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La psycho
dans Signes & sens
Abus sexuels :
attention aux faux souvenirs
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Olivia McKillop avait toujours été une enfant heureuse et épanouie. Pourtant, durant sa dernière année de lycée, elle sombra dans une dépression et entama une psychothérapie avec Tricia Green…
Dès la fin de la première séance, sans qu'Olivia ait évoqué le moindre abus de la part de ses parents (elle se plaignait plutôt d'avoir été trop protégée et choyée), la psy lui confia un livre destiné aux adultes victimes d'abus sexuels durant leur enfance.
Les faux souvenirs d’inceste
Sous l'influence de cette lecture et des questions directives de Tricia au fil des séances, des flashbacks assaillirent Olivia : Finalement, je me mis à croire que j'avais été molestée par six hommes en tout, y compris mon grand-père, mon père et mon frère Jerry. Olivia passa ainsi deux ans en psychothérapie. Elle quitta ses études et déménagea loin de ses parents. Un premier doute sérieux la frappa, alors qu'elle travaillait comme animatrice dans un camp d'enfants. L'un d'eux se confia à elle : Mademoiselle, mon papa fait quelque chose de mal parce qu'il dort avec moi dans mon lit. Olivia réalisa soudain que, dans son enfance, elle n'avait jamais éprouvé la souffrance et la confusion qu'elle lisait maintenant sur ce visage. Grâce au soutien de quelques anciens amis qui ne croyaient pas à ses histoires d'abus sexuels, Olivia réussit à retrouver sa raison et prit conscience d'avoir été manipulée par sa psychothérapeute. Lorsqu'elle entendit parler du phénomène des faux souvenirs, ce fut une révélation.
Le cas d'Olivia est tout sauf rare. Le scénario classique est le suivant : une femme entre 25 et 40 ans (il s'agit à 80 % de femmes) consulte un ou une psychothérapeute pour un problème relativement bénin (crise conjugale, problème de poids, dépression, etc.). Certains psys, adeptes de la théorie à la mode selon laquelle, premièrement, l'inceste explique tout et, deuxièmement, la thérapie permet de faire remonter les souvenirs refoulés à la mémoire (repressed memories), influencent leur cliente dans ce sens et la soumet à des techniques diverses : hypnose, autohypnose, relaxation, visualisation guidée, etc. Conditionnée, la patiente finit par produire des souvenirs d'inceste. Au fil des séances, de nouveaux souvenirs apparaissent, de plus en plus atroces, allant éventuellement jusqu'à des scènes de viols collectifs d'enfants, de meurtres rituels, de cannibalisme. Beaucoup, parmi les victimes de faux souvenirs d'inceste, ont accusé publiquement leurs parents ; ils sont souvent encouragés à le faire par leur psy qui considère cela comme une étape thérapeutique nécessaire. Et certains sont allés jusqu'à les attaquer en justice. Plusieurs de ces procès ont abouti à des condamnations de parents, sur la base exclusive de souvenirs déclenchés sous hypnose des années après les faits supposés. Élizabeth Loftus, qui raconte dans son livre « Le syndrôme des faux souvenirs » (1) ce type d'histoires invraisemblables, a été consultée comme experte dans plusieurs de ces procès. Elle est parvenue à démontrer qu'il est possible d'implanter des faux souvenirs par suggestion ou par de fausses informations.
Pour y voir plus clair
Cependant, un bref historique de la controverse autour des faux souvenirs peut aider à y voir clair ; dans les années 70, en partie sous l'impulsion du mouvement féministe, on découvrit l'étendue horrifiante de l'inceste et des abus sexuels d'enfants. Jusqu'alors, les statistiques officielles minimisaient le phénomène et on se donnait peu la peine de faciliter la prise de parole par l'enfant victime. Au même moment naissait le rebirthing, une méthode de relaxation et de respiration guidées, dont le but originel était de permettre au patient de revivre les émotions intenses du traumatisme de la naissance considéré, par Otto Rank, comme le choc primitif autour duquel se construisent les pathologies ultérieures. Toutefois, nombre de thérapeutes de rebirthing lancèrent également leurs clients en quête de souvenirs d'enfance refoulés, voire même de souvenirs de vies antérieures.
Au début des années 80, un groupe de thérapeutes, basé à Boston, s'identifia totalement à la cause de l'inceste et propagea sa conviction que les souvenirs refoulés d'inceste constituent la cause primordiale des pathologies psychologiques et psychosomatiques. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre : une majorité de thérapeutes régressifs ont adopté l'inceste comme le symbole même de l'oppression familiale. Des livres, des films et une quantité d'articles ont relayé cette mythologie avec un grand impact populaire.
Dans les années 80, une violente critique du freudisme, lancée essentiellement par Jeffrey Masson, alimenta le mouvement des thérapies régressives et la mythologie de la mémoire traumatique récupérée. Dans son livre « Le réel escamoté » (2), Masson prône un retour à la théorie de la séduction que Freud avait d'abord proposée avant d'imaginer son complexe d'Oedipe. Cette théorie consistait à attribuer les troubles névrotiques à des sévices subis durant l'enfance et refoulés hors de la mémoire. Freud en était arrivé à cette hypothèse parce que, à l'époque, il utilisait l'hypnose pour sonder l'inconscient de ses patientes. Il y renonça lorsqu'il découvrit que les récits sous hypnose n'étaient pas des souvenirs réels. Il les attribua alors à des fantasmes infantiles refoulés - une interprétation qui peut sembler tout aussi spéculative et arbitraire. Depuis, pour Freud, il n'existe dans l'inconscient aucun indice de réalité, de sorte qu'il est impossible de distinguer l'une de l'autre, la vérité et la fiction investie d'affects. Pour Masson, en revanche, ce revirement de Freud était surtout une trahison. Freud, dit-il, n'avait pas eu le courage de croire ses patientes et de témoigner de l'ampleur de l'inceste ; sa théorie de l'Oedipe n'était qu'une façon de masquer la vérité. Le livre de Masson ajouta une légitimité au mouvement des thérapies régressives qui se reconnaissait alors comme le freudisme originel, celui d'avant la trahison de Freud.
Une nuisance au combat des vraies victimes
Les accusés font les frais de cette mascarade. Monseigneur Bernadin, évêque, accusé récemment par un ancien séminariste, Steven Cook, d'avoir abusé son innocence vingt ans auparavant, a vu son crime étalé dans la presse américaine pendant plusieurs semaines. Il était devenu, pour les médias d'Outre-Atlantique, le symbole du scandale des abus sexuels commis par des ecclésiastiques catholiques. Pourtant, il était innocent... Dans les années 90, le thème des rituels sataniques est apparu plus fréquemment dans les souvenirs récupérés. Dans leurs flashbacks, des centaines de patients voient des scènes d'une obscénité et d'une violence inouïes, se passant dans un cadre diabolique. Sur la base de tels témoignages, la rumeur médiatique a répandu qu'un vaste réseau sataniste sévissait en Amérique. On leur prête des techniques de manipulation mentale leur permettant de faire oublier à leurs victimes (celles qui n'ont pas été assassinées) tout ce qu'elles ont subi dans ces rituels nocturnes, de sorte que celles-ci mènent une vie d'apparence normale durant le jour. La rumeur avait pris une telle ampleur que le F.B.I. fut mis sur l'affaire. Après quelques années d'enquêtes, il conclut que la rumeur était sans fondement. Mais, bien sûr, cela ne fit qu'épicer la rumeur d'un détail supplémentaire dont raffolent les Américains : le F.B.I. est complice ! Certaines églises évangéliques américaines, particulièrement obsédées par le démon, ont fait grand usage des souvenirs récupérés de S.R.A. (Satanic Ritual Abuse). Nombre des psychothérapeutes, qui ont aidé des patients à produire des faux souvenirs de satanisme, étaient des pasteurs évangéliques ou pratiquaient dans un cadre religieux. Ce n'est que depuis 1994 que les médias ont commencé à mentionner l'hypothèse des faux souvenirs et à faire connaître la F.M.S.F. (False Memory Syndrome Foundation). Depuis trois ou quatre ans, près d'une vingtaine de livres ont adopté ce point de vue critique. Attention, il ne s'agit pas, pour des auteurs comme Elizabeth Loftus et Katherine Ketcham, de nier la réalité des abus sexuels d'enfants. Cette réalité est courante et effrayante et personne ne cherche à la minimiser. Précisément, soulignent ces auteurs, par le discrédit qu'elle attire sur la cause de l'inceste, la mascarade des faux souvenirs nuit fortement au combat légitime des vraies victimes. Il ne s'agit pas non plus d'affirmer que tous les souvenirs obtenus sous hypnose, par exemple, sont faux. Toutefois, il faut bien se rendre à l'évidence : les personnes qui ont vraiment subi un abus sexuel l'ont rarement oublié, même si leur souvenir de l'incident peut être déformé ou présenter des lacunes.
Comment expliquer ces faux souvenirs, pleins de réalisme et d'émotion ? Les explications proposées semblent toutefois assez limitées et l'on ne peut s'empêcher de sentir un relent de paranormal dans ce phénomène d'hallucination collective. Il est clair, en tout cas, que l'esprit humain n'a pas fini de nous étonner et que les chercheurs ont encore bien des problèmes à résoudre.
Laurent Guyénot
(1) : Editions Exergue
(2) : Editions Aubier Montaigne
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