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La psycho
dans Signes & sens
Quel avenir
pour la maladie d’Alzheimer ?
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Si Aloïs Alzheimer, médecin psychiatre, neurologue et neuropathologiste allemand, savait que son nom est tant usité un siècle après sa découverte sur l’ensemble de la planète, qu’en penserait-il ? Son nom, qui définit une maladie considérée comme neurodégénérative, est associé à un problème de mémoire. La lecture de la pathologie et la prise en charge des patients dits « Alzheimer » posent question. Il y a 100 ans, l’affrontement entre ceux qui déterminaient l’étiologie de la maladie et ceux qui travaillaient sur le sens à donner à la maladie et l’accompagnement du patient existait déjà.
Né en 1864 en Bavière, Aloïs Alzheimer fait ses études médicales à Berlin, Wurtzbourg, puis Francfort-sur-le-Main. Il passe sa thèse dans cette dernière ville en 1887. Il se marie en 1895 et a trois enfants. Sa femme meurt en 1901. En 1888, il commence sa carrière comme médecin assistant à l’hôpital spécialisé des maladies mentales et épileptiques de Francfort. Il s’intéresse particulièrement à la démence d’origine dégénérative ou vasculaire, mais ses recherches portent aussi sur les psychoses, la psychiatrie judiciaire, l’épilepsie. C’est son collègue Nissl, qui partage son intérêt pour la neuropathologie des troubles de la démence, qui fournit à Alzheimer les nouvelles techniques histologiques pour l’étude des pathologies nerveuses. Il fonde l’école de neuropathologie de Munich et est nommé professeur de psychiatrie et directeur de la clinique psychiatrique de Breslau. Il est alors à l’apogée de sa carrière. Mais le neuropsychiatre, alors âgé de 51 ans, est bientôt touché par une affection dégénérative dont il meurt en décembre 1915…
La maladie d’Alzheimer
Aloïs Alzheimer va prendre en charge Madame Auguste D. en novembre 1901. Cette patiente, de 48 ans, est admise à l’hôpital de Francfort, atteinte d’une démence. Elle présente une symptomatologie variée, associant une dégradation progressive de ses facultés cognitives : des difficultés de mémoire et de compréhension, une aphasie, une désorientation, des comportements incohérents et imprévisibles, des hallucinations, de la confusion mentale et une inaptitude psychosociale. Voici un extrait du dossier médical : Elle s’assoit sur son lit, l’air hébété. Quel est votre nom ? Auguste. Votre nom de famille ? Auguste. Quel est le nom de votre mari ? Auguste, je crois. Votre mari ? Ah, mon mari. Elle semble ne pas comprendre la question. Êtes-vous mariée ? À Auguste. Madame D. ? Oui, Oui, Auguste D… L’examen au microscope du cerveau de la patiente révèle la présence, dans le cortex cérébral, de lésions analogues à celles de la démence sénile : les plaques séniles. Alzheimer met également en évidence les deux types de lésions cérébrales caractéristiques de la maladie qui fera sa renommée : la dégénérescence neurofibrillaire et les amas anormaux de fibrilles dans les neurones. Il décrit pour la première fois les symptômes et l’analyse histologique du cerveau en novembre 1906, lors de la 37ème Conférence des psychiatres allemands, en rapportant l’observation d’une femme de 51 ans qui a présenté un délire de jalousie, suivi d’une désintégration des fonctions intellectuelles. C’est le professeur Emil Kraepelin (1855-1926), inventeur de la classification des troubles mentaux, qui, dans son influent « Traité de Psychiatrie », individualise la maladie d’Alzheimer et lui donne le nom d’Aloïs Alzheimer. Il s’agit pour lui d’une démence du sujet jeune, rare et dégénérative, laissant au terme de démence sénile les démences vasculaires du sujet âgé. A l’époque, l’état de démence des personnes âgées est considéré comme normal et lié à l’usure du temps, à l’artériosclérose !
L’état des lieux aujourd’hui
C’est seulement à la fin du XXème siècle que les connaissances de cette maladie vont évoluer… Elle n’est plus considérée comme maladie du sujet jeune mais, au contraire, comme une maladie des sujets âgés. Depuis peu, de nombreuses équipes médicales, notamment aux États-Unis, ont orienté leurs recherches sur son identification, et la prise en charge de ces malades reste actuellement la principale préoccupation. Il est à noter que la maladie d’Alzheimer atteint, de façon plus ou moins marquée, 1,5 à 2 % des personnes âgées de plus de 75 ans, et 10 % de celles qui ont dépassé 90 ans. Mais derrière les chiffres, ce qui nous intéresse, c’est plutôt la difficulté de mettre en place un accompagnement à deux niveaux : la difficulté de faire face à ce temps de la vieillesse et les priorités à développer dans le domaine de la santé mentale. Il s’agit de penser et d’accepter « Le Déclin de la vie psychique », en référence à l’ouvrage de C. Péruchon. Il est à rappeler aussi que les gouvernements de différents pays ont mis en place des Plans Alzheimer qui, péniblement, font avancer la prise en charge des personnes concernées. En outre, en France, depuis le décret d’octobre 2004, la maladie d’Alzheimer est reconnue ALD, c’est-à-dire comme une affection de longue durée.
Perte de mémoire ou mécanisme de défense ?
Lorsqu’on s’interroge sur les symptômes que présentent les sujets étiquetés « Alzheimer », on objective des troubles en lien avec un problème de mémoire. Comme si une forme de rupture, de schizure, s’était imposée à eux : ils peuvent ne plus reconnaître les familiers, voire ne plus se reconnaître eux-mêmes. Dans cette impossibilité à se reconnaître, le Stade du miroir, postulé par le psychanalyste Jacques Lacan, s’effondre. Leur image ne se reflète plus dans les yeux de l’entourage, entraînant une régression. Le Principe de réalité freudien n’est plus pensable, supportable, le sujet n’ayant pas d’autre moyen que de se défendre par un effondrement psychique. Comme si la détresse très prégnante chez certains Alzheimer était telle que des malades en appellent leur mère ou leur père. La plupart des soignants qui accompagnent ces patients ne sont pas dupes de leur souffrance psychique. Pris dans les filets transférentiels, les aidants professionnels sont souvent mis à la place d’un père, d’une mère, ou d’un fils, d’une fille. Cette position inconfortable vient les questionner sur la souffrance du sujet et sur le sens à donner à la maladie. Cette position vient remettre en question l’approche dominante du tout cognitif et neurologique, cette perspective pouvant amener jusqu’au leurre d’avoir un vaccin éradiquant ce fléau.
Mireille Séjalon
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