L'expérience libérale de ma pratique orthophonique, à la campagne, pose quotidiennement la question du succès en me confrontant souvent douloureusement, et dès la première rencontre, à son double obscur : l'échec, motif premier de consultation.
Si d'un côté, il y a celles qui le couronnent, comprenez là les rééducations qui « marchent », il y a aussi et surtout celles qui sont « en panne » et qui vont venir bien plus sûrement questionner, interroger ce fameux succès dont chaque demande orthophonique, singulière et pressante me fait unanimement la dépositaire. Dans la formulation de cette exigence de succès quotidiennement adressée, semble se déposer l'attente d'un résultat, d'une réparation ou guérison que l'histoire individuelle de chacun se charge d'honorer, contrarier et toujours inventer tant la rencontre avec le patient est à chaque fois différente, déroutante et surtout pas d'avance écrite, toute entière contenue dans la mise au travail qui s'élabore, ou pas, de part et d'autre...
Il y a la souffrance dyslexique de Magalie pour qui l'écriture ne fait pas sens mais bien obstacle aux succès scolaires, pourtant tant désirés par ses parents, soucieux (trop ?) de la voir là où eux disent avoir échoué...
Je pense aussi au succès d'une voix oesophagienne qui redonne voix (voie ?) à un monsieur privé de communication et qui pensait ne plus reparler...
Je pense également à Sébastien, son bégaiement retors qui le fait échouer à l'oral d'un concours et beaucoup d'autres encore dont les souffrances ne rencontrent pas l'issue favorable escomptée ou cet « heureux dénouement » dont nous parle le Petit Robert.
Le succès thérapeutique, dont je me fais modestement le témoin, n'a rien de facile dans tous les cas, s'inscrivant toujours dans une épaisseur temporelle aléatoire. Comment comprendre qu'il puisse désigner et saluer d'une commune façon la performance sportive d'une équipe ou d'un athlète, l'excellence d'un geste chirurgical ou celle d'une négociation délicate entre puissants dirigeants ? Quelles motivations communes et inconscientes animent l'étudiant avide de lauriers, l'artiste dans le repli de sa création, le comédien ou le chef d'entreprise ambitieux qui, ensemble mais différemment, le poursuivent fébrilement ?
De quelle quête le succès se fait-il le dépositaire ? De quel fantasme, réparation ou manque se fait-il secrètement l'interprète, au-delà de sa puissante et mobilisatrice énergie de vie ?
Autant de questions qu'interpelle ma pratique quotidienne qui font dire aussi que le succès d'une rééducation ne tient pas toujours à l'unique disparition du symptôme (qui motive l'engagement du travail) et que la recherche avide ou systématique de réussite entre, dans bien des cas, en résonance avec les failles narcissiques de notre parcours de vie.
Agnès Hatton