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La psycho
dans Signes & sens
Sectes :
les dérives de l'illusion religieuse
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Secte : voilà un mot qui active en un rien de temps et déclenche, dans nos esprits, maintes représentations négatives, voire dangereuses. Ce terme s'est chargé au fil du temps d'une connotation d'intolérance, de fanatisme, de destruction.
Et il y a de quoi : nous gardons tous en mémoire les annonces apocalyptiques de ces nouveaux groupes religieux; nous conservons en nous l'horreur des suicides collectifs et savons que les phénomènes d'emprise et de dépendance du couple gourou/adepte prédominent dans la plupart des sectes. Pourtant, la définition du mot, proposée notamment dans le Petit Larousse, n'a rien de dérangeant ni n'évoque la moindre méfiance. Dans sa première acception, il s'agit « d'un ensemble de personnes professant une même doctrine philosophique, religieuse, etc. ». C'est également « un groupement religieux clos sur lui-même et créé en opposition à des idées et à des pratiques religieuses dominantes ». L'initiative est belle et l'idée de ne pas suivre – comme des moutons de Panurge – le courant dominant, fait montre de maturité et d'intelligence. Du moins, c'est ce que l'on pourrait penser... D'ailleurs, on parle de la secte d'Épicure sans que jamais cela n'engendre une quelconque phobie... Aujourd'hui donc, le terme de secte fait frémir, soulevant des torrents de débats, dénonçant la sujétion et la marginalité, l'aliénation et l'intolérance. Mais devons-nous vraiment avoir peur de tous ces mouvements sectaires ?
De l'étymologie latine qui fait apparaître deux sens différents: secare = couper et sequi = suivre, l'Église catholique ne retient que « secare », donnant ainsi à la secte le sens de sécession d'un groupe par rapport à l'Eglise. D'emblée, elle symbolise une opposition, une coupure avec la doctrine. Serait-ce alors une doctrine qui en chasse une autre ? Un combat d'idées et de croyances ? Une lutte de pouvoir ? Le XXème siècle a vu l'émergence de nouveaux courants d'ordre religieux, philosophique, écologique où l'individu, centré sur lui, se met en quête de spirituel et de bien-être. Quel regard, dès lors, poser sur le mode de fonctionnement inhérent à la secte dans sa forme la plus pathologique ?
Idéalisation, identification et dépendance
Le groupe engagé à adhérer aux mêmes croyances et à rompre avec un autre système de croyances, déjà établi, se coupe de facto de la société de laquelle il refuse tout apport. Dans la notion de regroupement, se dégage l'idée selon laquelle l'individu, être fondamentalement social, tend à se réfugier dans un processus de pensées communes, basé sur une hiérarchie reconnue. C'est le fondement même de toute civilisation, avec la volonté de se soumettre au leader et se fondre en lui pour tenter de s'y reconnaître. Le groupe, qu'il soit porteur d'idéologies religieuses ou philosophiques, a la particularité de prendre pour idéal un même objet ; de fait, la question de la formation de l'identité, ainsi que la relation de dépendance à l'autre, prend toute son ampleur. En effet, autrui est potentiellement appréhendé en tant que modèle d'identification, en tant qu'agent d'évolution et de différenciation mais encore en tant qu'adversaire. Ainsi, dans sa rencontre avec la figure paternelle, si l'enfant, en parallèle, découvre un médiateur et un initiateur, ce référent emblématique casse aussi la symbiose avec la mère ; le père symbolise le lien au monde extérieur, monde attrayant, certes, mais effrayant en tant que possible corollaire inversé.
De son côté, la secte vit souvent en autarcie, coupée (à l'inverse) du monde extérieur. Autocratique, elle est un microcosme à l'intérieur duquel se reflète un univers sécurisant, dénué de toute contingence. La seule figure de référence est le maître à penser de la structure, le supposé-savoir détenant La Vérité Absolue ; celui-ci, par de subtiles manipulations mentales et avec un brillant esprit de synthèse, attire ses sujets, corps et âmes dévoués, dans l'illusion d'être des élus. Adoptant une conduite marginale face à la société suspectée négative, doutant de l'efficacité et de la validité des principes de celle-ci, le maître, devenu sauveur de l'humanité, convainc ses disciples de rompre avec l'extériorité perçue phobogène. S'instaure alors une relation de domination-soumission du couple gourou-adepte, sur un axe activité/passivité, mettant en évidence une interdépendance sur un mode pervers sadomasochiste que l'on retrouve dans le bourreau et sa victime. De par cette idéalisation prégnante, étayée progressivement sur une solide satisfaction narcissique, l'initié forge une puissance à se démarquer du commun des mortels ; par sa démarche sectaire et grâce à ses croyances, il privilégie le lien à un être unique par un acte d'amour et de vénération. Le monde est alors clivé, fantasmé bon chez les élus, mauvais chez les non élus, processus régressif pouvant même, dans certains cas, frôler le délire paranoïaque.
Dans une dynamique de séduction, l'adepte se laisse engloutir par le discours flatteur qui brigue l'épanouissement personnel, la connaissance de soi. Le système de pensée, propre au groupe, maintient l'élève dans un esprit peu enclin à la réflexion et en altère le jugement, laissant la réalité de l'autre envahir la sienne. Le réel venant à manquer insidieusement, l'individu entre dans un processus hallucinatoire, déniant et l'ordre et la loi. L'étayage est total puisque le membre adhérant s'en réfère aveuglément à la secte qui, seule, est censée soulager ses angoisses profondes...
Les pièges de la pensée unique
Dans les diverses techniques proposées par les sectes – sous couvert de développement personnel, de méditation, d'éveil à la spiritualité... –, l'aller ego n'est qu'illusion puisque l'individu est vite amené à abandonner ses repères ; se coupant de toute notion de réalité, il développe un comportement schizoïde. Le clan se substitue alors au monde extérieur et assure un besoin de sécurité majeur pour des individus en proie à des questions existentielles. La secte, par son cadre et ses limites, devient protectrice mais sur un mode de pensée unique et radicale dont toute neutralité est exclue ; elle abolit la différence individuelle par l'introjection d'une mauvaise loi, une loi interne. Prosélytisme et autoritarisme se dégagent de l'intelligence supérieure : le leader ; avec celui-ci, se découvre toute l'intensité paradoxale et ambiguë de la relation père-enfant. Ainsi, l'être humain tend à conférer à un supérieur les traits de la figure paternelle dont il cherche à gagner l'affection et la reconnaissance. De fait, dans la relation au père-gourou, l'adepte se soumet par culpabilité, pouvant développer une attitude parfois proche de l'autodestruction.
Le besoin de trouver un soutien auprès d'une quelconque autorité, comme le soulignait Sigmund Freud à propos de l'illusion religieuse, se retrouve donc dans la secte. Le gourou, assimilé à un Dieu, ravive la nostalgie du Père. Le contrôle de la pensée semble omniprésent et la toute-puissance pseudo paternelle réductrice, à un point tel que toute opinion personnelle est balayée au profit de l'idéologie du groupe. À ce propos, il s'agit de dénoncer aussi dans ce type de phénomène de masse, qui sombre dans l'inertie, le manque de discernement avec une impossibilité quasi-totale de fournir une créativité suffisamment intéressante pour se réaliser...
Rappelons toutefois qu'il existe autant de sectes ou de mouvements spirituels-religieux qu'il existe de fonctionnements internes. En effet, il serait malhonnête de tous les ranger dans la catégorie danger. Il ne s'agit pas non plus de mener un combat contre. Le danger est justement de faire un amalgame. La dissidence et le non-conformisme ont toujours quelque peu effrayé mais l'affirmation d'une vision distinctive ne fait-elle pas ainsi partie de la démocratie ? L'entrée dans un groupe, en son principe, est non seulement un élan vers le relationnel mais permet un éveil pour une meilleure conscience des choses. Il est donc avant tout question de ne jamais laisser engloutir ni son identité ni ses convictions au profit d'un processus grégaire. Il demeure raisonnable et protecteur de se comporter comme un individu individué, doté d'une capacité d'analyse et de réflexion.
Bénédicte Antonin
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