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La psycho
dans Signes & sens
Que reste-t-il de nos fantasmes ?
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Oseriez-vous parler de vos fantasmes ? Voici un sujet tabou que peu de personnes tentent d’aborder, si ce n’est sous forme de lazzi ou d’expressions frustes. En fait, derrière toutes ces images béotiennes, se cache la multitude de nos désirs et, plus originellement, « la scène primitive », c’est-à-dire la scène de rapports sexuels des parents, vue, entendue ou fantasmée par l’enfant ; il s’agit, structurellement, d’une espèce de moteur puissant, mis au service de l’imaginaire.
Sigmund Freud, lors de ses premières publications, utilisait de manière assez large le mot fantasme comme étant un scénario imaginaire où sont impliquées, inconsciemment donc, une ou plusieurs personnes mettant en scène un désir déguisé. Au cours de ses recherches, il objectivera que le fantasme, en grande partie, tient compte de la conception du sujet et de son origine ; c’est ce qu’il nommera « les fantasmes originaires », dont font partie « la scène primitive », « le fantasme de séduction », « le fantasme de castration ». La particularité du caractère traumatique du fantasme concerne l’émoi sexuel qu’il provoque, engendrant, de ce fait, un refoulement restant actif dans l’inconscient de l’adulte. Mais le fantasme a sa logique, comme l’a souligné Jacques Lacan, protégeant le sujet du réel, vécu comme insupportable et qu’il tentera d’oublier ; ceci, par ailleurs, ne peut que favoriser la formation du non-dit.
Quatre condisciples, Magali (graphiste), Joël (fonctionnaire), Laurence (médecin), Edwin (enseignant), ont accepté de parler des fantasmes, sujet difficile dans lequel chacun édulcore ses dires sous les effets d’une palpable culpabilité…
Laurence :
C’est certainement, comme pour tout le monde, un synopsis imaginaire et indécent auquel je participe activement. Lorsque le sujet est lancé, dans une assemblée quelle qu’elle soit, souvent les yeux des protagonistes pétillent de curiosité ; parler de ses fantasmes soulève gêne et culpabilité, mais écouter ceux des autres aiguise la jouissance.
Magali :
C’est vrai, qui n’a pas eu de fantasmes au moins une fois dans sa vie ? Ce n’est lié ni à l’âge, ni à la culture !
Joël :
Je pense que les fantasmes compulsent souvent dans l’existence mais sont très vite refoulés parce qu’insupportables en raison d’une morale inconsciente. Sans doute qu’avec le temps, les fantasmes prennent aussi quelques rides et qu’ils se font moins rudes pour les chastes esprits. Il faut dire que, comme pour les rêves, on nage en pleines eaux troubles.
Edwin :
Le fantasme est à la fois intemporel et universel, c’est-à-dire qu’il situe le sujet au moment de l’apparition de son histoire ou de sa procréation ; il y a peut-être comme une agression sadomasochiste dans le processus.
Laurence :
Je pense que c’est surtout quelque chose de très personnel, lié aux mécanismes de défense propres à chacun.
Magali :
En somme, il s’agit bien d’un désir inconscient. Ҫa me rappelle des « petites mémés » qui craignaient de se rendre au cimetière par peur d’être violées ! Allez savoir par qui ?
Joël :
Hé ! Hé ! Elles désiraient tout simplement prendre la place de la mère dans la « scène primitive ». N’oublions pas que la « scène primitive » a été perçue par l’enfant, la plupart du temps, comme une scène de violence de la part du père sur la mère. Le désir incestueux n’ayant pu atteindre « l’expérience de satisfaction », le sujet hallucine son objet manquant. L’hallucination peut prendre des formes coïtales semblables à des aberrations sataniques ou filer dans la métaphore.
Edwin :
La peur du viol chez ces dames est quand même très différente du fantasme en tant que désir sexuel, même licencieux !
Laurence :
Précieux langage, Edwin ! Puisque tu évoques le viol, j’ai en mémoire le cas d’une femme d’une trentaine d’années, placée durant son enfance, par la DDASS, dans plusieurs familles d’accueil et qui m’a relaté avoir été violée dans chacune d’elle…
Magali :
Alors, fantasme ou réalité ? Seule l’analyse de cette personne pourrait nous le dire.
Joël :
La peur d’être violée ou le désir d’être violée dans le fantasme féminin sont liés à l’objet (en l’occurrence le père) qui lui échappe. C’est la place impossible de la mère qui constitue le désir. Autrement dit, là où il y a désir, il y a interdit. On n’aime que ce que l’on n’a pas. Lacan a écrit que « le fantasme est le soutien du désir » et que « ce n’est pas l’objet qui est le soutien du désir ».
Magali :
Plus précisément, la peur d’être violée, c’est le « renversement du désir en son contraire », comme Freud l’a expliqué dans « Les mécanismes de défense du moi ». Mais qu’en est-il des fantasmes masculins, Messieurs, car vous aimez bien parler des femmes, mais de vous-mêmes ?
Edwin :
Si l’on reprend ce que vient de dire Joël, l’homme a toujours le rôle du violeur dans le fantasme. C’est donc cette place impossible du père qui soutient le désir. Je reconnais que l’homme n’ose pas toujours parler de ses fantasmes lorsqu’ils surgissent au conscient, mais regardons la réalité en face, elle est plus vraie que jamais : la purge ethnique du Kosovo a montré que les fantasmes des soldats et miliciens serbes pouvaient s’inscrire dans une pseudo réalité sous le regard bienveillant et jubilatoire du « Père » Milosevic. Entre fantasme et réalité, se situe le Nom-du-Père.
Laurence :
« La scène primitive » est « engrammée » en chacun de nous, au même titre que le fantasme de castration et de séduction. Ces fantasmes constituent l’organisation fantasmatique du sujet sans laquelle tout désir n’aurait d’exister. C’est ce qui différencie l’homme de l’animal, mais pas toujours comme on vient de le voir… Je garde le souvenir d’un père très séduisant avec lequel je rêvais de partir en week-end, tous les deux exclusivement ; c’était mon fantasme.
Edwin :
C’est bien sage pour un fantasme, ce désir de séduire son père pour une petite fille. Ҫa ressemble aux Contes de Perrault. Papa, c’était le prince charmant !
Joël :
Ma fille de vingt-trois ans m’a relaté la semaine dernière qu’elle se souvenait qu’à l’âge de six ans, elle avait vu sa mère faire un strip-tease devant une assemblée de gens et que ça l’avait profondément marquée. En réalité, il s’agissait de l’anniversaire de ma femme qui, en petite tenue certes, essayait les vêtements que nous venions de lui offrir !
Magali :
C’est une rivalité œdipienne avec sa mère. C’est là encore cette place impossible qu’elle convoitait. Cela peut paraître innocent mais, dans la vie des adultes, les conflits sociaux ou affectifs surgissent chaque fois que les fantasmes œdipiens ne sont pas résolus.
Joël :
Les fantasmes originaires constituent la structure psychique composée des désirs primitifs inconscients : la création ou la conception pour « la scène primitive », la différence des sexes dans le fantasme de castration, la sexualité pour le fantasme de séduction. Selon Freud, les fantasmes originaires s’inscrivent dans une dimension phylogénique ou ontogénique, présente déjà à l’avènement de l’enfant. C’est la sublimation des fantasmes originaires qui donnera sens à la vie de chacun…
… Bien que nos quatre comparses aient eu maintes fois la possibilité d’exprimer les images secrètes de leur inconscient, l’aveu se défile devant l’angoisse de castration et perd son caractère abrupt, preuve qu’il n’est pas facile d’avouer l’inavouable. Et pourtant, ce n’est que du fantasme… S’il est inavouable, soit innommable, c’est parce que le fantasme a cette particularité qu’il est une idée abstraite, inexacte et plus ou moins « infidèle » d’une certaine réalité extérieure que le sujet s’approprie, en partie, sous forme de scenarii imaginaires liés à la question des origines du sujet lui-même ou de la différence des sexes, sources de plaisir. Ces fantasmes sont des représentations approximatives puisqu’il s’agit d’opérer un changement entre l’image et l’affect ; l’incomplétude de cette idée fait que le fantasme en découlant devient inexplicable, non interprétable, de par son contenu qui sera refoulé.
Freud de dire : « Des désirs non satisfaits sont les promoteurs des fantasmes ; tout fantasme est la réalisation d’un désir, le fantasme vient corriger la réalité qui ne donne pas satisfaction ». Le sujet tend alors à s’inventer une histoire et évite ainsi toute forme de perte ou d’interdits. Mais, les conditions imposées par la réalité extérieure font, toutefois, que nombre d’épreuves parcourent la vie du sujet, le frustrant ainsi, imposant certaines limites hors du champ du fantasme qui, au départ, n’en possède pas puisqu’il se déplace librement d’une représentation à une autre. Lacan souligne qu’un analysant, en fin de cure, devrait avoir fait le tour du fantasme, se détachant du désir sexuel porté à l’objet “a”, qui ne serait plus soumis au refoulement, et investir alors d’autres modes d’élaboration et de construction, non conflictualisés, pour le sujet…
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