Nous vivions ensemble et je ne le savais pas. Lui le savait et s'était bien gardé de m'en avertir, calé depuis toujours au fond de ma personnalité, comme un chat dans un édredon. La situation était douillette pour lui, je le rencontrais sans le voir chaque fois que j'étais face à un miroir. Etait-ce même ses yeux ou les miens qui me regardaient dans ces moments ? Il me commandait chaque fois qu'un choix se présentait et devait rire quand les questions philosophiques existentielles venaient aux lèvres du conscient, lui qui n'en était encore qu'à l'âge des couches-culottes. Il s'est révélé quand il y a quelques mois, je suis entré en analyse et sa rébellion l'a mis en évidence... mon inconscient...
Depuis, j'essaie de vivre avec lui, en bonne intelligence et c'est ma volonté consciente qui décide. Mais il n'aime pas que l'on vienne lui poser des questions et rechigne à se révéler. Son état de gros bébé lui convient trop bien et sa fainéantise ne l'incite pas à coopérer.
La communication est ouverte
Mais il sait que le processus est lancé et qu'il va devoir me dire une grande partie de ce qu'il a caché depuis si longtemps et qu'il croit être la vérité. Il sait que dorénavant la communication est ouverte et qu'il lui sera difficile de la clore. Alors il communique... à sa façon. Son mécontentement surtout. Comme il maîtrise ma mémoire, il en joue, mais pas jusqu'à me faire commettre de faute, il sait s'arrêter juste avant. Ainsi, il y a quelques jours, j'avais rendez-vous avec mon psy le samedi après-midi ; la veille au soir, mettant un peu d'ordre dans mes affaires, j'avais envisagé de prendre l'argent nécessaire, puis, me disant qu'il serait temps comme à l'habitude de le prendre au moment de partir, je ne l'ai pas fait. Le samedi, ce charmant galopin d'inconscient s'est ingénié à occulter ma mémoire, ne la libérant que lorsque j'étais au quart du trajet, à environ dix kilomètres de la maison : je n'avais pas l'argent. Le demi-tour fut rapide, le chemin inverse encore plus, car je me trouvais alors dans une situation de retard. Il avait atteint son objectif, j'étais
hystérisé et la voiture a rarement été conduite comme ce jour-là. Elle est devenue bolide sur une piste de vitesse, et moi au volant ! Je suis arrivé en avance à mon rendez-vous. L'hystérie s'est nettement révélée lors de la séance abordée sur le thème de...
l'auto-destruction !
Une sensation presque palpable…
Simple anecdote issue d'une bête conjonction de faits quotidiens ? Cela se pourrait si elle était isolée. Or, c'est souvent que mon inconscient me glisse des peaux de banane sous les pas. Comme cette autre fois où ayant consciemment noté mon rendez-vous d'analyse sur mon calepin, il me l'a fait retranscrire à une date plus tardive sur mon agenda du bureau et qu'il m'a maintenu en mémoire sur cette fausse date, jusqu'au jour du vrai rendez-vous où le désir soudain de confronter les deux écrits m'a amené à téléphoner à l'analyste pour avoir confirmation. Pour moi qui n'oublie jamais mes rendez-vous, qui parfois les rappelle même à mes interlocuteurs, c'était un premier choc. Suivi immédiatement par un second : l'argent est à la maison. Certes, un simple distributeur de billets à quelques minutes à pied du bureau aurait pu convenir pour pallier l'oubli, mais je sentais que le fripon aurait été trop content car il aurait une nouvelle fois et en évidence contrôlé le conscient et se serait imposé. Cette sensation m'est apparue presque palpable, mon inconscient me mettait à l'épreuve. J'ai donc signalé mon absence temporaire à mes collègues et je suis retourné à la maison chercher mon argent, que j'ai fourré rapidement dans la poche afin de ne pas m'attarder. Revenu au bureau et dans un moment de calme, j'ai voulu mettre billets et pièces dans mon porte-monnaie, ce qui est plus leur place. Re-choc : le papier monnaie était bien dans la poche, mais pas les pièces. Mon attention étant déjà portée sur cette histoire qui durait depuis une bonne heure, j'ai commencé à me poser des questions sur l'intégrité de ma raison. L'Autre devait être en pleine jouissance, cela va sans dire. J'ai retrouvé les pièces de monnaie sagement groupées sur le siège de la voiture quelques heures plus tard, au moment d'aller honorer le rendez-vous avec mon analyste.
Certes, ces histoires sont banales, à la limite du puéril mais d'une part, je vous ai dit que je vivais en bonne intelligence avec mon inconscient et d'autre part... il en est encore à l'âge des couches-culottes !
Joël Fabretti