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La psycho
dans Signes & sens
Toxicomanie et prévention
L’exégèse psychanalytique
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L’impossible réalité pour une société à poser le problème de la consommation de substance psycho-active comme soluble réside dans les causes qui le sustentent. Ces causes diverses, familiales, sociales, légales, les peurs et le mal-être causal, responsabilisent la société entière.
La consommation de substances illicites, le cannabis, la cocaïne, l’héroïne ou les extasies, n’a pas à être montrée du doigt comme responsable d’un comportement marginal ou délictueux, mais à être intégrée dans une pathologie structurale inhérente à l’individu. Faut-il ne pas omettre la dépendance à l’alcool, au tabac, aux antidépresseurs, aux neuroleptiques légalement vendus dans le commerce ou, mieux encore, remboursés par la sécurité sociale ?
Le déni du « Nom-du-Père »
Apparaît alors une autre société en mal d’identité, une néo-culture de la violence et de la drogue, de la destruction et de l’autodestruction, une néo-société dans laquelle le Père n’est plus forclos dans son propre rôle d’éducateur et de modèle social. Mais qui sont ces enfants, ces jeunes qui n’entendent plus, n’écoutent plus la voix du signifiant-maître ? Seulement ceux des parents de Mai-68, ceux de la libération sexuelle et du joint, ceux qui aujourd’hui dictent la loi, jugent, ordonnent, agitent les slogans de la culpabilité et qui assènent: « Surtout ne faites pas comme nous, faites ce qu’on vous dit ». Lacan, s’adressant en cette année-là aux étudiants, comme le rapporte Elisabeth Roudinesco, leur annonça que le pavé et la bombe lacrymogène remplissaient la fonction de l’objet « a ». Aujourd’hui ce sont les voitures qui brûlent toutes les nuits dans nos rues, le mauvais contenant ou la mauvaise mère objet de haine et la dope qui circulent entre tant de mains, objet de convoitise et d’amour qui occupe la fonction de cet objet « a ». Les trompettes de Jéricho, victimes de leur angoisse, ne manqueront pas de proclamer haut et fort : « Ce sont les enfants des autres ! » Oui, peut-être ! Mais alors, faut-il encore continuer à considérer ses enfants comme objets de jouissance des parents ou comme sujets d’une société et se mobiliser pour les responsabiliser ? L’objet de désir « a » n’est qu’un leurre, une duperie qui plonge le sujet dans les abysses de sa subjectivité à la recherche de « l’objet » à jamais perdu. La consommation de toutes substances psychotropes vient altérer notre perception consciente de la réalité et du Symbolique pour se tourner vers un « ailleurs », l’intemporalité quasi psychotique. Les valeurs les plus élémentaires où le corps même est nié et où la jouissance de l’objet interdit prend toute son ampleur, sa force, dans le déni du « Nom-du-Père ». Le clivage de notre société entre la bonne société moraliste et dirigeante qui ne se sent pas concernée, fermant les yeux avec une indulgence passive, imbue de son supposé-savoir et la mauvaise société, celle de la drogue, du chômage, la néo-culture du rien où seules la violence et l’illusion font loi, ce fossé ne cesse de s’élargir où chacun s’épie de son ghetto ou de son home résidentiel. Une partie de la société se psychotise, c’est la coupure, la fracture sociale. L’écart ne cesse de se creuser entre le Réel, ce lieu de l’être et le Symbolique, entre la loi et le délire. La réalité psychique du sujet divisé de l’inconscient vient faire choir le signifiant-maître, projetant le sujet dans une réalité désirante et inextinguible où la pulsion de mort, de fait, engloutit le désir de vivre.
L'insuffisance de l'amour et de la volonté
Alors, y a-t-il des mesures prophylactiques pour endiguer cette déferlante de la toxicomanie et de la violence ? On ne peut isoler un seul des problèmes car ce serait dissocier une même pathologie et oublier les causes qui l’induisent. Ce mal qui nous accable, en ce début de siècle, concerne toutes les instances sociales responsables : parentales, scolaires, éducatives, locales et l’État. C’est l’affaire de tous. Mais n’est-ce pas déjà entretenir ce mal que de vouloir expliquer à l’autre avec des mots qu’il ne peut plus entendre ? La structure psychique de l’individu se forme entre 0 et 6 ans. Ainsi, que peut-on faire entendre à des adolescents de 12 à 20 ans en manque d’un vertige, d’un « taf » ou d’une dose ? A-t-on écouté seulement le discours du toxicomane ? Oh non, pas celui des mots qu’il articule, mais ce mi-dire qui se cache derrière le discours du sujet barré, celui du refoulé ou de la forclusion ? Tous les acteurs sociaux jouant un rôle ne sont pas formés à interpréter ce mi-dire, l’amour et la volonté ne suffisant plus.
Notre culture rationaliste et scientifique, qui se veut tant objective, s’attaque toujours de front au symptôme. Il n’y a pas de réalité objective. C’est un fait de culture des XVIIème et XVIIIème siècles où seules la raison et la conscience avaient droit de référence. Aujourd’hui encore, toute son influence s’impose à la connaissance de l’autre, niant la subjectivité et l’émotionnel de l’individu dans son comportement. Les organismes responsables observent, mesurent, comparent, classifient le symptôme qui n’est que le signe du grand Autre.
Les paradoxes
Re-venir à une réalité sociale suppose la ré-intégration d’un corps identifié, d’un contenant dans lequel le sujet se juge responsable de ses actes et de son dire. S’il y a un travail à faire, il est en amont du symptôme : apprendre aux parents à être parents. Le complexe paternel est la relation ambivalente, pour l’enfant, d’amour et de haine pour le père. Le père peut être perçu faible, en échec social ou affectif, tout comme perçu trop despotique. Dans les deux cas, le modèle identitaire est faussé et ne conduit pas à une structuration du sujet. Le signifiant-maître du Nom-du-Père ne joue plus son rôle social. La faculté de l’individu à structurer sa vie, en fonction des principes et des préceptes, réside dans la souveraineté de la loi érigée par le père, assimilée déjà dans d’autres stades de l’enfance, sur lesquels un regard vigilant s’impose. Tout modèle de prévention doit avoir également pour mission de valoriser l’identité sociale des parents, de les initier autant que les enfants à la citoyenneté et à la vie publique. Y a-t-il une volonté suffisante pour seulement contrôler ce phénomène d’absorption de drogues psycho-actives sans parler de l’éradiquer et puis le peut-on ? Ce mal de vivre s’inscrit déjà dans l’être dès la naissance, appelé « traumatisme de la naissance » ou « angoisse de dissociation ». Aucune substance psychotrope ni paradis artificiel ne viendront dissoudre cette angoisse morbide, ni la souffrance de vivre. Ce désir de retour à la source nourricière, à l’état fœtal, est une particularité de la structure psychique du sujet, inscrite dans son inconscient. C’est une lutte constante entre la pulsion de mort et la pulsion de vie. La dépénalisation des drogues semble arbitrairement liée au risque et renvoie le sujet à « ça » responsabilité. Ce projet soulève bien des oppositions, tant il vient bouleverser nos concepts éducatifs et culturels. Plus besoin de se leurrer avec des discours moralistes ou pseudo scientifiques sous prétexte d’avoir bonne conscience. Osons regarder les paradoxes de la vente légale du tabac et de l’alcool avec leurs conséquences et les moyens mis en œuvre pour la prévention des risques. Responsabiliser ou ne pas responsabiliser, légaliser ou ne pas légaliser constituent un problème de choix de société. Mais le bon choix, quel est-il au « milieu » d’une société qui se transmue, rejette ses acquis, inverse ses valeurs, où le bon sens lui-même devient contradictoire ? Si chaque culture, chaque génération produit un grand Autre différent, c’est aussi de ce lieu qu’émerge le symptôme auquel l’Être de chair affecte la souffrance de son époque.
Jacques Roux
La bonne parole ? Pour qui ?
Les donneurs de leçons, ceux qui s’octroient pour beau rôle de conduire la société vers un monde meilleur à ce qu’ils disent (les fumeurs de « havanes », les Grandgousiers rabelaisiens ou les inconditionnels des prescriptions du Maître), s’appuient sur des sophismes qui les déculpabilisent de leur propre dépendance licite. Cette « dépendance nourricière » n’est que l’illusion d’un besoin pour combler un vide qu’une société accentue par son refus d’admettre cette dépendance comme une pathologie. Or ceux qui jugent, condamnent, bannissent le comportement toxicomaniaque sont concernés souvent par la même fixation orale, ne faisant que cliver davantage une société qui se pense paternaliste et apostolique, porteuse de la loi et de la bonne parole. Mais pour qui ?
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