|
La psycho
dans Signes & sens
Quelles limites mettre à l'enfant ?
|
Quand doit-on intervenir ? Quand peut-on laisser faire ? Pas facile de savoir comment se positionner face à un enfant lorsqu’il en vient à titiller l’autorité ! Certes, le mythe de l’enfant roi n’est plus vraiment de mise aujourd’hui mais le sentiment de culpabilité, paradoxalement, a encore tendance à se situer plus du côté de l’éducateur que de l’éduqué…
Le petit d’Homme découvre le monde à travers le prisme de ses premiers modèles, ses parents ou ses substituts. Il en est ainsi depuis les origines. Expérimentant d’abord le sein maternel plutôt sécurisant et permissif, le psychisme de l’enfant se heurte petit à petit à la réalité extérieure, symbolisée par le père. La fonction paternelle consiste à détacher l’enfant d’une toute-puissance illusoire en lui montrant qu’il n’est pas tout seul au monde et qu’il va devoir composer avec l’entourage pour pouvoir exister. Ce premier « non » du père s’inscrit ainsi dans la construction d’un sujet en devenir…
Ordre et loi
La pédopsychanalyste Françoise Dolto a montré l’importance accordée à cette fonction symbolique qu’est le langage au point qu’elle conseillait de s’adresser au bébé comme à une personne à part entière. Le fait d’accéder au langage montre déjà la capacité qu’a l’enfant à intérioriser les limites. D’autant que l’utilisation du pronom personnel « je » induit l’existence d’un autre auquel il va falloir se confronter. Développer un relationnel de qualité avec son enfant devient ainsi l’outil préventif par excellence. Il s’agira alors de faire respecter l’ordre et la loi : l’ordre en tant que les parents ont eu une vie avant l’arrivée de l’enfant et donc une expérience à prendre en compte, la loi dans la mesure où la vie en communauté est régie par des règles incontournables. Il n’est pas question ici de pratiquer une morale de type réactionnel mais au contraire d’inscrire l’enfant dans la réalité. Un enfant ne peut harmonieusement repousser ses limites que s’il en a conscience. Ainsi, une maman peut proposer calmement à sa petite fille ou à son petit garçon qui ne veut pas se lever pour aller à l’école, prétextant qu’elle ou il a mal au ventre, de se préparer pour aller voir le médecin. Il est fort à parier, qu’une fois habillé, l’enfant choisira le chemin des écoliers ! Quant à l’adolescent mineur qui veut à tout prix effectuer un saut à l’élastique du haut d’un pont et qui demande une autorisation parentale écrite – ce qui est obligatoire –, il est tout à fait exclu que les parents assument la responsabilité d’un accident éventuel, ce qui n’empêche pas de lui préciser qu’il pourra toujours réaliser son envie, une fois majeur…
Frustration et ressources
La notion de désir se conjugue avec le fait d’être capable de surseoir à un plaisir immédiat. Notre société de consommation ne va malheureusement pas dans ce sens. Il n’est qu’à voir certains comportements de nos petites têtes blondes se roulant au sol capricieusement dans un magasin pour exiger le jouet disposé à leur portée, mettant ainsi les parents en situation de bourreaux aux yeux des clients s’ils ont la malencontreuse idée de ne pas céder. Et pourtant ! Françoise Dolto illustre bien l’importance de la notion de manque : Connaissez-vous, questionne-t-elle, le jeu du « pousse-pousse » ? Le pousse-pousse est un rectangle dans lequel figurent les lettres de l’alphabet inscrites sur de petits carrés mobiles. L’ensemble revêt l’aspect de mots croisés. Mais il y a un vide, sans lettre, un carré vide, un manque de lettre, un manque de carré. Grâce à ce manque, on peut bouger les autres lettres, une à une et ainsi former des mots. Grâce à ce vide, ça fonctionne… L’image est intéressante dans la mesure où l’enfant qui n’expérimente aucune frustration se fige paradoxalement dans une sorte de boulimie passive, s’interdisant d’utiliser ses propres ressources psychiques pour avancer par lui-même.
L’autorité
Respecter un enfant ne consiste donc pas à accéder systématiquement à toutes ses demandes et autres exigences. Une interprétation erronée des concepts « psy » véhiculés dans les années 70, faisant suite à la période soixante-huitarde, a conduit vers une impasse. Aujourd’hui, face à une errance sociétale, il n’est pas rare de voir des parents fustiger des enseignants et, à l’inverse, certains enseignants renvoyer la balle au milieu familial. La restauration de l’autorité reste pourtant le défi majeur des prochaines décennies en matière d’autorité, sachant que cette sagesse n’a rien à voir avec un retour à l’autoritarisme. L’essentiel consiste à réaliser que l’adulte tutélaire joue un rôle important quant au devenir harmonieux des enfants qu’il a sous sa responsabilité, même s’il n’en détient pas toutes les clés. Dans son ouvrage « Le bonheur d’être soi », publié aux Éditions Fayard, Moussa Nabati résume bien la situation en écrivant que l’« être soi » se construit au sein du triangle père-mère-enfant à l’aide de deux ingrédients majeurs, l’amour et l’autorité…
Liliane Guilbert
|
