La psycho
      dans Signes & sens

      La psychanalyse,
      une méthode au service
      des institutions sportives

      La psychanalyse, une méthode au service des institutions sportives
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      Le travail d'élaboration psychique consiste à réfléchir et analyser les difficultés rencontrées dans la pratique liée au sport et les solutions mises en œuvre pour y faire face. Les réussites pourraient servir autant que les difficultés mais sur les terrains de sport, elles suscitent plus l'euphorie que l'analyse. La victoire masque ou gomme souvent des questions que le ratage fait apparaître.

      Des mécanismes qui échappent à l’entraîneur
      En effet, les relaxateurs et préparateurs mentaux sont nombreux à faire des offres de service ou à répondre aux demandes du milieu sportif qui, après les avoir brocardés, positionnent désormais les psy en sujets-supposés-savoir-faire-gagner. Les psychanalystes, eux, sont moins empressés à devancer la demande ou à la susciter. Il est vrai que Freud s'est davantage intéressé à la sublimation par Léonard de Vinci que par les dieux du stade ; Lacan était, dit-on, spectateur aux J.O. de Berlin mais moins pour y apprécier les exploits de Jesse Owens que les phénomènes de foule. Le stade reste un lieu peu fréquenté par les psychanalystes modernes et la compétition fut longtemps réduite à ses travers par un certain discours freudo-marxiste. Pourtant, l'entraîneur qui découvre, comme je l'ai fait, le sens d'un acte manqué, cesse de réduire la contre-performance à un raté de l'action motrice. Il évite de s'égarer dans des changements perpétuels de méthode d'entraînement qui ignorent ce que l'athlète, contre-performant, fait savoir, parfois à son insu, de son désir de sport, de compétition, d'entraînement ou... d'entraîneur. Le meilleur programme d'entraînement ne rendra pas performant, le jour J, l'athlète qui est, seulement, à l'heure de sa meilleure forme physique et mentale... Combien de relations entraîneur-entraîné conflictuelles trouvent, avec la compréhension des mécanismes transférentiels, une explication qui échappe à l'entraîneur n'ayant jamais entendu parler d'amour de transfert ou simplement des mécanismes identificatoires qui structurent la personnalité ?

      Une contre-performance illogique
      M. est une sprinteuse que j'ai entraînée pendant neuf ans. Après dix-huit années de danse, elle renonce à faire une carrière professionnelle et, à vingt-deux ans, prend sa première licence dans un club F.F.A.. Avec deux séances d'entraînement par semaine, elle atteint, en dix mois, les séries des championnats de France sur 100 mètres.
      La saison suivante, nous nous mettons d'accord sur trois séances par semaine. Mais M. refuse toujours les séances de musculation avec charges et continue à se tenir à l'écart de toute séance de préparation psychologique. M. progresse, se qualifie pour les championnats nationaux indoor l'hiver et l'été atteint les demi-finales sur 100 mètres. Tout se passe normalement mais M. se plaint souvent d'être fatiguée ou blessée ; elle est la meilleure cliente du médecin du club ! Cependant, elle ne manque jamais un rendez-vous compétitif. Nous passons à quatre séances par semaine, avec des stages pendant les périodes de vacances scolaires. Progressivement, M. abandonne sa consommation de tabac, ses activités sportives annexes (danse, volley, planche à voile) et accepte de faire de la musculation. Elle décide de s'entraîner sérieusement. Les troisième, quatrième, cinquième saisons hivernales voient M. faire de nouveaux progrès. Elle manque d'un seul centième la finale des championnats nationaux, atteint la finale, puis la troisième place du podium. Sélectionnée en équipe de France, elle participe aux championnats d'Europe où elle progresse encore, devançant la numéro deux française et atteignant les demi-finales européennes. En demi-finale, elle réussit la dixième performance française de tous les temps sur 60 mètres.
      Après de telles saisons hivernales et quatre années de progrès continus sur 60 mètres, chacun imagine alors, que, l'été venu, M. va pulvériser son record sur 100 mètres. Mais, à la surprise générale, elle n'y parvient pas. Son record sur 100 mètres, ne bouge pas en trois ans. M. régresse d'été en été sur 100 mètres jusqu'à la trente-cinquième place nationale alors, qu'à l'opposé, elle progresse, régulièrement, sur 60 mètres. Ceci est tellement inattendu que personne ne pense que cette situation va durer. Chacun s'attend, plutôt, à un déblocage soudain. La fédération et l'entraîneur national invitent M. en stage pour travailler, en vue du relais national de 4 x 100 mètres. Comment imaginer que la sprinteuse numéro deux de l'hiver soit à la trente-cinquième place l'été ?
      Arrive la cinquième saison en plein air et le meeting de sélection pour constituer les équipes de France A et B. M. se qualifie pour la finale A, ce qui ne lui était jamais arrivé sur 100 mètres. Elle est certaine d'obtenir une première sélection estivale, même en terminant dernière de la course, compte tenu des deux équipes à constituer. M. semble au bout de son long tunnel estival.
      Dès le coup de feu du starter, elle est aux avant-postes. À la mi-course, elle lutte avec les meilleures... Une place en équipe de France sur 100 mètres et un record personnel sont au bout de la ligne droite... mais M. s'arrête et s'effondre, victime d'un claquage qui met fin à sa saison.
      La sixième saison est encore plus incompréhensible : M. est incapable de reproduire ses performances de débutante lorsqu'elle s'entraînait deux fois moins. Un ressort semble cassé. La septième saison est celle de la première maternité et M. donne naissance à une petite fille en juillet, puis reprend l'entraînement dès septembre pour préparer sa huitième saison mais elle reste très éloignée de son meilleur niveau d'hiver et d'été. À la neuvième saison, M. a désormais trente ans ; elle prend progressivement ses distances avec la compétition, puis une deuxième grossesse met un terme définitif à sa carrière.
      Comment expliquer une telle différence de performance sur 60 et 100 mètres ? On peut admettre une différence de performance initiale sur deux distances différentes mais proches et aussi que cette différence initiale puisse résister à quatre années d'entraînement ; mais progresser de sept secondes et soixante et onze centièmes à sept secondes et trente-six centièmes sur 60 mètres en trois ans, tout en régressant de onze secondes et soixante et douze centièmes à plus de douze secondes sur 100 mètres, est totalement irrationnel.
      Dans un premier temps, j'ai tenté d'apporter des solutions expertes à cette athlète. C'est-à-dire que j'ai cherché dans les connaissances et les savoirs physiologiques, biomécaniques, psychologiques, des conseils susceptibles d'aider l'athlète. J'ai eu recours aux avis d'autres entraîneurs, plus expérimentés, et à des médecins kinésithérapeutes dont M. faisait grande consommation après chaque contre-performance estivale, qui ont apporté leur savoir, sans résoudre le problème.


      Une interprétation psychanalytique
      Que m'a enseigné la psychanalyse que j'ai rencontrée en partie grâce à M. ? Que ce qui cloche a un sens que le sujet lui-même peut ignorer et qu'il peut dire si quelqu'un l'écoute... non pas avec une oreille d'expert qui va trouver la solution technique ou scientifique, non pas avec un savoir prêt à servir de solution pour l'autre, mais un savoir Autre, un savoir dont on ne se sert pas intentionnellement, un savoir qui émerge d'une parole dite. Cette parole, je l'ai dite sans préméditation, un jour à M. parmi les millions de paroles échangées au cours de ces nombreuses années. Nous étions sur l'autoroute qui nous conduisait au meeting international de Dijon : On dirait, M., que quelque chose t'interdit de briller l'été en plein air alors que l'hiver tout se passe bien en salle ? Pourquoi ne peux-tu pas être la première l'été comme l'hiver, en salle comme en plein air ? Cette question, dont je n'attendais aucune réponse et qui n'a aucun contenu technique ou scientifique, a permis à M. de dire ce qu'elle ne m'avait jamais dit de son histoire personnelle, de sa préférence, étant enfant, pour les jeux de poupée à la maison, jeux de filles, et pour les jeux de garçons, Thierry la Fronde ou Lagardère, dehors, dans la rue... Elle s'est mise à parler de sa naissance, neuf mois après la mort d'un frère, qu'il lui revenait de remplacer pour atténuer la douleur des parents... En quelques kilomètres d'autoroute, M. en avait plus dit que pendant ces quatre années précédentes. C'est à partir de cette conversation que M., qui refusait une simple séance de relaxation, a accepté de voir un psy. Au cours des séances, il est apparu que M. associait l'opposition salle/plein air à un intérieur/extérieur correspondant à ses difficultés d'identification, masculine à l'extérieur et féminine à l'intérieur. Au niveau inconscient, le 60 mètres indoor et le 100 mètres estival avaient des significations qui réveillaient le conflit ancien entre la petite fille qui jouait à la poupée à la maison et Thierry la Fronde, dans la rue, comme les garçons. Dans sa mythologie intime, faire des perfs sur 60 mètres était possible pour M. parce qu'à l'intérieur, en indoor, elle était une petite fille mais sur 100 mètres, en plein air, c'était dangereux car elle était ce garçon manquant à ses parents, ce garçon manqué des jeux de son enfance, de ses problèmes d'adolescente et de jeune adulte dont il lui fallait se débarrasser pour nouer, enfin, une relation stable avec un homme et devenir mère de famille... ce qui se produisit en effet.

      Un outil individuel pour une contribution éthique
      La psychanalyse ne dit pas à l'athlète ou à l'entraîneur le comment faire mais elle peut l'aider à comprendre le pourquoi de leur investissement, de leurs difficultés. Pour l'athlète, confronté à des impasses irrationnelles conduisant à des conduites inopérantes ou à la répétition des contre-performances, sans explication véritable, ce peut être un confort d'y voir clair dans ses actes, même si cette clairvoyance ne se traduit pas toujours par des résultats sportifs. Pour l'entraîneur, comprendre que tout n'est pas toujours possible, et que l'investissement dans la compétition peut être source d'épanouissement ou de difficulté pour un individu, est une nécessité éthique qui, loin de faire obstacle à la réussite, permet, au contraire, de ne pas céder sur le désir d'entraîner et donne à la fonction d'entraîneur toute sa dimension humaine.
      Être le témoin privilégié de tels récits de vie, toujours singuliers dans leur déroulement manifeste mais souvent corrélés à des histoires marquées par le rapport au père, exclut la seule référence au hasard. À côté des méthodes de préparation mentale et psychologique qui, comme les méthodes de préparation physique ou tactique peuvent aider à une mise en facteurs de la performance, il reste une part d'énigme et d'incertitude qu'aucun savoir scientifique ne peut combler quand il s'agit de performance humaine et, a fortiori, de performance sportive où les vainqueurs sont toujours moins nombreux que les participants. Certains entraîneurs semblent parvenus à un moment de leur carrière et de leur vie où ils ne se cherchent plus dans les résultats de leurs athlètes. D'autres, en revanche, souffrent et, plus grave, font souffrir les athlètes qui leur sont confiés. Ils sombrent dans des rivalités imaginaires, voire dans des dérives dangereuses. C'est pour ces derniers que l'approche psychanalytique peut être un outil individuel et pour l'institution sportive une contribution éthique.

       

      Patrice Ragni

       

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