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                            La psycho dans Signes & sens
 
			 
			   
			     Ne comptons pas sur le dictionnaire pour définir  véritablement l'échangisme... Dans le dernier «Petit Robert»,  il s'agit d'une « Pratique consistant, pour deux ou plusieurs  couples, à échanger des partenaires sexuels ». Idem chez Larousse.  Un brin réducteur pour des pratiques presque aussi nombreuses que  leurs adeptes. Aucun secours à espérer non plus du côté de  « l'Encyclopaedia Universalis » : même dans l'édition la  plus récente, le mot n'y figure pas ! On y trouve par contre mention  du terme « libertinage » mais il se rapporte uniquement au XVIIIe  siècle… Pour  le sexologue Georges Valensin, auteur de « Pratique des amours  de groupe », les échanges éphémères de conjoints ont  débuté à Paris juste après la Première Guerre mondiale, « dans  une sphère très limitée de couples parisiens ou provinciaux venus  s'aventurer en voiture automobile ou en fiacre au Bois de Boulogne ».  C'est le Paris des années folles. Dans les années 60-70, les  rencontres motorisées font un tabac. L'échangisme de cette époque  ne s'embarrasse pas de fioritures. On a des millénaires de carcan à  faire sauter ! Dans ce qui ressemble à d'énormes partouzes, on ne  parle pas beaucoup mais on agit ! Et contrairement à nos jours où  le tutoiement est incontournable en échangisme (tout comme le fait  de s'appeler uniquement par son prénom), les partenaires éphémères  se vouvoient et, encore, seulement s'ils sont vraiment obligés de se  parler...			      Une  limite floueSi  les pratiques échangistes ont subi un net recul dans les années  quatre-vingt, avec l'apparition du sida, elles connaissent  aujourd'hui un engouement au moins égal, sinon supérieur, à celui  des années précédant l'apparition du V.I.H. Traduction la plus  visible de ce nouvel élan du libertinage : l'explosion du nombre de  clubs, saunas, soirées privées échangistes, parallèlement à  l'augmentation des petites annonces « couple cherche couple » dans  des magazines et sites Internet libertins, eux-mêmes de plus en plus  nombreux.Les  couples échangistes rencontrés par l'étudiante en ethnologie  Agathe Bénard – au cours de son travail de maîtrise sur  l'échangisme – revendiquent une certaine amoralité, tempérée  par le fait qu'ils n'acceptent pas d'argent pour leurs activités  libertines, ne pratiquent qu'avec des adultes consentants et ne  donnent pas dans les pratiques avilissantes. Pour les échangistes,  leurs prédécesseurs en libertinage ont été autrement plus «  immoraux » en s'adonnant à des orgies incluant enfants,  adolescents, esclaves et autres prostituées. Le respect d'autrui est  l'une des principales valeurs défendues par la majorité des  libertins d'aujourd'hui.
 Dans  l'imaginaire collectif, les pratiques sexuelles à trois ou davantage  s'assimilent aussitôt à l'orgiaque, à la décadence. Comme le  relève le sociologue Serge Chaumier, « une grande peur se manifeste  dans le rapport avec un tiers inclus. Une peur que la transgression  de la limite du couple soit une transgression de toutes les limites  et ramène les rapports sociaux à des rapports sauvages,  instinctifs, de nature ». Et de rappeler qu'en temps de guerre,  lorsque la pression sociale se relâche, les viols collectifs, les  tortures, le sadisme se déchaînent. Bestialité canalisée en temps  de paix dans les bacchanales, les carnavals et aujourd'hui, dans  l'échangisme ?
 Dans  l'historique du libertinage, la limite entre moral et immoral est  extrêmement fluctuante selon les sociétés, les époques et même...  les scientifiques. Il n'y a pas si longtemps, les homosexuels étaient  encore considérés comme des pervers en puissance ! Aujourd'hui, des  pratiques comme le fétichisme, le SM (sadomasochisme) ou le bondage  (ligoter sa/son partenaire et le traiter d'esclave avec ou sans  rapport sexuel), ne sont pas davantage considérées comme des  dépravations. En revanche, l'hypersexualité de certaines libertines  s'apparente encore pour certains à la nymphomanie. L'occasion de  rappeler que les besoins sexuels exacerbés ne deviennent  pathologiques que lorsque celle ou celui qui en souffre fait passer  la recherche du plaisir sexuel avant tout, au détriment des autres  aspects de sa vie, dans une insatisfaction jamais assouvie. La  nymphomanie relève d'une pulsion sexuelle non maîtrisable. Or, les  libertines qui fréquentent les milieux échangistes, tout comme  leurs compagnons, mènent, en général, une vie tout à fait  conventionnelle en dehors des échanges. Pour les échangistes, le  pervers c'est plutôt le frustré qui les méprise... parce qu'ils  osent faire ce que lui n'ose pas ! Un peu à l'image de ces miséreux  sexuels qui viennent « mater les naturistes sans se montrer ».
 Des  prétextes fallacieuxLes  motivations du couple échangiste sont de pimenter leur histoire,  surmonter la jalousie et se faire de nouveaux amis via la fête  érotique ; bref, d'une certaine façon, dépasser le couple pour  mieux y revenir... La plupart des couples que j'ai rencontrés  invoquent ces mêmes raisons pour venir à cette forme « d'adultère  à deux » que sont les échanges. Mais les chercheurs dans ce  domaine sont unanimes sur la question et les échangistes confirment  : la grande majorité y viennent à l'instigation de l'homme. Le mari  voit dans le libertinage un moyen en or de briser la routine  conjugale, d'autant plus qu'il répond à un fantasme masculin assez  largement répandu : celui du harem. Quel meilleur moyen de faire  l'amour avec plusieurs femmes que dans le milieu échangiste ? La  plupart des hommes ne s'en cachent pas, leur motivation principale  pour se rendre aux trocs : c'est le sexe.L'échangisme  est une affaire de couple et le divorce est particulièrement mal vu  sur la planète échangiste : plus qu'ailleurs, il est perçu comme  un échec. Jean-Claude Guillebau, dans « La tyrannie du plaisir »,  écrit que chez les libertins, « les ruptures ou les divorces ne  sont pas conçus comme une marque de courage, de liberté et, en fin  de compte, d'espoir en l'avenir mais comme un échec qu'il faut à  tout prix éviter ». Corollaire à cette croyance : les couples qui  pratiquent l'échangisme n'ont plus besoin de se séparer : «Pourquoi divorcer, pourquoi changer de conjoint(e) puisque j'ai  ouvertement tout ce qu'il me faut sous la main ?» est une formule  souvent entendue. On imagine d'ailleurs aisément qu'un échangiste  convaincu, fraîchement séparé, aura de la peine à trouver un  nouveau partenaire aussi tolérant, à moins de le rencontrer  directement dans le milieu ; ce qui arrive plus souvent qu'on  pourrait le croire, après tout, un point commun non négligeable les  relie. La chercheuse en ethnologie Agathe Bénard rapporte que ces  certitudes quant à la solidité du véritable couple échangiste  font que, même une dispute ou un solide règlement de comptes  conjugal, par exemple au cours d'un week-end échangiste, sont tout à  fait bien supportés par les témoins, lesquels n'auraient pas l'idée  d'intervenir puisque l'issue de la dispute est connue : elle ne  donnera pas matière à séparation. Le couple échangiste, en  véritable entité, est d'une certaine façon obligé de rester  ensemble ! « Il est frappant dans ce milieu de constater qu'il n'est  plus question de deux individus, ni d'un couple formé de deux  individus mais du couple [...]. Cette mise en scène de la  conjugalité est extrêmement conventionnelle et frise le stéréotype.  » L'échangiste a en effet un côté très traditionnel, très  normatif. Il suffit de voir l'attitude de chacun dans les clubs, les  hommes sont plutôt galants, protecteurs, c'est eux qui paient les  consommations, invitent à danser, souvent eux qui choisissent les  futurs partenaires. Pour Paule Salomon, « l'échangisme est la  prolongation de la monogamie ; il ne s'agit pas de deux personnes qui  se donnent des libertés nouvelles mais d'un couple qui s'engage dans  une pratique différente ».
 La  problématique des interactionsLa  grande difficulté à laquelle se heurte le couple échangiste est  comment vivre ses propres fantasmes, tout en respectant l'autre ? Une  question qui n'effleure pas les échangistes que j'appelle «  instinctifs » mais soumet à un véritable challenge «les éclairés», ceux qui réfléchissent à leur démarche car chez le couple  échangiste, la jalousie n'est pas chose à négliger. Ce sentiment  qui a fait perdre tête à Othello n'est pas pour déplaire aux  hédonistes puisque, bien géré, il amène du piquant aux relations  plurielles ; quel meilleur aiguillon pour un conjoint que de voir son  partenaire habituel prendre du plaisir avec un tiers ? Mais là  encore, mieux vaut en parler ultérieurement. Comme le droit, la  jalousie mène à tout, à condition d'en sortir ! « L'arroseur  arrosé » existe en échangisme, plus fréquemment qu'il n'y paraît,  notamment au sein des couples mal communicants. L'homme qui a  entraîné une compagne moyennement consentante en terrain échangiste  n'apprécie pas forcément de voir celle-ci « se révéler »  ultérieurement avec un autre (qu'il imagine évidemment aussitôt  plus performant). Torturé par la jalousie, il n'a plus qu'à ravaler  sa fierté et se retenir de stopper net des pratiques qu'il a  induites. Certains n'y parviennent pas toujours mais, malgré tout,  les grosses crises de jalousie qui éclatent parfois dans les boîtes  ordinaires n'ont guère cours dans les milieux échangistes ; ce  sentiment fait somme toute partie de la fête des sens... d'autant  qu'un trouble-fête, quelles que soient ses raisons, une fois  identifié comme tel, se verra exclu par la suite : dans un milieu  libertin qui se préserve de tout déchaînement hormis sensuel, les  réputations collent à la peau! Pourtant, la jalousie, qui provient  d'une perte de confiance, de la crainte de perdre l'autre ne  disparaît pas d'un coup de baguette magique à l'entrée d'un club,  d'autant plus si un des conjoints « ne joue plus le jeu », va trop  loin au goût de l'autre. Toute la difficulté de l'échangisme  réside dans cette question : jusqu'où puis-je aller avec quelqu'un  d'autre sans léser mon partenaire de vie ? Pour les chercheurs qui  se sont penchés sur la question, la femme dans les clubs échangistes  est réduite au statut de simple objet. Plus nue que nue, revêtue  des attributs des prostituées, sans sac, sans poche, elle dépend  entièrement de son mari, même pour s'offrir un verre au bar. Qui  plus est, la femme est souvent incitée à s'exhiber par son  compagnon, les DJ, les patrons des clubs. Elle est invitée à  participer à divers concours. Se sachant protégée par son  accompagnant, elle va souvent très loin dans l'exhibition, tandis  que son époux (ou un autre libertin) ne sert que de faire-valoir. La  femme peut ainsi entrer en compétition avec les autres femmes...  d'autant que, comme le rappelle Agathe Bénard, « la femme a  rarement l'initiative des interactions mais seulement la possibilité  d'accepter ou de refuser. Or, lors de ces interactions, le fait de ne  pas refuser est interprété comme un consentement ». Voilà qui  rappelle furieusement les arguments utilisés par certains violeurs  évoquant leur victime : « Elle n'a pas dit non, alors c'est qu'elle  était d'accord. » Les hommes seuls, par contre, n'ont pas toujours  un immense respect pour ces partenaires « si dévergondées par  rapport à leur légitime qui refuse ces pratiques », sans compter  ceux pour lesquels les libertines s'apparentent à des prostituées  bon marché. Certains hommes se plaisent aussi à voir leur femme se  comporter comme une prostituée et inciteront ses partenaires à  l'utiliser comme telle ; une mise en scène de fantasmes parfois  avilissants qui, s'ils ne sont pas également partagés par la  partenaire, peuvent se révéler désastreux. Cette «chosification» de la femme atteint son paroxysme lorsqu'un homme remercie un mari  de lui avoir prêté sa femme, sans un regard pour celle-ci. La femme  dans les clubs est également monnaie d'échange. Certains libertins  se vantent de pouvoir coucher avec toutes les femmes qui leur  plaisent pour autant qu'ils viennent aux échanges avec une très  jolie femme, alors que c'est nettement moins réjouissant pour eux  lorsque «bobonne» les accompagne (je n'invente rien). Dans les  clubs, les hommes se plaisent à comparer telle libertine à telle  vedette du X, à déplorer les mensurations de leur légitime, alors  que leur esthétique à eux n'est jamais mise en cause. Pour Daniel  Welzer-Lang, il s'agit là « d'une forme permanente de violence  insidieuse qui permet à de nombreux hommes de justifier la  disponibilité qu'ils requièrent de leur compagne : comme si le  déficit en capital esthétique devait être compensé en soumission  et en disponibilité sexuelle ». Il est clair que l'échangisme, en  cristallisant tout ce qui fait et défait le couple, peut contribuer  à faire exploser un mariage déjà fragile. Il est cependant  difficile de recueillir des témoignages. Ceux à qui c'est arrivé  s'affichent encore moins que les autres. Maïté Hoyer rapporte le  cas d'un couple venu à la plurisexualité parce que l'homme s'était  lassé de sa femme et n'osait le lui dire. Celui-ci a trouvé une  nouvelle compagne (plus jeune !) dans le cadre des échanges, une  rencontre qui s'est probablement soldée par deux divorces... La  sexologue rapporte aussi sa rencontre avec un homme dont la femme,  très timide, s'est révélée par l'échangisme. Alors qu'elle ne  s'intéressait pas auparavant à la sexualité, elle souhaitait  désormais des amours très provocantes dans les endroits publics.  Son mari se sent aujourd'hui quelque peu dépassé. On imagine bien  qu'il doit être difficile pour un échangiste de revenir à des  pratiques sexuelles plus plan-plan s'il ne vit pas une relation  extraordinaire avec son conjoint. Pour certains couples, il est déjà  difficile de se retrouver seulement à deux après une soirée  libertine.Des  risques non anodinsCette  politique de l'autruche fait des ravages dans les milieux échangistes  parisiens, tant il est vrai que la croyance veut encore largement que  le sida ne s'attrape pas sans contact de sang à sang et, surtout,  par le fait que les libertins n'ont pas le sentiment d'appartenir à  une population à risques comme les gays ou les toxicomanes ; les  femmes ont peur de passer pour des dépravées et n'osent pas en  parler à leur médecin, en particulier à leur gynécologue, alors  qu'elles sont nombreuses à se plaindre d'IST à répétition. Les  IST, infections sexuellement transmissibles, les hépatites B et C,  ainsi que le virus HIV, trouvent dans la sexualité plurielle un  moyen «idéal» de se propager. Si le mélangiste, qui ne pratique  qu'avec son partenaire et se hasarde au maximum à quelques caresses  de peau à peau ou de léchage de peau ne risque rien, il en va tout  autrement de l'échangiste pur et dur.Les  échangistes sont les champions toutes catégories de la défense de  leur cause. Il est vrai que les arguments ne leur manquent pas.  Malgré tout, il s'agit de rappeler que pour le couple marié, ou qui  vit maritalement depuis plusieurs années, partager sa sexualité  avec d'autres n'est jamais anodin, même si le duo veut fermement y  croire. Le libertin partage avec une inconnue – et inversement –  ce qu'il a de plus intime, se laisse en fait aller à être  complètement lui-même, à devenir «vrai» le temps de cette  relation. Il s'oblige à faire confiance à l'autre. Des sensations,  des émotions surgissent forcément. Ce genre d'expérience provoque  des réactions, des sentiments parfois mitigés, quand ce n'est pas  carrément de dramatiques remises en question. Une gynécologue  genevoise témoigne avoir «ramassé» une jeune échangiste « en  miettes » : venue à ces pratiques à l'instigation d'un homme  passionnément aimé, cette jeune femme a réalisé, une fois  enceinte, à quel point l'échangisme lui faisait horreur et allait  contre tous ses idéaux, basés sur la fidélité à un seul homme,  le père de son enfant. Suite à une fausse couche, elle est  aujourd'hui séparée de son ami et suivie par un psychothérapeute.  Lorsqu'il est dépourvu de savoir-vivre et de respect, l'échangisme  n'est plus qu'une vaste foire d'empoigne, un terrain de jeux  malsains. Les libertines du sud de la France déplorent d'ailleurs  souvent la disponibilité permanente qu'elles sont sensées afficher  et assumer si elles se veulent libérées. Plus  grave encore,  comment un jeune couple débutant, harcelé par des malotrus, peut-il  seulement avoir envie de renouveler l'expérience ? La jeune femme ne  peut que se sentir salie, dévalorisée et son ami s'en vouloir de  l'avoir amenée ou pire, ne pas comprendre les réticences de sa  compagne, alors doublement trahie. Une « première fois »  désastreuse marquera d'autant un couple qu'il communique mal. Une  femme très romantique ou pudique, entraînée par son mari dans une  orgie, peut subir un véritable choc, surtout si elle est « forcée  à participer » et vouer par la suite à celui-ci une rancune  tenace. À l'inverse, un(e) partenaire trop gâté(e) lors d'une  séance échangiste pourra trouver sa moitié bien fade en  comparaison et lui en vouloir tout autant ! D'après les sexologues,  l'homme souffrirait d'ailleurs davantage de la comparaison avec les  autres. L'échangisme, c'est parfois aussi jouer avec le feu.
   Christine Ley* *Pour en savoir plus, lire :« Voyage au pays de l'échangisme »,
 Éditions Favre
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