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La psycho
dans Signes & sens
L’école, c’est le zonzon !
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« L'école, c'est le zonzon », « Les profs se sapent comme des sonacs » (les professeurs s'habillent mal), « J'm'en bats la race de vos cours », « C'est pas les cours qui me font kiffer dans la vie », « J'hallucine grave : c'est pas avec l'école que j'vais avoir un taf plus tard »... Ainsi, communiquer nécessite d'abord de se munir du décodeur d'usage pour saisir cette dénonciation collective !
Effet de génération, fait de société, démission parentale, surgavage médiatique, décervelage organisé, on peut trouver tous les alibis à ce désenchantement du milieu scolaire. Face aux professeurs, des « self made human » se révèlent en puissance. Les travers verbaux familiers ont souvent une connotation sociale péjorative. Ces délestages verbaux sont des traductions des nausées sociétales ambiantes. Elles transcrivent des dérives territoriales, idéologiques, culturelles.
L'espace-classe
Les élèves, entrant en classe, sont en état perpétuel de revendication personnelle et collective. Les expressions corporelles, les provocations sont les moyens les plus véhéments de communiquer.
Le professeur donne à se présenter, à voir, à entendre, à apprendre. Le langage est le support privilégié de la transmission des savoirs. Par la langue circule déjà l'autorité. Néanmoins, comme le souligne Roland Barthes : La langue est fasciste. Tout ce qui est permis est obligatoire. La langue est un système qui impose au sujet, de façon contraignante, l'usage du genre masculin et féminin. La langue utilisée, support de communication entre le professeur et les élèves ou entre les élèves, pèse sur les choix, pose des limites, fonctionne comme un système de contraintes interactif n'ayant pas les mêmes pôles de référence en fonction du positionnement des acteurs et de leurs trajectoires personnelles. Le matraquage verbal, la « maltraitance de la langue » de la part des élèves sont peut-être des moyens de détourner cette contrainte omniprésente qui rappelle les règles, les lois de l'école. La prise de parole sauvage pour revendiquer est également un moyen de prendre possession de l'espace, de se mettre en scène pour l'élève, de s'essayer à l'expression sur la scène publique. C'est pourquoi la classe est souvent un exutoire. La violence symbolique se veut être une coagulation des identifications ultérieures. Par exemple, face à l'avènement du portable, les graffitis sur les tables de la salle de classe auraient pu disparaître. Or, toujours omniprésents, comme un moyen de briguer l'autorité, les graffitis ne sont pas des messages de communication (le téléphone portable a su s'imposer dans cette sphère du marché) mais des messages de revendication. D'ailleurs, on n'écrit plus sur les tables, on les grave au vu de cette consistance de contenu. On rend immortelle sa violence, on effrite davantage l'autorité scolaire. La violence est customisée. Elle se donne à voir en relief inversé. Les difficultés ne prennent pas de l'ampleur. Elles s'inscrivent dans les matériaux, elles s'enfoncent dans la chair. Elles imprègnent l'inconscient collectif puisqu'à chaque récréation ou changement de classe, un nouvel adepte est converti et adjoint son mot ou sa signature à celui préexistant sur le support témoin des souffrances, des interrogations, des incertitudes des élèves. La violence symbolique est alors révélatrice d'une expression non régulée des affects, des préjugés, des règles des communautés d'appartenance et de référence. Avec son lot de sanctions, de travaux d'intérêts généraux, l'École ne conforte que l'apprentissage du sursis, de l'immédiateté, de l'impulsion. Les messages disparaissent, les tables redeviennent des supports lisses... Les souffrances et les incertitudes en sursis sont niées et résistent pour s'exprimer sur de futurs matériaux vierges de maux.
C'est ainsi que l' « espace-classe » s'organise comme un espace réinventé selon les codes, les représentations des élèves. Le professeur se sent un intrus, un paria dans cette « zone de non-droit » comme les professeurs se plaisent à la qualifier. Le pouvoir peut alors se substituer à l'autorité comme une arme de self défense. Demander à un élève de quitter la classe est une manière de délégitimer la fonction de professeur et de l'École. La systématisation de cette mise à l'écart, de la sanction, accentue le « flicage » intempestif au détriment de la transmission. Cela tend à intensifier l'exercice du pouvoir, voire à conduire à des abus de pouvoir. La détresse des professeurs et des élèves se mesure, de part et d'autre, par l'intensité des relations conflictuelles qui peuvent perdurer. Au terme de ces micro-expériences quotidiennes, la légitimité de l'autorité du professeur suscite de profondes interrogations personnelles et collectives. Le professeur se confronte à un groupe d'individualités au sein duquel règnent des lois, des mécanismes d'existence, de survie qui s'affichent, qui se lient, qui se délitent au cours d'une année scolaire en fonction d'affinités de génération, sociales, culturelles et, éventuellement, scolaires.
Le déni de l'autorité
Comme le soulignait Rabelais au sujet des moutons de Panurge: Possible n'était les engarder comme vous savez être du mouton le naturel, toujours suivre le premier, quelque part qu'il aille, sorte de suivi d'un leader quasi biologique. Les mécanismes d'empreintes fixent le mouvement ou les réactions à suivre. Néanmoins, cette appartenance organique n'est pas le seul facteur explicatif de cette ordonnance. Le contrat et le consentement sont également les matières premières de la vie sociale.
La légitimité des leaders dans un groupe-classe ne correspond pas toujours aux critères du système scolaire. L'élection des délégués de classe est un événement sans pareil quant à la légitimation de l'autorité scolaire. Ceux qui se présentaient, il n'y a pas si longtemps, correspondaient aux critères du système scolaire : les résultats scolaires probants, l'écoute, une communication avertie entre élèves et professeurs. En réalité, tous les éléments qui peuvent légitimer l'autorité scolaire. Or, un délégué peut toujours en cacher un autre. Le délégué n'est pas celui qui fait autorité mais celui qui sait s'approprier les attributs du pouvoir. C'est celui qui parle plus fort que les autres, qui sait négocier avec les professeurs, qui revendique, qui sait utiliser le culte de l'image et sait faire de l'esprit pour désamorcer les conflits latents. De plus en plus, délégués et leaders charismatiques se superposent. Ils font campagne en faisant « valser» les étiquettes. L'expression du pouvoir parmi les élèves, en usant du cadre scolaire, se veut être des plus mesurées. Quant aux leaders charismatiques, s'y adjoignent des « co-latéraux légitimes » : les réseaux s'organisent : chantage, racket organisé, la prise de parole régulée d'un seul regard par les leaders auto-désignés. La chape de plomb s'abat sur le groupe-classe. La règle du silence est de mise parmi les élèves. C'est ainsi que l'oppression d'un individu ou d'un groupe d'individus sur le groupe-classe peut générer des formes d'obéissance tacite. Un signal, un ordre vont entraîner un comportement réflexe de l'ensemble des acteurs de la classe. Les réflexes sont inculqués, intériorisés par l'ensemble du groupe-classe. L'autorité du professeur est mise à bas dans un contexte où l'ascendant d'élèves sur d'autres est présent, quotidiennement, au regard d'un professeur côtoyé une à deux heures par semaine. À ceci s'ajoute une dimension d'organisation stratégique de constitution des groupes humains qui peuvent susciter des inégalités qui s'accentuent.
Le système scolaire prône une légitimité de l'autorité du professeur comme une prophylaxie à l'expression de ces formes de pouvoir identifiées quand il s'agit, fort souvent, de réagir sur le mode du curatif. Cette rupture de légitimité de l'autorité du professeur entame une crise d'identité des professeurs. Honte d'être professeur, négation de son occupation professionnelle sont autant de « ressentis » qui s'expriment de manière plus ou moins marquée. Car, réagir à cette perte du sens de l'autorité des professeurs, c'est déjà prévenir la crise d'identité de cette profession. Professeur, médiateur, éducateur, animateur ? Autant de casquettes qui se conjuguent. Autant de dénominations convenues pratiquées dans la mise en relation. Cette confusion entre dénominations et pratiques fragilise la définition et la délimitation de l'autorité des professeurs. Et d'ailleurs, la formation des jeunes professeurs et les formations proposées répondent-elles réellement aux réalités de terrain de la Société ?
Une école « idéale » ?
Quand la menace de l'autorité est présente, l'École doit relier les générations, lutter contre l'obsolescence des modes de transmission en prenant en compte la diversité des histoires, des trajectoires individuelles, éveiller les esprits, leur transmettre des outils de décryptage... Au professeur de trouver l'art d'exploiter les questions et de les garder vivantes(2) afin de réhabiliter le désir d'apprendre et réhabiliter le professeur comme l'accoucheur des âmes. Cependant, le système éducatif dans son ensemble accueille des populations flottantes, dont le rapport au savoir est devenu une préoccupation très accessoire. Un type nouveau d'institution molle ( ), à mi-chemin entre maison des jeunes et de la culture, hôpital de jour et asilage social (…) est en train de se mettre en place(3)... Face à une hétérogénéité des publics, cette nécessité s'impose pour contourner la ghettoïsation, valoriser la mixité sociale et culturelle. L'École ne doit pas être « schizophrène » chronique face à la pluralité mais bien entendre la pluralité pour élaborer la construction du processus d'acculturation sociale et culturelle. Le décloisonnement spatial et temporel est d'usage pour réhabiliter l'autorité des professeurs et l'autorité de l'école. Une multifonctionnalité et une intemporalité des espaces scolaires peuvent souligner l'association autour d'un projet commun afin de réenvisager l'école hors contexte, ainsi que la relation des acteurs qui y sont sous-jacentes. Le tout-associatif, l'association informelle est garante d'une réanimation du social. Le rituel, dans une telle configuration, peut se trouver comme un vecteur de réhabilitation. Le rituel, dans sa vocation la plus essentielle, a pour fonction d'apaiser les angoisses, de décharger les émotions non portées par la verbalisation. La ritualisation, par l'instauration des événements hors temps, permet une prévention, une négociation, une résolution des troubles personnels ou collectifs, associant les moments de crise, de conflit, de rupture, de changement, de passage. Le rituel favorise le relâchement ; il permet de se ressourcer en énergie de vie et d'atténuer la sévérité de l'existence. L'École, en usant de cette voie de la ritualisation, orchestre la catharsis des exubérances sociales. Car, l'autorité, c'est moins la qualité d'un Homme qu'une relation entre deux êtres(4)…
Christèle Lamour
1-Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, Chapitre XXIX, p. 363.
2-J. Bruner, L'éducation : entrée dans la culture, Ed. Retz, 1996.
3-Le Monde diplomatique, novembre 2001.
4-M. Barres, L'Ennemi des lois, Paris, Ed.Plon.
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