Ils ont souffert, parfois même connu l’inimaginable.
Douleur a rimé avec horreur à un moment de
leur parcours de vie.
Et pourtant, ils s’en sortis. Ils nous disent comment.
> Josyane, 52 ans, secrétaire juridique
À 19 ans, j’ai rencontré Salomon au mariage de ma meilleure
amie...
Nous avons dansé un slow tous les deux qui a vite laissé place à un grand étonnement : nous nous aimions déjà ! Quatre mois plus tard, j’étais enceinte. Un vrai bonheur. Quinze jours avant la naissance de Nicolas, mon compagnon, peintre en bâtiment, faisait une chute mortelle. L’abomination. Le lendemain de l’enterrement, j’accouchais d’un petit garçon de 2 kg 490. Le portrait craché de son papa : je me suis détournée de ce bébé que je n’ai pas voulu allaiter. Ma vie n’avait plus de sens. J’ai repris mon travail dès que j’ai pu. Je ne m’intéressais pas vraiment à mon enfant. Je ne suivais pas les conseils alimentaires du pédiatre. À deux ans, Nicolas a échappé à la surveillance de la nourrice. Il a couru après son ballon. Une voiture passait à ce moment-là. Le choc fut très violent. Les secours n’ont rien pu faire pour sauver mon petit garçon. J’ai connu la dépression et l’enfer de la spirale psychiatrique. Une infirmière, émue par mon histoire, m’a offert le livre du docteur Joseph Murphy, "Exploitez la puissance de votre subconscient". J’ai dévoré cet ouvrage en un week-end. J’ai appliqué sa méthode. La technique de visualisation positive fait des
miracles.
Pourquoi ça a marché ?
J’ai appris à regarder du côté de la lumière. Ainsi, je n’ai
plus eu de haine vis-à-vis de moi-même et la culpabilité s’est
évanouie peu à peu.
Aujourd’hui
J’ai bénéficié d’une réinsertion professionnelle progressive
intelligente grâce à l’A.N.P.E. En outre, le psychiatre m’avait
fortement conseillé de déménager et de changer de lieu de travail.
Je l’ai écouté. Tout s’est passé comme par magie. Coup
de foudre avec mon nouvel employeur qui venait de divorcer.
Et, en plus, la venue de jumelles, Marine et Mélody, âgées
maintenant de 12 ans.
> Francis, 45 ans, éducateur spécialisé
Né de père inconnu, ma mère m’a abandonné à la naissance...
Les familles d’accueil (trois en tout) ont été cohérentes avec
moi. Car, il faut bien avouer que j’étais démoniaque.
L’énurésie accompagnait mes cauchemars.
Trempé comme une soupe, je me
souviens encore du bénéfice que je retirais
de ces situations récurrentes : les
dames qui s’occupaient de moi avaient
bien retenu les leçons de Françoise Dolto
et me disaient systématiquement que « ce
n’est pas grave ». J’aimais entendre ces
mots qui, âge aidant, accompagnaient
mon quotidien. Dans ma vie, même si je
me mouillais, rien n’était grave ! Mes fréquentations
n’étaient pas vraiment glorieuses.
J’avais un faible pour les profils
mal dans leur peau et leurs kyrielles de
bêtises. Voler devint naturel à un âge où on joue encore aux
billes. Puis, sniffer des produits hallucinogènes me donnait la
certitude que je pouvais terrasser le démon. Jusqu’au jour où
une dame, téléguidée par une de mes anciennes familles d’accueil,
s’est présentée à moi comme étant ma… mère !
Alcoolique au dernier degré, sale, inintelligente, je reçus le
choc de ma vie. Si la leçon était sévère, le miroir de mon avenir
miteux s’imposait à moi, d’une limpidité parfaite. J’ai
supporté comme j’ai pu cette femme déconnectée, de façon épisodique, puisqu’elle vivait à Paris et moi en province. Elle
me faisait horreur et pitié à la fois. J’étais donc issu de ce ventre
bedonnant, alourdi par l’ingestion quotidienne de plusieurs
litres de
vin. Elle m’a guéri… dès que je l’ai vue !
Pourquoi ça a marché ?
J’avais honte pour elle. Un jour de grand masochisme, j’ai
imaginé ce que les gens devaient penser de ma mère. Et une
phrase de Jean Marais, l’acteur, m’est alors revenue en
mémoire : "Ma mère était kleptomane", disait-il, "elle m’a appris
à ne pas voler…"
Aujourd’hui
C’est curieux la vie ! Dès qu’on décide de s’en sortir, les
opportunités arrivent. Je sortais à ce moment-là avec Virginie
qui s’essayait à la comédie. Très croyante, elle avait gardé un
lien avec le curé qui l’avait baptisée. Elle me le fit rencontrer.
Ma confession relevait plus de ce qui doit se passer sur le
divan que dans le secret d’une paroisse. Cet entretien a duré
deux heures. Ce Père (enfin !) m’a pris sous son aile et m’a
donné l’impulsion nécessaire pour véritablement me socialiser.
Après m’avoir trouvé un boulot de magasinier dans une
entreprise de la région, il me dit qu’il faudrait qu’à mon tour,
je rende à d’autres ce que Dieu m’avait offert. Le métier d’éducateur
spécialisé s’est imposé à moi. Le prêtre est devenu en
quelque sorte mon… précepteur ! Remise à niveau scolaire,
examens avec, en cadeau, l’immense joie de pratiquer et de
partager le plus beau métier du monde : celui pour lequel j’étais
fait. Je réalise maintenant que les conditions de ma
conception et le profil de mes parents n’ont aucune importance.
L’essentiel est que j’ai été conçu pour, modestement, apporter ma pierre à l'édifice sociétal.
> Karine, 29 ans, fleuriste
Christophe passe un samedi après-midi chez moi...
Je venais
d’avoir 17 ans. Lui en avait 22. Je révisais mon bac de français.
Il voulait me faire faire un tour avec la moto qu’il venait de
s’offrir. Je ne voulais pas y aller. J’étais facilement agressive à
l’époque. Ma mère, un peu choquée par le fait que je sois si peu
accueillante, insista pour que j’aille me promener sur le bel
engin. Je m’agrippais, très crispée à la
réflexion, à mon copain de route, sans
aucun enthousiasme et surtout très en
colère. Sur le trajet, je me disais que j’étais
influençable et que j’avais bien
mieux à faire que des kilomètres à vive
allure dans une campagne que je connaissais
depuis ma plus tendre enfance.
Christophe cherchait à me rassurer et me
demandait de temps à autre si ça allait. Je
faisais exprès de ne pas lui répondre. Je
préférais d’ailleurs qu’il regarde la route.
Il continuait à chercher à discuter.
Soudain, j’ai capté un ultime "Cramponne-toi…" Je garde le
souvenir d’une chute violente, lourde et… plus rien… Me
reviennent parfois des images du transport dans l’ambulance
des pompiers mais je ne sais si c’est la réalité : on m’a tant de
fois raconté mon accident ! Par contre, ma jambe droite me faisait
hurler de douleurs mais j’avais l’impression que les cris ne
sortaient pas. Ils restaient coincés à l’intérieur de moi.
Christophe m’a d’ailleurs dit que je n’avais jamais crié… Peu
importe, j’ai été amputée… Je suis amputée mais je vais vous
étonner : j’ai perdu la mauvaise partie de moi-même ! Certes,
il y a eu mes réactions violentes, au début, devant l’inacceptable.
Les excuses du médecin qui m’a assuré avoir fait tout ce
qu’il a pu pour sauver ma jambe. Il y a eu aussi le rejet de ma
mère, de Christophe, de tout mon entourage qui se voulait
compatissant. Je devenais odieuse, méchante, intolérante. Des
semaines après mon accident, j’ai connu le centre dit de rééducation
! Rééduquer quoi ?, pensais-je alors. La révolte grondait
dès que j’en avais l’occasion. Les visites se sont espacées à
mon chevet. Je ne m’en suis pas rendue compte tout de suite.
Mais, peu à peu, même mes parents me semblaient moins présents,
eux pourtant si dévoués et tant à l’écoute. Ainsi mon
caractère a changé. Bien sûr, il a fallu du temps. L’absence des
êtres aimés, leurs silences, m’ont fait comprendre à quel point
je les avais fait fuir. J’ai pris alors un miroir et j’ai vu mon visage
: dur, fermé. Un véritable roc. J’ai décidé une auto-rééducation
: j’ai forcé ma bouche à sourire. Je me suis entraînée plusieurs
fois par jour. Premier constat, premier résultat : le corps
médical me trouvait de plus en plus en forme. C’était logique,
maintenant je souriais. Et j’ai eu l’idée de demander à une infirmière
d’avoir la gentillesse de faire envoyer un énorme bouquet
de fleurs à mes parents. Je lui avais remis un petit mot qu’elle
devait donner à la fleuriste. J’ai demandé à cette infirmière de
lire ce que j’avais écrit. Ce qu’elle fit. Tout en se mettant à pleurer.
J’ai compris alors que j’étais parvenue à ouvrir mon cœur.
Pourquoi ça a marché ?
Les gens se plaignent souvent d’être envahi par le trop. Moi,
j’ai – par ma faute – fait l’expérience de l’envahissement par le
vide. C’est de ce sentiment réel de ne plus pouvoir s’étayer sur
personne que j’ai réalisé combien nos interlocuteurs nous sont
précieux. Et combien même ils nous entraîneraient dans leur
chute, j’ai acquis la certitude qu’il est toujours possible de se
relever.
Aujourd’hui
Ce bouquet de fleurs à mes parents, leur joie, leur émotion,
m’ont conquise. Tout comme la célèbre publicité "Dîtes-le avec
des fleurs…" C’est à ce moment précis que j’ai décidé de devenir
fleuriste. Côté affectif, tout va pour le mieux aussi. J’ai
voulu apprendre ce métier jusque dans ses plus infimes rouages.
J’ai eu l’opportunité de visiter une énorme exploitation
florale du sud de la France. J’ai rencontré Étienne, en apprentissage
du métier d’horticulteur. Ce qui nous a rapprochés ?
Notre amour de la nature évidemment. Et une curieuse coïncidence
: son père, motard, plusieurs fois médaillé… Cet
homme, adorable, a su dédramatiser mon handicap. Tout simplement
parce que sa profession l’a conduit a côtoyé l’abominable
et qu’il sait comment il faut m’aborder les matins chagrins.
À la retraite maintenant, il nous aide à notre commerce
dès qu’il le peut puisque Étienne et moi avons donc investi
dans une jolie petite boutique. Je fais mes bouquets avec tendresse,
persuadée qu’ils dégagent de bonnes énergies pour qui
les reçoit…
> Sandrine, 33 ans, déléguée médicale
Ma fille Océane, âgée aujourd’hui de 10 ans, est née porteuse d’un spina bifida...
Lorsque son papa a appris que sa petite
fille était a priori condamnée à rester sa vie durant sur un
fauteuil roulant, il nous a quittées… Ma mère m’a beaucoup épaulée. Et surtout, le Professeur qui a opéré Océane a fait un
véritable miracle : elle marche, est intelligente. Malgré des
séquelles sphinctériennes très importantes, elle est un rayon
de soleil ! Les premiers mois qui ont suivi
cette naissance difficile, j’ai sombré dans une
dépression assez muette. Jusqu’au jour où j’ai
décidé de me supprimer. J’avais décidé d’enjamber
la fenêtre de mon appartement situé au
huitième étage de mon immeuble, pendant
qu’Océane serait en promenade avec la nounou.
J’allais passer à l’acte quand on a sonné
à ma porte. Mais avec une telle insistance que
je suis allée ouvrir. Se tenait devant moi, en
larmes, ma voisine de palier. Entre deux sanglots,
elle m’a expliqué que sa mammographie
venait de révéler un grave cancer du sein.
J’ai su à cet instant le prix de la vie.
Pourquoi ça a marché ?
Jusqu’à ce jour terrible, je n’avais jamais vraiment senti mon
corps. J’ai compris que c’est moi qui l’avais anesthésié. Les
sphincters paralysés d’Océane étaient là pour me faire comprendre
que je n’avais pas le droit de poser un déni sur moi-même.
J’étais sur terre pour vivre et pour mettre en actes positivement
mon existence.
Aujourd’hui
Déléguée médicale, je suis amenée à rencontrer des collègues
qui travaillent pour le même laboratoire que moi. Un jour
de séminaire, j’ai fait la connaissance de David, depuis peu
dans l’entreprise. Le premier soir où je l’ai vu, j’ai compris
que ce garçon n’allait pas bien. Isolé, replié sur lui-même, j’ai
d’abord pensé qu’il n’était pas à l’aise parce qu’il ne connaissait
personne. J’ai entamé une discussion avec lui. Il m’a
expliqué que son fils était sourd. C’est ainsi que j’ai appris qu’il oeuvrait beaucoup en tant que bénévole au sein d’une association qu’il a créée. Le déclic s’est fait à cet instant : je me suis inscrite dans un institut de sciences humaines pour devenir psychothérapeute. Mon cursus m’aide à épauler Océane dans les moments où elle craque. Et j’ai bien sûr l’intention,
une fois mes études terminées, d’ouvrir un cabinet pour être au cœur de la relation d’aide.
> Françoise, 49 ans, institutrice
Le père de mon fils unique, Samir, est tunisien...
Notre couple
a duré quatre ans, jusqu’au jour où mon compagnon, Ahmed,
a décidé de retourner habiter à Hammamet. J’ai refusé catégoriquement.
Les disputes s’enchaînaient jusqu’à ce soir de
décembre où ni le père ni le fils ne sont rentrés. Un coup de fil
vers minuit m’a annoncé qu’il était inutile que je fasse la
moindre recherche : Samir et son papa allaient vivre ensemble
de l’autre côté de la Méditerranée. La colère, l’angoisse, la
révolte, la peur, le désespoir accompagnaient
mon quotidien. Les
démarches officielles me vidaient littéralement.
Le recours aux avocats
me mettait en danger financier. Mon
fils était enlevé, séquestré (du moins
je l’imaginais), mes kilos fondaient
comme neige au soleil et les arrêts
maladie se succédaient. Mes forces
m’abandonnaient peu à peu. Deux
mois après cet enlèvement sordide,
je fis un rêve : mon fils était en
France, à Marseille plus précisément,
dans la cale d’un bateau mais
je le voyais jouer… Le réveil fut désastreux et mon cauchemar
reprit de plus belle. Je racontais, la mine déconfite, ce rêve à
une amie qui me dit que Jung aurait sûrement pris mon message
onirique au sérieux. Je décidais alors de me rendre avec
elle à Marseille, sans trop savoir où me diriger (j’habitais
Dijon). Arrivées à la gare, j’aperçois une dame maghrébine
d’une soixantaine d’années tenant un garçonnet par la main.
J’eus la faiblesse d’y voir un signe et je fis bien. Ne sachant
pourquoi, je m’adressai alors à elle et lui demandai où je pourrais
trouver un taxi. L’enfant me regardait avec insistance tandis
que la dame me donnait de vagues explications. Entre
temps, je constatai que mon amie n’était pas tout à fait à côté
de moi. Je la cherchai du regard quand j’entendis le petit garçon
dire : C’est la dame de la photo. Je fis demi-tour sur moi-même
et eut la chance (on était en plein plan vigipirate) que
des policiers passent par-là. Je ne sais ce qui me prit. Je dis
que mon amie avait été enlevée. Les policiers bloquèrent alors
tous les pseudo témoins. Mon amie a dû « comprendre » qu’il
se passait quelque chose d’insolite car elle se tint à l’écart,
médusée. La suite fut simple : je pris un policier à part et lui
racontai toute la vérité. Pourquoi me crut-il, je n’en saurai
jamais rien. Je sortis discrètement des photos de Samir qui
furent montrées au petit garçon et à la dame de la gare. Il s’agissait
de membres de la famille d’Ahmed et l’écheveau fut
vite dénoué…
Pourquoi ça a marché ?
J’ai malgré tout toujours cru que les rêves n’étaient pas uniquement
une source d’équilibre. J’avais déjà fait des rêves
prémonitoires. Je n’ai pas non plus un tempérament à baisser
facilement les bras. Et puis, l’action se déroulait dans un
bateau où se trouvaient des tas de savons. Ce qui m’a conduite
à Marseille par association d’idées.
Aujourd’hui
Ahmed a eu maille à partir avec la justice. Mais il était déjà
connu des services de police pour trafic de drogues. Il fit de la
prison. Il n’en sortit pas indemne : il s’est enfoncé peu à peu
dans un monde psychotique et est toujours interné en centre
psychiatrique. Samir va bien. Il a accumulé un retard scolaire
mais il est volontaire. Quant à moi, ayant demandé ma mutation
pour Clermont-Ferrand dont je suis originaire, j’y ai
retrouvé ma famille et vais globalement bien. Je ne suis pas
prête à refaire ma vie pour l’instant mais j’y pense. Je fais partie
d’une chorale particulièrement active. À l’église, le dimanche,
je me sens heureuse. J’essaie de partager ainsi un peu de
ma joie.
> Jérémy, 39 ans, chauffeur poids lourd
Le médecin a découvert un souffle au cœur chez moi,
lorsque j’étais tout petit...
Ma mère n’a eu de cesse de me
« couver ». Mais, indépendamment de ce maternage excessif,
je sentais que j’étais attiré par les garçons. Je suis tombé
amoureux d’Anthony qui avait 17 ans (moi 15). Jeux érotiques
dans les toilettes du lycée privé, dénonciation, renvoi de l’établissement,
fugues… Ma mère, veuve, a
décidé de me mettre en pension à Saint-Étienne.
Avec les copains, nous passions
notre temps libre à bouffer des champignons
hallucinogènes. Benjamin, avec
qui j’avais des rapports sexuels, en est
mort. J’ai connu alors la descente aux
enfers: drogues dures, alcool, prostitution…
Et le sida… Le résultat «positif»
du test de dépistage m’a mis KO et m’a
sauvé pour… un temps ! J’ai été dégrisé
d’un coup. J’ai réalisé que je n’étais
dépendant de rien du tout. Les premières
semaines ont été terribles psychologiquement, malgré la rencontre
du corps médical tout à fait à la hauteur de ma détresse.
J’étais alors comme un condamné à mort. Par ma bêtise. Je
n’avais donc aucune circonstance atténuante. Je m’étais
guillotiné à feu lent tout seul. Et puis il y a eu l’enlèvement
d’Ingrid Bétancourt. J’en ai longuement discuté avec mon
meilleur copain. J’ai imaginé ce que devaient endurer cette
jeune femme et sa famille. J’ai compris surtout que je ne m’étais
jamais soucié du triste sort de ma mère jusqu’ici. J’ai eu
la chance qu’elle soit toujours en vie. Il y avait plus d’un an
que je n’étais pas allé la voir. Elle ne se plaint jamais. Et pourtant,
elle aurait de quoi. Elle a toujours la parole juste mais
encore faut-il la lui donner. Depuis, nous communiquons
beaucoup. Pour le sida, elle sait. Elle m’a dit : J’ai autant de
risques de mourir rapidement que toi, ne serait-ce qu’en voiture,
n’importe quand… Cette phrase m’a donné la force d’avancer.
Pourquoi ça a marché ?
Je vais vous étonner mais quand j’ai entendu le nom d’Ingrid
Bétancourt, j’ai vu se détacher dans mon esprit « bête en
cours »… Et là, je me suis vu minable en classe, n’écoutant
pas les profs, chahutant, nul… Aucune cause humanitaire ne
pouvait m’intéresser. Je ne savais même pas ce que c’était que
l’humanitaire. Alors, j’ai voulu me renseigner. J’ai trouvé des
tas de choses, des gens qui assouvissent leur vocation. J’ai été
jaloux. Il ne me restait plus qu’à faire comme eux. Enfin,
presque. J’ai pensé aux Restos du cœur… Je les aide. Ma mère
aussi d’ailleurs.
Aujourd’hui
J’essaie toujours de comprendre pourquoi je rencontre des
obstacles. Machinalement, je les décortique et je leur trouve
toujours un sens positif. Comme une sorte d’évolution nécessaire.
Et même si je vis seul, je n’éprouve ni sentiment d’injustice,
ni véritable souffrance. Aux Restos du cœur, j’ai rencontré
un mec désocialisé. Et pourtant, ça n’a pas été par
hasard. Il m’a dit que chaque jour pouvait apporter un miracle
à condition d’être prêt. Je m’accroche à cette idée. Je connais
plein d’exemples de gens qui s’en sont sortis brusquement. Je
sais que je serai bientôt un de ces miraculés…
Propos recueillis par Chantal Calatayud