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La psycho
dans Signes & sens
Peut-on se libérer
de ses parents ?
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Se détacher de la famille et devenir parent, à son tour, c'est surtout dire adieu à sa propre enfance...
Dans certaines familles, le renouvellement des générations va de soi : les enfants devenus grands se marient et font des enfants à leur tour. Ils s'inscrivent ainsi dans la continuité de la vie ; la nouvelle génération apparaît et on assiste aux affres d'une famille qui a normalement intégré la succession des âges et le changement de statut de chacun. Mais il est d'autres familles où les choses ne sont pas aussi simples ; on peut le constater, par exemple, chez le jeune adulte qui ajourne sans cesse l'idée de mariage, repousse systématiquement la perspective de faire des enfants et investit peu ses relations sentimentales. Il règne comme un sentiment de dangerosité face à l'idée de fonder sa propre famille. Pourtant, le discours n'est pas forcément rétif à l'idée de rencontrer quelqu'un et d'envisager l'avenir à deux, trois, quatre, cinq, etc. Mais dire son désir de l'autre et l'envie d'enfanter n'est pas un gage de vérité. On le dit parfois pour se rassurer et se convaincre, ou tout simplement pour manifester les mêmes rêves que tout le monde : des rêves bien consensuels et normatifs. Cela n'empêche pas de tout faire pour maintenir le désir à distance...
Désidéaliser ses parents
Chacun a ses raisons d'éviter la naissance de sa propre famille et s'en donner le droit nécessite, au moins, de tourner la page de l'enfance ; c'est une des conditions pour se sentir prêt, en adulte, pour fonder son propre foyer, sans que les résidus névrotiques ne viennent parasiter la transmission du lien entre les générations. Evidemment, tourner la page de l'enfance n'obéit à aucune injonction consciente. Et si ça n'est pas aisé, ce n'est pas non plus radical. On ne choisit pas, consciemment, de devenir adulte et parent en se disant « ça y est, mon enfance est derrière moi ». D'ailleurs, il existe de nombreuses familles où le père et/ou la mère sont restés des enfants. Je ne parle pas là de cet enfant qui vit en nous et se manifeste sous la forme du souvenir ; je parle de l'adulte resté enfant, de l'adulte resté pathologiquement enfant. Ce dernier est intégré à la société, il travaille mais il a des réactions d'enfant dans un corps d'adulte : il continue de se croire tout-puissant et vit selon le seul mode du plaisir ; ses relations avec autrui sont à vif et il réagit mal aux privations et frustrations. Le processus de séparation-individuation a achoppé et le travail d'autonomisation en pâtit.
Le fait de tourner la page de l'enfance, pour accéder à la vie adulte, nécessite deux événements psychiques incontournables et qui mettent en jeu la relation parentale : il s'agit de désidéaliser les parents et d'en désexualiser la relation. D'abord, le sujet, dans sa phase préœdipienne, idéalise ses parents. Et s'il n'a pas eu l'occasion, à l'adolescence, de trouver des substituts idéalisés qui prennent le pas sur maman/papa, le risque est grand d'accéder à l'âge adulte sans s'être départi d'une idéalisation toute-puissante ; et ce, d'autant plus, si celle-ci est entretenue par le(s) parent(s) car certains créent les conditions d'une telle admiration que l'enfant devient leur support narcissique.
Accéder à la maturité
Passée la période d'idéalisation propre à l'enfance, c'est le moment tourmenté et impétueux de l'adolescence. Là, dans le tumulte d'un corps en pleine transformation, le sujet va confronter ses désirs incestueux à la réalité et à la possible union, jusqu'ici toute fantasmée, au parent du sexe opposé. Si, à ce moment, l'interdit de l'inceste n'est pas intégré, le désir inconscient perdure. Le parent, conciliant parfois sans en avoir l'air, maintient un lien figé qui confine l'enfant dans l'angoisse de la perte d'objet. Si le réaménagement des relations parents-ado ne se fait pas, le dégagement des objets infantiles intériorisés devient caduc : le moi parental reste tout-puissant et ampute le moi de l'enfant. Le Moi-Idéal sera désormais un moi conforme aux attentes parentales, comme il l'était dans la petite enfance. Fonder à son tour une famille ne va pas toujours de soi : encore faut-il se le permettre ! Devenir à son tour mère ou père, c'est signifier à ses parents que l'on est prêt à tenir le même rôle qu'eux. On ne choisit pas la famille princeps, celle dont on est issu, mais on choisit celle que l'on va construire. Et les remaniements inconscients que cela engendre ne sont pas à mésestimer car, ce qui n'aura pas été résolu dans l'enfance et à l'adolescence, réapparaîtra sous une forme plus ou moins cristallisée dans les relations familiales, non plus en amont mais en aval... Françoise Dolto définissait d’ailleurs ainsi l'accès à la maturité adulte : Quand l'angoisse des parents ne suscite plus aucun effet inhibiteur sur le jeune individu, quand il est capable de se libérer de l'influence parentale...
Anne Soulié
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