En réponse à l’étude menée par l’INSERM portant sur les troubles de conduites chez l’enfant, un collectif de professionnels des milieux médicaux et sociaux, ainsi que de nombreux parents, s’est créé. Près de 200 mille personnes ont signé une pétition pour montrer leur désaccord contre toute forme de dépistage concernant les moins de 36 mois.
Faut-il aller dénicher à la crèche les voleurs de cubes ou les babilleurs mythomanes ? C’est ici le cœur du débat. Faut-il analyser le comportement du nourrisson, dans un but de lutte contre la délinquance ? En un mot, sommes-nous dans l’ère de la tolérance zéro, dans un monde où tout doit être contrôlé, fiché, codifié ? Faut-il accepter toutes ces batteries de test élaborées sur la base de théories neuropsychologiques et comportementalistes ? Les premières bêtises d’enfant ne risqueront-elles pas alors d’être interprétées comme l’expression d’une personnalité pathologique ? Ceci ouvrira, de toute façon, à ce que nous connaissons déjà aux États-Unis : c’est-à-dire des mesures de rééducation et à partir de l’âge de 6 ans, l’administration de médicaments, psychostimulants et thymorégulateurs (visant à limiter les fluctuations excessives de l’humeur), pour venir à bout des récalcitrants !
Un collectif précieux
C’est contre cette conception du monde qu’il faut réfléchir et lutter. Le collectif « Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans » défend le fait que l’humain, adulte ou enfant, n’est pas un organisme programmé et programmable. Quel que soit le codage de son ADN, un humain n’est pas un simple organisme que l’on peut éduquer et rééduquer à sa guise, dans un but de pseudo « insertion sociale ». Il faut aborder l’enfant sur le plan de la loi éthique. Celle-ci ne doit précisément pas se confondre avec la loi juridique (ou sociale) ; elle ignore l’ordre de la culpabilité puisque sa visée n’est autre que le bonheur, la vie heureuse. Nous retrouvons ici la pensée d’Épicure, de Spinoza ou de Lacan. Autrement dit, l’enfant de moins de 3 ans doit être regardé dans sa globalité de sujet en devenir et ce devenir lui appartient.
Attention dérive !
Bien sûr l’adulte, qu’il soit parent, enseignant, éducateur, a pour rôle « d’endiguer », comme disait Freud, ses pulsions mais il doit le faire sans tenter de déceler en lui une potentielle pathologie ou de lui supposer une voie toute tracée vers la délinquance. Le risque encouru aboutirait aux liens supposés entre prévention de la délinquance et difficultés de comportement du jeune enfant. Hélas, le pas a déjà été franchi en 2004 par le député J. A. Benisti proposant une courbe évolutive d’un jeune qui, au cours des années, s’écarte « du droit chemin », pour s’enfoncer dans la délinquance ». Vous pouvez consulter cette courbe page 47 du livre « Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans », sous la direction d’Albert Jacquard, paru aux éditions Érès. Vous découvrirez comment l’on est censé passer des difficultés de langage et de comportement vers 4 ans à la grande délinquance une fois adulte ! Nous devons rester modestes quant au devenir de l’enfant. Nous devons également être vigilants pour ne pas rentrer dans ce que Roland Gori, psychanalyste, professeur des universités, appelle une « civilisation médico-économique de l’humain ». Société où la médecine, la psychiatrie et la psychologie participent au nom de la santé publique, transformée en véritable salut religieux, à nous dire comment il faut nous comporter… Heureusement, beaucoup d’entre nous, à l’instar de Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre, responsable d’une unité de psycho-oncologie, assurent que
l’enfance est un vacarme. Gageons que nous serons quelques-uns, puis des milliers, à le rappeler aux oreilles de ceux qui l’oublieraient…
Dominique Séjalon