L’adolescence, c’est aussi une période d’intenses questionnements en matière de sexualité. Et il n’est pas toujours facile d’en parler alors que les interrogations sont multiples. Il semble toutefois plus facile d’obtenir les informations recherchées que cela ne l’était pour les générations précédentes. Les mentalités ont beaucoup évolué et les outils de communication permettent d’accéder de façon simple à tout savoir.
Que ce soit sur les écrans de cinéma, télévision ou ordinateur, la sexualité est devenue un thème fréquent. Ainsi l’adolescent dispose-t-il de nombreux supports pour s’informer. Cependant, si des images de sexualité sont faciles d’accès, encore ne sont-elles pas toutes du registre de l’information. Dès lors, elles ne permettent aucune compréhension au futur adulte. D’autre part, le médium écran n’est à l’évidence pas neutre ; il mobilise le regard seul. De fait, en l’absence de tout dialogue, un couple exhibitionniste voyeuriste s’instaure ; selon les docteurs Marc Valleur et Jean-Claude Matysiak, la cybersexualité relève pour l’essentiel du fantasme... Il est certain aussi que beaucoup de publications ont pour but de répondre à ces questionnements ; là encore, tout dépend de comment l’information sera diffusée et donc reçue. Lorsqu’il est médiatiquement banalisé, l’acte sexuel peut souffrir d’effets inverses et subir des résistances majeures chez l’adolescent. La multiplication des possibilités de connaissances en matière de sexualité ne suffit pas, en elle-même, à désaffecter ce passage de l’enfance à l’âge adulte. Paradoxalement, on peut se demander si, lorsqu’il est seul face à une médiatisation de la sexualité, il n’est pas plus difficile que par le passé pour l’adolescent d’opérer ce changement. Ce qui est caché, interdit, suscite intérêt mais génère aussi peurs et blocages.
Des questions récurrentes
Chacun sait que l’adolescent voit son corps se transformer pour atteindre à la maturité sexuelle. Ces changements s’accompagnent souvent d’une période de crise. Si elle constitue une phase peu facile parfois pour l’entourage, elle l’est d’abord et avant tout pour le sujet concerné. Elle est cependant nécessaire. Bien que la communication avec le monde des adultes est à ce stade difficile, voire chaotique, elle n’en reste pas moins essentielle au devenir de l’adolescent. Tout l’art consiste à la maintenir sans tomber dans les extrêmes : autoritarisme ou, à l’inverse, laxisme. Bien évidemment, la sexualité est un domaine où trouver le ton juste ou le bon moment pour en parler s’avère délicat. Elle s’entend de l’intimité ; or, l’adolescent est très sensible au regard de l’autre qu’il considère souvent comme un jugement. Ainsi des questions lancinantes et complexes à formuler reviennent- elles :
Suis-je homo, hétéro ? Comment fait-on l’amour ? Et la première fois ? Comment mettre un préservatif ? Et la masturbation ? La contraception, comment faire ? Les MST (Maladies Sexuellement Transmissibles), quels risques ?...
L’adolescent est sous le coup d’une injonction à prendre sa place. Il lui faudrait trouver toutes les réponses, sans tenir compte du phénomène naturel de maturation et, donc, du temps nécessaire à se connaître. Cette transformation est aussi faite d’étapes permettant d’accéder au choix de son identité propre. Le passage à l’âge adulte s’élabore et se construit ; il implique une nécessaire adaptation pour se réaliser. La première relation sexuelle n’est pas toujours à la hauteur des attentes et il n’y a là rien de grave. Si des difficultés ont été rencontrées, elles n’ont aucun caractère définitif ; elles sont simplement à considérer comme un moment parmi d’autres de l’évolution vers la maturité sexuelle, à la condition de ne pas les masquer, de ne pas les dénier.
Des réponses adaptées
L’effet redoutable serait d’associer sexualité à problème. En parler avec une personne compétente permettra de dédramatiser, voire de déculpabiliser, et surtout de se comprendre. En matière de sexualité aussi l’être humain évolue, rien de plus normal. Néanmoins, ces questions qui reviennent majoritairement ne doivent pas éluder l’essentiel : l’épanouissement de la personnalité. Les choses ne se posent pas en termes seuls d’information pour répondre à des interrogations ; d’autres ressorts à prendre en compte opèrent à l’inconscient. C’est à deux que la vie sexuelle se construit. Revient alors en filigrane le leitmotiv :
Suis-je normal(e) ? Le poids de ce que font les autres, ou ce qu’ils sont supposés faire, est majeur pour l’adolescent. Certains se positionnent alors pour, avant tout, faire comme ces autres dans le fantasme ; ils courent ainsi au-devant de déceptions. Mais à qui parler ? Selon l’éducation, le milieu, les traditions familiales, il est parfois inconcevable d’aborder ces sujets avec les parents. Il n’en reste pas moins que, seul, un échange langagier avec un adulte contribuera à la levée de l’angoisse, source de mal-être. Si, dans le milieu familial, il n’est pas possible à l’adolescent de trouver à dialoguer, d’autres interlocuteurs ou structures sociales pourront ici jouer un rôle déterminant. Et tout d’abord, le médecin traitant. Au niveau de la santé, il a un rôle essentiel pour donner les explications nécessaires quant aux changements corporels dus à la puberté ou pour permettre d’adopter des comportements sains en matière de contraception ou prévention des MST. Mais l’adolescent peut aussi éprouver le besoin de confier ses peurs et ses émotions. Souvent, il est porteur à son insu de préjugés. Ses émotions conditionnent sa conception de la sexualité et en rendent la réalisation malaisée. Il est certain que l’héritage transgénérationnel pèse ici d’un lourd poids mais aussi les idées en vogue dans son environnement relationnel, avec les stéréotypes qui y sont véhiculés. L’important revient à ce que l’adolescent définisse ses propres limites et les identifie dans le respect de sa singularité. Les schémas fantasmés de la relation à l’autre sont à démystifier. Cependant, souvent la confusion règne et alimente la crainte. Parfois le défi aiguillonne. Et l’ado de faire comme si de rien n’était pour absolument franchir ce seuil qui va de l’enfance à l’âge adulte. Le passage ne se fera alors pas au mieux et aura des répercussions dans la vie sexuelle du futur adulte. Son équilibre personnel en sera affecté, étant porteur d’une blessure refoulée.
La parole juste
Pour le parent, reste qu’il n’est pas toujours aisé de parler de sexualité avec son enfant. Du fait de sa propre histoire, ses conceptions en ce domaine, mais aussi en raison de la difficulté à voir son héritier sortir de l’enfance, une pudeur difficile à lever s’impose. Alors, la politique de l’autruche devient échappatoire. À l’inverse, vouloir à toute force faire passer le message est tout autant désastreux, la culpabilisation venant vite parasiter. L’ado peut aussi craindre des réactions pénibles de ses parents. La parole entre parents et adolescents se fait impasse ; Céline Boisvert de dire que
le geste sexuel ne s’enseigne pas : il ne se transmet pas ou peu de manière franchement didactique ou délibérée. Lorsque des difficultés évidentes s’installent, mieux vaut alors proposer de faire appel à un professionnel de la santé, de l’éducation ou de la relation d’aide, en fonction de ce dont l’adolescent a besoin. Une chose est sûre, taire et se taire n’est pas la solution. Freud a montré les effets redoutables du non-dit dans la psyché. En tout état de cause, l’adolescence étant une période charnière, elle ne peut faire l’économie de la parole. Encore faut-il que ladite parole soit adaptée, non envahissante, attentive, naturelle en somme. Qu’elle ne déstabilise pas. Qu’elle ne réponde pas aux inquiétudes de l’adulte mais ait pour sens d’aider l’adolescent qui vit une étape majeure, celle de la maturité sexuelle.
Judith Grancher
