Nos sociétés se métissent de plus en plus, phénomène qui permet l’émergence de liens enrichissants. Toutefois, le migrant - de par son déracinement natal - a le sentiment d’avoir perdu une partie de sa culture, de son identité. Dans sa migration, il emporte cependant avec lui un peu de ses croyances, de son enfance et il vient se confronter à une autre façon d’appréhender le monde.
Se vivre dans un univers culturel différent peut malgré tout devenir source de souffrance, de traumatismes et de crainte. L’approche clinique transculturelle permet, par l’association de la psychanalyse, de l’ethnologie et de l’anthropologie, la mise en place de groupes de rencontres où viennent se compléter ces façons plurielles de voir le monde. D’ailleurs, l’interaction entre l’anthropologie et la psychanalyse remonte aux travaux de Sigmund Freud et de son ouvrage de 1913, «Totem et Tabou». Pour lui, culture et psychisme sont en interdépendance. S’il n’y avait pas de cadre culturel, écrit-il, nous vivrions dans le domaine des pulsions et de leur impulsivité. Freud parle ainsi de la culture humaine au sens large. Il reviendra à un de ses disciples, Géza Róheim, d’apporter à la psychanalyse une dimension anthropologique. Sur les conseils du maître, il étudiera en détail de nombreuses sociétés traditionnelles, des aborigènes australiens aux Indiens d’Amérique. Géza Róheim devient de fait le père de l’anthropologie psychanalytique et définit le rêve comme le plus petit dénominateur psychique de l’humanité : il s’agit d’un phénomène constant à travers les variations infinies des cultures et des psychismes, permettant de rendre compte des théories de l’âme, des paradis, des enfers, de la structure des contes et des mythes. Quant au terme d’ethnopsychanalyse, il apparaît et prend forme dans les travaux de l’anthropologue et psychanalyste Georges Devereux : l’ethnopsychanalyse se fonde sur l’idée de l’universalité du complexe d’Œdipe. Son approche transculturelle développe un courant dit complémentariste, entre anthropologie et psychanalyse. En outre et selon Le Petit Robert, l’ethnocentrisme est la tendance à privilégier le groupe social auquel on appartient et à en faire le seul modèle de référence. L’approche en ethnopsychanalyse, telle qu’elle est impulsée par Devereux, se base sur le monde de représentations de l’individu pris dans une autre culture que celle du thérapeute occidental. Les croyances et les mythes auxquels il se réfère doivent contribuer à mieux le comprendre à partir de ses propres représentations culturelles.
L’enjeu des groupes transculturels
Dans nos sociétés aux prises avec des mouvements migratoires, nous observons de nouvelles formes de pathologies liées à la transmission, à l’identité, à la notion d’enveloppe culturelle. Celle-ci est porteuse d’une partie de l’individu, mise à mal durant la migration puisqu’elle se fixe dès la naissance. Elle passe par les soins, le langage et l’éducation. Si l’enveloppe culturelle imprègne l’individu, elle joue également un rôle dans la mise en place de logiques communes et symboliques qui structurent le groupe. Les différentes médecines et cultures traditionnelles ne s’étayent pas sur le symptôme mais sur une réflexion quant au sens de la maladie. Cette théorisation n’appartient pas à l’individu mais au groupe. Un migrant, inscrit dans une représentation groupale de la maladie, se trouve en difficulté en situation thérapeutique occidentale moderne où seul est considéré l’individu. Un des premiers axes de travail thérapeutique avec le patient d’origine non occidentale est, au vu de l’interaction entre maladie individuelle et maladie de la famille, d’instaurer un dispositif groupal englobant la constellation familiale. Dans un second temps, il est important de pouvoir laisser s’exprimer les parents sur leur récit migratoire. Cette transmission, bien qu’elle s’inscrive dans le mythe et la nostalgie du paradis perdu - souvent renforcée par le fait que le migrant vive dans la discrimination et la précarité - reste très importante. En effet, la non-transmission de ce récit serait une violence, non seulement pour les géniteurs mais, également, pour l’enfant qui ne pourrait pas s’inscrire dans une réelle filiation et dans sa dimension transgénérationnelle. Il est donc important de faire énoncer le récit migratoire des parents lors des consultations.
Spécificité de la thérapie en ethnopsychanalyse
Dans la consultation transculturelle, il est nécessaire de porter sa réflexion sur l’importance de la notion de temporalité et d’espace, et de prendre en considération le symbolique lié aux expériences qu’a traversées l’individu de sa petite enfance jusqu’à son adolescence, le migrant se retrouvant toujours en rupture de lien avec son espace ancestral. Cette altération spatiale peut augmenter le risque de décompensation et de confusion lors de la confrontation avec un lieu occidentalisé ne manifestant pas de repères sécurisants. C’est cette difficulté, cette angoisse due à une crise identitaire, que le patient vient rejouer dans les séances. Il s’avère ainsi nécessaire de prendre en charge non seulement le patient de façon isolée, mais aussi de le recevoir avec l’ensemble de sa famille afin que les représentations culturelles se transfèrent et s’échangent dans le groupe. On reconnaît ici l’importance du concept dit d’
enculturation de Margaret Mead, processus
par lequel le groupe va transmettre à l’enfant, dès sa naissance, des éléments culturels, normes et valeurs partagées. L’enculturation traduit le processus de transmission de la culture du groupe à l’enfant. Nous touchons également à la notion l’inconscient culturel ou, selon Devereux, d
’inconscient familial.
La méthodologie
Les thérapeutes utilisent (en toute
neutralité bienveillante) les représentations symboliques face aux patients qu’ils reçoivent en consultation. Ils doivent également se reporter uniquement à leur formation et à la théorisation occidentale du symptôme, incitant ainsi le consultant à parler librement d
’envoûtements, de
djinns, de
maraboutages et autres croyances culturelles. Il est toujours difficile de se confronter à l’étranger, une culture différente pouvant insidieusement provoquer une anxiété, chacun étant sous le poids des images de l’inconscient collectif. Il s’avère alors important de se questionner sur la place des thérapeutes, des interprètes et des membres d’une même communauté lors des actions thérapeutiques et, encore une fois, de ne pas occulter le discours implicite de l’analysant pour le comprendre durant cette démarche thérapeutique symbolisée par l’alliance libidinale inconsciente entre le professionnel et le
thérapisant.
Dominique Séjalon