Plus aucune société moderne ne possède aujourd’hui une culture totalement homogène. Comment alors cohabiter harmonieusement entre êtres différents ? Devons-nous vivre ensemble en mettant de côté nos similarités ou opter pour le communautarisme. Pouvons-nous garder nos particularités sans nous perdre ?
Jamais les minorités sexuelles, religieuses et culturelles n’ont autant affiché leur volonté d’imposer leurs différences. Ces revendications peuvent parfois mener jusqu’au communitarisme. Or, la fragmentation de l’espace public en plusieurs espaces est aussi loin du multiculturalisme que l’homogénéisation forcée. Toutefois, ces deux phénomènes peuvent se nourrir l’un l’autre. Le nationalisme culturel ne serait pas si puissant s’il n’apparaissait pas depuis un siècle comme une réponse à la globalisation, observe le sociologue Alain Touraine. La mondialisation ne combat-elle pas les cultures locales, les rabaissant au rang d’attraction ? Ne cherche-t-elle pas à imposer un seul univers culturel dans le monde entier ?
Les carcans sociaux
Le politologue américain Benjamin R. Barber va plus loin, en associant la défense des particularismes (réels ou fabriqués) à la globalisation d’une sous-culture,
McWorld, contre la démocratie : à savoir la véritable liberté. Effectivement, la société multiculturelle à laquelle nous aspirons aujourd’hui n’est ni une société multicommunautaire, ni une société homogène. Le totalitarisme n’est-il pas l’exigence d’une pureté ethnique, culturelle ou religieuse ? Il faut donc combattre ces deux attitudes, qui représentent chacune un réel danger pour l’identité et la liberté du plus grand nombre. Dans le cas de la différence d’orientation sexuelle, même si la société est devenue beaucoup plus tolérante, il reste malaisé, surtout pour un jeune, de s’accepter, puis de se faire accepter par les autres. Encore que dans cette tranche d’âge, les individus ont la chance d’appartenir à une communauté relativement unie et bien représentée. Mais
quid de la première minorité au monde : les handicapés, physiques et mentaux ? Le handicap fait peur car il nous renvoie à notre propre fragilité. Pourtant, comme le souligne encore Alain Touraine,
ce qui menace aujourd’hui le plus le sujet, c’est la société de masse où les êtres sont avant tout à la recherche d’une libération pulsionnelle. Le danger de cette posture est qu’elle peut conduire les personnes à ne voir en autrui qu’un objet de plaisir. À trop vouloir échapper aux carcans sociaux, comme le fait la société française depuis plusieurs décennies, ne risque-t-on pas de revenir aux rapports les plus basiques : la domination du plus fort ? La soumission à la société de consommation ou à l’assouvissement de ses plaisirs vaut-elle vraiment mieux que la soumission à Dieu et aux modèles sociaux ?
Une société multiculturelle ?
Selon le psychanalyste et prêtre Tony Anatrella,
l’individu d’aujourd’hui est fragilisé par l’idéologie prônant l’assouvissement des désirs avant tout autre chose. Dépourvu de repères, souffrant d’une éducation défaillante trop permissive, il ne sait plus comment occuper le vide de son espace intérieur Car le problème de la discrimination ne se joue pas qu’au niveau collectif. Du point de vue individuel, imposer sa différence n’est pas plus aisé. Surtout quand le sujet doit imposer ses particularités dès le plus jeune âge, quand les singularités sont le plus mal tolérées. Dès l’âge de trois ans, les enfants commencent à discriminer leurs pairs, comme peuvent le constater tous les adultes, chargés de les surveiller ! Enfants obèses, handicapés, laids, ou simplement trop timides, trop pauvres, trop farfelus ou trop sérieux, ils ont tôt fait de créer l’unité du groupe contre eux. Ainsi, la première utilité des différences permet la cohésion d’une majorité… Mais quel avenir pour ceux qui ont à souffrir de cette singularité ? Ceux qui auront surmonté ces épreuves et appris à faire respecter leurs idées, leur personnalité ou leur statut physique, s’avèreront plus fort que les autres, grâce au phénomène de sublimation. Et les autres plus fragiles ? L’ostracisme dont ils font l’objet peut saper leur confiance en eux-mêmes et les enfermer dans un statut de victime dont ils auront bien du mal à s’extraire, à l’instar de certains groupes communautaires. Même si c’est possible… C’est d’ailleurs ce qu’explique Chantal Calatayud, psychanalyste et auteur de l’ouvrage « Accepter l’autre tel qu’il est », paru aux Éditions Jouvence :
Apprendre à écouter l’autre, explique-t-elle,
ce n’est pas lui attribuer pulsionnellement d’intention malveillante. Apprendre à dire oui revient à reconnaître notre alter ego comme vecteur de nos futurs défis. Ces nouvelles énergies, accompagnées de notre semblable, structurent la relation comme un lien durable et évolutif. Ces échanges reconduits réduisent, avec succès, nos terrorismes affectifs. Cette flexibilité relie et sert les intérêts communs. Et puisque l’union fait la force, ajoute-t-elle,
cette complémentarité vraie et vivante authentifie qu’optimiser notre qualité de vie ne peut s’envisager autrement qu’en terme d’accession aux messages personnels de l’autre. S’il est difficile d’harmoniser nos élans instinctifs, découle de ce choix la joie de vivre. L’attention et l’accueil portés à autrui récompense tous nos efforts. Mais, conclut Chantal Calatayud,
encore faut-il aimer les récompenses…
Francis Fernod