La feuille blanche pour l'écrivain, la toile vierge pour le peintre, le bloc informe pour le sculpteur... sont à l'image du vide intérieur, du “ manque à être ” qui dérange l'artiste et le pousse à se dépasser.
C'est ainsi, pour combler cet état d'insatisfaction qui le tenaille et quand bien même il se sent petit, vulnérable, qu'au risque de se perdre, il se jette à corps perdu dans ce vide plein de toutes les potentialités. Partagé entre son désir d'indépendance à l'égard du monde extérieur et son besoin légitime d'y participer, il tente alors de résoudre ce conflit en puisant toute son énergie pour mettre en œuvre l'acte créatif qui seul sait répondre à ces deux tendances et pourra l'amener jusqu'au sublime.
En art comme en religion
Il joue gros : échapper à sa condition, côtoyer les Muses n'est pas donné aux tièdes, l'illusion est partout qui le guette, les nuages du narcissisme (primaire) peuvent à jamais l'égarer, mais a-t-il vraiment le choix ? La pulsion qui le pousse ne connaît pas de répit, ne pas l'extérioriser, ne pas l'utiliser pour des buts élevés, c'est donner libre champ à toutes les déviances ou s'enfermer dans les affres du refoulement. D'ailleurs, il voudrait échapper à son sort qu'il ne le pourrait car celui qui a l'audace de s'engager sur les chemins de la création ne peut plus retourner en arrière. Il entre en art comme on entre en religion, son métier devient un sacerdoce et sa vie une quête de tous les instants. Avec le temps, par le geste répété et gratuit, il apprend à affiner sa sensibilité et à laisser parler sa nature profonde. Comme il s'est nourri de l'image de l'autre, la nature, la forme extérieure, jusqu'à la parfaite imitation, jusqu'à la parfaite identification, il peut maintenant projeter à l'extérieur ce qui lui tient vraiment à cœur. Chaque œuvre révèle un aspect de lui-même et traduit la qualité de sa relation avec l'Univers. Jour après jour, il se découvre des talents insoupçonnés, devant ses yeux ébahis son esprit et ses mains font chanter la matière.
Telle une “ auto-didactique ”
La joie et le plaisir de pouvoir s'exprimer pleinement supplantent toutes ses souffrances et le dynamisent. Un monde nouveau s'offre à lui ; certes il reste insatisfait car tout est à reconnaître, à reconquérir, mais, désormais, pour avoir trempé sa conscience dans le feu de l'expérience, en toute humilité, il accepte et comprend cet état d'insatisfaction comme le moteur de ses aspirations. À l'instar de ses créations, il devient l'artisan créateur de sa vie, l'approche de son art se confond avec l'approche de son être. Dès lors, plus rien ne peut l'arrêter, le voilà en marche pour réaliser son chef-d’œuvre : les retrouvailles avec lui-même, telle une “ auto-didactique ”.
Richard Zanchetti