiquement, les difficultés de sa victime, le marabout ne fait que l'enfoncer, de facto, dans l'obsession délirante de son désir. Alors que nul ne se doit de prétendre – à moins qu'il ne soit un imposteur – pouvoir faire l'économie de la réalité, le marabout quant à lui, usant et abusant ostensiblement de la crédulité des gens, se saisit sans vergogne de leur malheur pour mieux les y enfermer. Ce mode d'opération, sans argument ni raison plausible, du charlatanisme, devrait-il, sans doute, nous interpeller sur les résistances sociales dont la psychanalyse, elle-même, doit triompher afin de mieux s'implanter et s'enraciner dans les consciences et les pratiques thérapeutiques de nos populations. Ce faisant, la psychanalyse, qui a toutes les propriétés d'une science, cherche avec probité et abnégation à approcher les mécanismes inconscients de la pensée, ne faisant l'économie d'aucun effort, mobilisant des pans de savoirs entiers, afin d'arracher à l'inconscient les soubassements qui le fondent ; elle ramène patiemment et méthodiquement le sujet à la conscience de sa propre réalité. Le maraboutisme, quant à lui, en faisant prendre à ses victimes leur désir pour de la réalité, non sans arrière-pensée d'ailleurs, n'a d'autre objet que de les conforter dans leurs fantasmes pour mieux les extorquer. L'omnipotence dont il se réclame n'est qu'un leurre et un délire parfaits. Pouvoir tout sur tout, nulle science, nulle sagesse au monde ne l'a jamais prétendu. En contrevenant, déontologiquement, aux règles de la morale qu'il cherche à aliéner, le maraboutisme a perdu tout son mythe. La pertinence de l'approche psychanalytique peut davantage contribuer au recul de l'obscurantisme et à la prise de conscience de ses dangers.
Sachant qu'il existe souvent d'autres raisons aux raisons qu'on invoque, ce qui assure précisément à la psychanalyse sa spécificité comme théorie, comme méthode et comme pratique, c'est qu'elle se saisit avec pertinence et dextérité de la plainte des patients, non en tant que telle, mais comme demande, à la fois expression et révélation transfigurée d'une souffrance et d'un mal-être bien plus profonds. Mais contrairement à l'écueil pathognomonique que constituerait la plainte pour le démiurge et le désir solipsistique qu'elle révèle chez le patient, celle-ci ne doit en aucun cas conduire à anticiper, de facto, le diagnostic, ni surseoir aux modalités rigoureuses de l'analyse clinique.
La nécessité d'une technique rigoureuse
Si Freud a bien mis l'accent sur l'exigence selon laquelle personne ne doit pratiquer l'analyse sans en avoir acquis le droit par une formation déterminée, c'est qu'il s'agissait moins de transmettre ici sur le tapis la question de l'analyse profane que de mettre en garde, essentiellement, contre les aléas et les dangers de l'analyse sauvage savante ou ignorante. À cet effet, si la méthode psychanalytique est, pour l'approche des phénomènes psychiques, une technique dûment rigoureuse et avérée, toutes les autres techniques ne peuvent constituer, pour l'approche de tels faits, une méthode appropriée. Elles peuvent tout au moins constituer, dans le charlatanisme, une forme manipulatrice et doublement réductive, tout aussi arbitraire qu'aliénante. Pour Jacques Lacan, Si ce n'est jamais sans danger qu'on fait remuer quelque chose dans cette zone de larves... et n'ayant, a fortiori, aucune connaissance de la subtilité et de la spécificité des mécanismes psychiques, ni par ailleurs des pratiques analytiques, notamment le maniement efficient des processus thérapeutiques, ces gourous-thérapeutes risqueraient de manipuler, à mauvais escient, les forces explosives de l'inconscient, comme le disait Sigmund Freud ; ils dénieraient alors les regrettables conséquences sur leur santé et leur vie mentale. Ils altèreraient davantage leur jugement et rendraient plus problématique leur guérison. Ils risqueraient aussi de les entraîner subrepticement et de les exposer, dangereusement, à des formes déréistiques d'existence. Il ne s'agit pas pour autant de nier la possibilité d'existence des tradi-thérapies (thérapies traditionnelles) spécifiques, pouvant naturellement s'inscrire dans un cadre et un moment singuliers de leurs cultures propres. Elles pourraient cependant se rendre, par leur seule exportation, vers des aires culturelles différentes, tout aussi inopérantes qu'obsolètes et perdre, ce faisant, toute l'efficacité symbolique originelle sur laquelle elles se fondaient. Elles peuvent également lamentablement se voir dégradées sensiblement pour retomber dans le droit fil d'une logique exclusive de profit, d'autant que laisser ainsi se vendre et se voler son langage à un homme, au nom même du langage, tous les meurtres légaux commencent par là, dixit Roland Barthes. La psychanalyse est une thérapeutique ; le maraboutisme n'est ni un pouvoir, ni un savoir mais simplement une imposture et un obscurantisme dont le seul objet demeure l'aliénation et la manipulation éhontée de la détresse humaine.
Djamel Boughrara
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