Aujourd'hui, la psy s'affiche dans les médias. Radio, télévision, presse écrite, tous s'emparent de ce phénomène. Tous abreuvent colonnes et chroniques du savoir de ces professionnels singuliers de la santé : les psys. Tous offrent ainsi à un public profane, par un langage simple et accessible, un regard sur leurs conflits ou leur mal-être. Tous se familiarisent avec la psyché humaine, les amenant à une réflexion, les poussant parfois même à une introspection incontournable. Ainsi, psychothérapeutes, psychologues, psychiatres, psychanalystes, interviennent-ils régulièrement dans des débats télévisés ; ils s'infiltrent sur les ondes hertziennes, débattent de faits de sociétés, font la une des magazines et des quotidiens... La preuve !
La psy est partout, déployant une théorie généralisée, appliquée à une situation donnée. Elle peut prendre position politiquement ou socialement, envahir l'espace, agacer peut-être par son intrusion, déranger parfois par son inflexibilité. Cependant, elle ne laisse jamais indifférent. La preuve en est encore que le jargon analytique est lui-même rentré dans les mœurs : complexe, angoisse, refoulement, transfert, entre autres, sont autant de concepts connus, utilisés et étendus au langage commun ; chacun s'en sert pour tenter d'expliquer les mécanismes inconscients auxquels il est soumis. Mais cette expansion de la culture psy ne correspond-elle pas à une évolution sociétale où le désir s'inscrit dans un individualisme marqué par la recherche de l'épanouissement et du bien-être ?
Une société de plus en plus orale
L'être humain, en proie à ses doutes exacerbés par une société de plus en plus
orale en mal de repères, cherche d'évidence à combler un vide, une béance laissée vacante. Ainsi, l'éclosion de la
psy dans le paysage médiatique ne correspond pas vraiment à une mode, ni à une mouvance éphémère : elle fait manifestement écho à un mouvement de la société moderne à la recherche de valeurs disparues et de références incertaines. Le thérapeute d'aujourd'hui s'est substitué au prêtre d'hier, figure emblématique du savoir et de l'autorité qui, comme le médecin de famille, recueillait les confessions des uns, rassurait paternellement les autres. Les nouveaux
confesseurs leur ont succédé, délaissant momentanément l'atmosphère feutrée de leur cabinet pour les projecteurs de la scène publique. Ils deviennent alors,
via les médias, les référents par excellence de la
parole juste et d'une certaine éthique ; ils livrent un diagnostic censé réconforter l'autre en mal d'être, prodiguant conseils et interprétations de cas rarement pathologiques. Ces interprètes de la psyché distillent un avis
éclairé de théorie et de clinique et assoient insidieusement leur légitimité sur le fondement même de leur doctrine. Ne donnent-ils pas, ainsi, par le biais de leurs interventions souvent hâtives et d'une vulgarisation évidente, une vision déformée, réduite, simplifiée de la psychanalyse, à des quidams soumis à leurs propres souffrances ? De fait, une autre question se pose : le rapport
psy supporte-t-il le phénomène de masse, le passage de l'individuel au collectif, du particulier au général, de l'intime à l'impudique ?
La « neutralité bienveillante » en cause
Si le champ audiovisuel a intégré les sciences humaines dans son programme, en les désacralisant, c'est que celles-ci avaient leur place au sein d'un monde en crise. Cependant, l'erreur fréquemment commise par les médias est de faire pression auprès de ces professionnels de la santé afin d'obtenir des réponses normatives, cautionnant, rassurant l'individu, le reconnaissant dans son mode de fonctionnement, quel qu'il soit. Ainsi, ils induisent une distinction discutable – car trop généraliste – entre le bien et le mal, le bon et le mauvais, le normal et le pathologique... Difficile alors de ne pas tomber dans le jugement, de faire preuve
d'empathie et de
neutralité bienveillante face aux injonctions journalistiques dont la demande première est de faire de l'audimat ! Les détracteurs de la « psy à tout va » parleront d'exhibition, de
psychanalyse sauvage, de dévoiement d'une discipline d'initiés jusque-là jalousement gardée, sans que soit pris en compte le miroir tendu par la société : une société en difficulté, hésitante, changeante. Pour autant, certains individus avides de conseils, de soutien, de réconfort, à condition qu'ils ne deviennent ni déresponsabilisés ni victimes de leurs propres mécanismes inconscients, et sans qu'ils attribuent au
Sujet-Supposé-Savoir la parole sacrée, détentrice de Vérité, trouveront un sens à cette démarche. La prudence s'impose de toute façon : il n'est question en aucun cas de considérer le domaine
psy comme un remède-miracle pansant les blessures de l'âme, colmatant les frustrations ou procurant du bonheur. Le propre de la psychanalyse est de
désétayer, de
débéquiller l'individu. À l'heure où le bien-être et l'harmonie se veulent clé de voûte d'une vie
réussie et que la souffrance se vit comme une maladie dont il faudrait absolument se prémunir, l'appel à l'autre
guérisseur lui confère un pouvoir auréolé. En outre, en envisageant le professionnel comme un accompagnateur, et non tel un expert attiré par les feux de la rampe, le grand public peut aussi raisonnablement considérer cette banalisation
psy comme une opportunité de compréhension ou un
outil de réflexion. Le thérapeute n'est plus dans sa tour d'ivoire, inaccessible ; il devient un
alter ego, un
autre semblable mais différent, dont le rôle est de transmettre à un plus grand nombre...
Une parole humanisante
Si la psychanalyse a connu des années de contestation, son introduction dans les médias révèle tout de même un désir d'évolution d'une part et, d'autre part, une forme de reconnaissance de son propos. Le choix qu'adoptent certains
psys d'aller vers la médiatisation s'oriente vers la dénonciation et la mise en garde quant aux limites (parfois) dépassées, par la science ou la culture, devant des sujets d'actualité (Pacs, homoparentalité, PMA, etc). Le savoir analytique n'exclut nullement un regard réfléchi sur la société contemporaine. Bien au contraire, les disciples de la pensée freudienne, lacanienne, pour ne citer qu'eux, obéissent aux lois du temps. Loin d'ériger une pensée unique en
diktats, ils offrent aussi une parole humanisante, structurante, libératrice et génératrice de désir.
Sabine Charles