Thierry le Gouès, photographe de mode, aime à fixer son objectif sur des corps féminins dénudés, noirs dont il dit que ces femmes « présentent un maintien beaucoup plus puissant que les Blanches ».
Ce point de vue induit-il que les dérives esclavagistes ont poussé ces peuples victimes à se redresser, d'où le port sculptural qui les caractérise ? Il faut dire que l'esclavage sévissait déjà il y a plus de quatre mille ans comme une tablette sumérienne, propriété du Musée des Antiquités Orientales d'Istanbul, l'atteste.
Outre le profil économique inhérent au principe de la servitude, peut-on réduire l'esclavagisme à une histoire de couleur de peau, de différence et de toute façon, pourquoi et comment un inconscient collectif a-t-il pu permettre ce rapport dominant-dominé ?
Freud a utilisé l'expression « couple d'opposés » pour mettre en exergue le grand principe d'opposition qui existe en chaque individu.
C'est dès 1905 et dans les « Trois essais sur la théorie de la sexualité » qu'il intègre pour la première fois ce terme qui illustre à quel point le psychisme peut être pervers et sadique. L'être humain est donc fondamentalement dualiste et conflictualisant.
Ainsi, l'esclavage très répandu jusqu'au dix-neuvième siècle était-il l'utilisation, dans le monde du travail et par voie de conséquence de l'économie, du couple bourreau-victime. Et Werner Sombart de constater : « Nous sommes devenus riches parce que des races entières sont mortes pour nous : c'est pour nous que des continents ont été dépeuplés ».
Le monde a « évolué » dit-on mais en apparence car la société continue à classer, à « catégoriser » les êtres humains. Le racisme n'est en fait que le miroir d'un racisme social et l'homme demeurant intimement un conquérant et un prédateur qui pose ses combats en terme de rivalité, c'est bien là le drame...
De fait, une des grandes oppositions de l'homme pour Freud est la « démoniaque » opposition pulsion de vie - pulsion de mort, c'est-à-dire une pulsion cherchant à conserver et une pulsion voulant détruire. Sadisme et masochisme voisinent incluant l'autre dans une relation d'emprise.
Le fantasme gouverne donc le monde au point que durant longtemps, et notamment les Américains de race blanche, ont estimé que les Noirs étaient des êtres inférieurs. La différence introduirait-elle alors la notion de « mauvais objet » et déclencherait-elle une angoisse telle qu'il faille se défendre de l'agresseur potentiel en exerçant un pouvoir sur lui ?
Le pouvoir implicite la notion de danger et renvoie, en psychanalyse, à la particularité du stade anal, « siège » prédominant des pulsions sadiques. D'ailleurs, si colonie et colon sont issus du latin, si le terme colon signifie « cultivateur d'une terre dont le loyer est payé en nature », le rajout d'un simple accent circonflexe suffit à apprécier l'ampleur projective du phénomène colonialiste. Les esclaves ont donc courbé l'échine pendant des siècles mais, indépendamment d'un anticolonialisme qui a heureusement toujours existé, ces mêmes esclaves possédaient tout au fond d'eux ce que Freud a nommé le narcissisme : « le sujet commence par se prendre lui-même, son propre corps, comme objet d'amour ». Mais alors comment peut-on devenir l'esclave d'un autre et, finalement, est-on une seule seconde l'esclave de l'autre ?
En apparence bien sûr mais la position d'apparente soumission a un sens pour l'inconscient et pour les civilisations. Il s'agit de la place que nous choisissons inconsciemment d'occuper et quelle que soit cette place, elle peut être évolutive. Nous avons tous été soumis à un moment ou à un autre et même si cela a été douloureux, ce mécanisme a permis que la compréhension jaillisse, une compréhension intimement liée à soi, à laquelle personne d'autre que soi ne peut accéder. Vouloir limiter la liberté individuelle apparaît ainsi comme étant du registre du leurre. D'ailleurs, Thierry le Gouès ne dit-il pas que la peau des modèles noirs « renvoie merveilleusement la lumière »...
Et si la psychanalyse permet de s'interroger sur la notion de différence, il ne s'agit que de la différence identitaire masculin-féminin qui va permettre à chacun d'exister. La psychanalyse peut aider l'humanité à sortir de ses erreurs et de ses errances mais encore faudrait-il qu'elle ne soit pas elle-même abordée en termes de racisme, suprême injustice lorsque l'on sait que cette méthode libère le moi de toute emprise hiérarchique et restitue à l'être humain son rang légitime de sujet, soit sa dignité.
Chantal Calatayud