En psychanalyse, on ne parle pas de fautes d’orthographe. Il s’agit tout au plus, au même titre que le lapsus verbal (lapsus linguae), du lapsus d’écriture ou « lapsus calami ». De la même manière que l’acte manqué est un discours réussi, l’erreur orthographique est à considérer comme un message qui en dit beaucoup plus que ce que l’on croit.
Si nous avons souffert, faute de ne pas savoir écrire tous les mots de la sacro-sainte dictée, c’est peut-être justement que nous ne voulions pas nous en laisser trop conter. Il y a des erreurs qui ont du sens et qui, paradoxalement, peuvent se révéler justes quant à notre désir.
Une faute d’orthographe ?
Loïc, chanteur amateur, écrivant une lettre à un ami producteur de spectacle pour le féliciter de son mariage écrit : De tout chœur avec toi, au lieu d’orthographier le mot cœur correctement. En relisant le courrier, il ne se rend pas compte de l’erreur. Son ami lui répond qu’ayant compris le message, il avait décidé d’accepter d’engager la chorale dont Loïc faisait partie pour une tournée au Canada. Loïc, surpris par la situation, après avoir été informé du jeu de mot que son interlocuteur pensait intentionnel, confie sa boutique d’édition musicale à son associé et part un an au Canada. Remarqué par des gens du show business, il est aujourd’hui chef de chœur d’un artiste célèbre. Cet exemple, bien que paraissant un peu caricatural, montre toutefois qu’il y a une intention cachée dans toute faute d’orthographe. Si cela était mieux pris en compte à l’école, peut-être pourrions-nous découvrir derrière ce jeu d’écriture un sujet qui cherche à s’exprimer.
Dyslexie, dysorthographie…
Nous ne naissons pas parfaits, nous naissons différents. C’est justement pour cela que nous sommes perfectibles. Alors, arrêtons de nous dévaloriser. Nous ne sommes pas
fautifs. Tout juste avons-nous, si cela a quelque intérêt pour nous, des choses à découvrir. Nos fautes d’orthographe, si nous les acceptons, peuvent même révéler une opportunité de plus… D’ailleurs, Béatrice Sauvageot, auteur de « La dyslexie est un jeu d’enfant », écrit :
Dans certains pays, on a depuis longtemps compris l’intérêt du cerveau des dyslexiques qui, entre autres particularités, a la capacité de réaliser plusieurs tâches en même temps et de posséder une immense créativité. Aussi, dans les domaines comme la Bourse ou l’infographie, les personnes dyslexiques sont-elles recherchées de préférence aux « gens normaux »… Voir le côté positif de ce que l’on considère comme un handicap demande à sortir d’un auto-jugement invalidant. Faire des fautes d’orthographe n’a jamais empêché Django Reihnardt d’écrire à des gens cultivés qui se moquaient bien de ses erreurs, heureux qu’ils étaient de compter ce prodige de la guitare dans leurs relations. Certaines de ces lettres ont été publiées et nous apprennent beaucoup encore sur le personnage. L’éditeur a soigneusement conservé les
fautes, par souci d’authenticité. On écrit pour communiquer, non pour montrer qu’on écrit bien. Une coque vide n’a jamais fait avancer les choses. Les
beaux parleurs ont leurs pendants, les
beaux écriveurs…
Voir l’être au-delà de la lettre
Jacques Lacan, lorsqu’il enseignait que
l’inconscient est structuré comme un langage, insistait sur le fait que chacun d’entre nous a sa propre structure inconsciente. De là découle notre absolue
unicité :
Il y a de l’Un, affirmait-il. Il n’est donc pas question de norme quelle qu’elle soit, si ce n’est une conformité à notre désir. Auquel cas il aurait employé l’article défini
le. Pour ce faire, il inventait des mots qui ne sont pas dans le dictionnaire, tels
en-corps, amur. Il créait le verbe
s’oupirer. Il faisait ce qu’il appelait de la
linguisterie. Ce qui ne veut pas dire qu’il disait n’importe quoi. Il lui importait surtout de lire au-delà. Il n’y a pas selon lui de sens unique, et donc pas de pensée unique. Quelles que soient donc nos fautes d’orthographe, elles sont une chance de plus. Et puis rappelons-nous, au cas où un complexe d’infériorité nous gênerait encore, cette phrase humoristique et pleine de bon sens :
La culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale…
Marc Jarry
Le symptôme a ses raisons…
Que la raison connaît ! Plus personne n’ignore vraiment aujourd’hui que la psychanalyse ne s’attaque pas au symptôme. C’est d’ailleurs une des raisons qui faisait préférer à Sigmund Freud les psychanalystes de formation non médicale (c’est-à-dire de formation philosophique et linguistique). Effectivement, les médecins ont une approche spécifique du corps : celui-ci souffre, ils le soignent avec des traitements appropriés. C’est ainsi qu’en règle générale la maladie disparaît. En revanche, il ne s’agit pas non plus d’oublier que la maladie plonge ses racines dans une zone impalpable, masquée : l’inconscient. Cette zone est le siège de l’origine de toute perturbation ou désordre corporel. Pour la psychanalyse, le symptôme est la résultante (externe) d’un conflit interne. Il est ici question de s’occuper des causes, des raisons qui précèdent et génèrent l’effet : soit la somatisation. Si ce travail sur soi est long, il n’en demeure pas moins qu’une personne analysée aura plus de chances de poser ce qu’on appelle un principe de guérison. La psychanalyse présente une fonction préventive précieuse pour l’avenir du patient qui sera de moins en moins soumis au phénomène négatif de compulsions de répétition.
