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La psycho
dans Signes & sens
Quand le succès débouche
sur « l'insu que sait… » |
Le « succès », le psychanalyste, au fond, ne sait pas très bien ce que c'est. Quand ça le vise, il peut être quelquefois surpris. Aux dires de tous, le succès peut être évident mais, pour le sujet concerné, cela peut s'avérer l'être bien moins...
II y a quelques années, j'ai été présenté à un chef de service d'un grand hôpital parisien afin d'y tenir ma place de psychanalyste, c'est-à-dire d'y exercer la seule fonction qui puisse, pour ledit analyste, être signifiante de quelque chose comme d'un « succès » (un, pas le) : la fonction de faire naître à lui-même un sujet, le sujet de la parole.
La « roche tarpéienne » et le « Capitole »
Ce service était – et est toujours – un service de chirurgie gynécologique orienté vers la cancérologie. Violence, pas que symbolique du milieu. Chirurgiens remarquables mais peu diserts et pressés, soignants dévoués et débordés, d'où cet énorme travail pour le psychanalyste. Côté sujets : les patientes, bien sûr et avant tout, mais quelquefois aussi les médecins et les soignants. Cependant, au fil du temps, la confiance, le retour des effets d'un certain travail, l'intensif accompagnement des patientes comme du personnel chirurgical, médical (les très importants anesthésistes) et soignant, l'acceptation-reconnaissance d'une communication délivrée lors d'un colloque international de cancérologie assez réputé, tout semblait sur place pour affirmer, aux dires de tous, que le « succès » de la présence, de la place et de la fonction du psychanalyste dans ce service était évident, démontré, acquis... Eh bien non ! La « roche tarpéienne » n'est jamais si proche du « Capitole » !
L’amour des uns suscite la haine des autres…
À l'occasion d'un changement de Chef de service, pour cause de retraite, le nouveau Chef de service dut mettre à plat tous les dossiers avec la direction administrative de l'hôpital, tous les dossiers de service, y compris le mien, un dossier de «bénévole»... Il se trouva que l'administration, dans sa nouvelle politique, avait décidé de supprimer dorénavant tout bénévolat de professionnels. À l'heure du plan de lutte contre le cancer du Président de la République, redoublé localement du bonheur dudit « succès » ici présenté, l'administration, en son pouvoir régalien, avait pris sa décision et, rien n'y fit. La direction demanda au nouveau Chef de service mon retrait pur et simple du service, en somme mon départ immédiat imposé. Quand le succès débouche sur « l'insu que sait... », disais-je. Jacques Lacan appela une année son séminaire public : « L'insu que sait de l'une bévue s'aile à mourre », que le lecteur, bien sûr, peut lire comme il lui convient. Celle-ci, entre autres, que « l'insuccès de l'inconscient (Lacan, à la fois, appelait l'inconscient freudien, « l'une bévue » ; il avait donc renommé l'inconscient !) c'est l'amour », c'est-à-dire, pour ce qui nous concerne ici, à trop aimer son analyste et le dire à l'administration, le service de chirurgie gynécologique de cet hôpital parisien, par son porte-parole qu'était le nouveau Chef de service, s'est repris en pleine figure, en quelque sorte, la réponse dite du berger à la bergère : « Vous l'aimez tant que ça ? Vous le trouvez formidable ? Eh bien, qu'il parte ! »… L'amour des uns suscite, toute proche, toute proche, par un simple retournement (wendung, disait Freud), la haine des autres. Même tabac, même tissu...
Jean-Michel Louka
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