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La psycho
dans Signes & sens
Le politique,
cet éternel et incorrigible séducteur
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L'aspect « séducteur » chez tout homme politique est incontestable. Il semble même que cela soit un caractère inéluctable, voué à la compulsion, comme fixé par le destin sous l'emprise d'un héritage transgénérationnel remontant à fort loin…
En effet, déjà à l'époque Romaine, l'empereur Auguste prétendait descendre de la Déesse Vénus, laquelle symbolisait justement le « charme » et la capacité de subjuguer. Par la suite, Pompée ou César, puis d'autres encore, avaient fait de Vénus leur divinité politique sous la protection de laquelle ils se plaçaient, sorte de rempart divin pour ceux qui aspiraient au pouvoir, qualifiant cette protection de « bienveillante », semblable affirmaient-ils à leurs aspirations politiques...
La mise en place d’un complexe
Toutefois, si effectivement du mot Vénus sont issues des expressions telles que venia signifiant bienveillance toute gratuite, assimilée ici à une faculté dans le don et l'échange, il en découle cependant d'autres termes, tels que celui de venenum, à savoir le poison ou philtre magique, forme de charisme reflétant davantage la ruse et le leurre séducteur. Donc, ambiguïté manifeste chez Vénus capable, disait-on, d'inspirer des sentiments démesurés et de provoquer des perturbations dans l'ordre social établi. Ne reconnaissons-nous pas là, quelque peu, des phénomènes se produisant souvent dans l'univers politique ? Paradoxe, opposition, c'est ce qui caractérise en psychanalyse la mise en place d'un complexe, avec d'un côté, des manifestations excessives animées par le principe de plaisir et de l'autre, la loi en tant que régulateur au service d'un principe de réalité.
Le langage des gestes et du corps
Ainsi, d'identifications en identifications successives, traversant les époques, notre homme politique d'aujourd'hui, tel Vénus, est sans conteste toujours celui qui captive, versé dans l'habileté à exercer un attrait magique que rien n'explique, et surtout pas la raison. Néanmoins, n'occultons pas le fait que la fonction initiale de Vénus était tout de même celle de, osons dire, présider à la vie sexuelle. Alors, quel lien, inconscient cette fois, ont bien pu établir les hommes en introduisant ainsi une similitude entre gouverner les pulsions de l'instinct sexuel et gouverner un pays ou un Etat ? Comment est-ce que la possession du pouvoir et la possession dite sexuelle ont-elles pu être réunies de la sorte ? Comme chacun le sait, l'activité première d'un homme politique consiste en ce que, essentiellement, il parle, son principal outil de communication étant le verbe. Il se donne pour objectif de convaincre le public au travers d'un usage efficace de la parole. Selon les travaux de Roman Jackobson, c'est le destinateur qui envoie un message au destinataire, obéissant pour ce faire à tout un cérémonial dans la manière de dire. S'installe alors chez le politicien disque-ourcourant une multitude d'attitudes à l'égard de ce dont il parle afin de convaincre son auditoire. Ces procédés sont d'ailleurs largement étudiés et développés dans les traités de rhétorique anciens, avec en particulier l'Institution oratoire de Quintilien. L'action donc de l'émetteur va se porter sur tous les sens du récepteur, à commencer par l'ouïe : en règle générale, un politicien s'exprime à haute et int-éligible voix, la modifiant de temps à autre, augmentant ou diminuant le ton, accentuant parfois certains phonèmes. Vient ensuite une action sur la vue, l'orateur manifestant sur son visage des mimiques ; son corps gesticule, ses bras s'agitent. Il vibre tout entier, attestant là d'une émotion vraie afin de transmettre ses sentiments ; en analyse nous parlerons d'affects, qui l'envahissent et dont il se libère. C'est dans ce rapport d'extériorité qu'un autre sens, celui du toucher, intervient, sous une forme de toucher à distance, véritable contact hallucinatoire permettant la constitution d'une pseudo-communication. Ainsi, autant de signes du corps qui vont accompagner l'émission du message verbal : l'énoncé du signifiant par un vouloir-signifier, à savoir l'explicite véhiculant l'implicite. Jackobson a parlé de langage des gestes et du corps, dans lequel gestes et corps sont sensibles, érotisés à leur extrême afin de répondre au jeu de la séduction, érotisation de toute la partie non génitale, preuve d'une confusion inconsciente au niveau des zones érogènes : le corps comme signe, c'est-à-dire le soma en tant que symptôme. L'atteinte somatique manifeste ainsi clairement l'interaction psychisme-corps. Freud évoquait à ce sujet la prévenance somatique correspondant au lieu où la représentation psychique refoulée vient se loger, témoignant là d'un désir insatisfait.
L’empreinte d’un non-dit transgénérationnel
Cette insatisfaction inconsciente relève du fantasme d'un manque, absence de l'objet qui n'est autre que le phallus. L'inconscient fantasme que ce manque est dans l'autre, d'où la nécessité absolue de le séduire dans le secret espoir de lui prendre ce que ce même fantasme lui a attribué. Lors de l'action oratoire, le corps mime la possession par stratégie afin de mieux attirer cet autre détenteur du phallus, donc de la toute-puissance. S'instaure là tout un processus en accord avec la définition d'un discours hystérique consistant à avoir à plaire dans le désir d'être désir de l'autre ; c'est le moi insatisfait selon la théorie de Nasio sur l'hystérie. L'homme politique en proposant toujours mieux, ici le plus, se pose en victime malheureuse et insatiable, dans le mécontentement de l'autre décevant au sein d'un monde responsable, rempli d'obstacles et de conflits : souffrance interne, intolérable, n'ayant d'autre issue possible que celle d'être projetée sur la foule. Ces idées fixes, invasives, sont engrammées tel un programme politique au travers d'un surinvestissement de la pensée, avec aspect phobique donc, et obsessionnel, caractéristique de tout fonctionnement hystérique. Le discours politique hystérise d'ailleurs celui qui l'écoute, sexualise ce qui ne l'est pas en faisant naître chez l'autre un foyer de libido. Le terme allemand Werben réunissant plusieurs fonctions, dont fait partie la suggestion politique, rend fort bien cela en se traduisant par : sollicitation érotique et amoureuse. C'est la simulation d'une sexualité par des gestes sexuels, n'étant que le reflet d'un vide et d'une incertitude quant à l'identité sexuée de celui qui l'exprime. Attitude ambivalente dans laquelle le sujet supposé-avoir renonce en quelque sorte à sa spécificité faisant ainsi de son offrande le signe d'une élection. Le politique se donne en images : image de marque, étiquette politique, quantité de signes extérieurs cherchant à prouver un état d'être vécu flou, incertain. Il y a là besoin impérieux d'être re-narcissisé par un Je du regard, vestige de liens œdipiens perturbés au niveau de la communication, traces mnésiques d'échanges inhibiteurs et non valorisants auprès de parents castrateurs. D'où l'établissement inévitable d'une forte angoisse de castration, indissociable d'un complexe d'infériorité masqué par un complexe de supériorité. En sus d'une reconnaissance maternelle insuffisante s'adjoint le défendu paternel, le Non du père : l'interdit de dire. Par mécanisme de défense et suivant une tactique inconsciente, s'opère un déplacement lors du discours politique comme pour faire surgir ce qui n'a pu être dit dans un art de dire, véritable mise en scène politique, genre de représentation théâtrale imposant la contemplation du public. Talma, à propos de la déclamation avait écrit : Déclamer, c'est parler avec emphase, donc l'art de la déclamation est l'art de parler comme on ne parle pas. Là est bien l'empreinte du non-dit transgénérationnel.
La Patrie...
Dans « L'interprétation des rêves », Freud avait mis l'accent sur cet aspect de condensation de pensées contradictoires formant ainsi des compromis. De la capacité inconsciente, consécutive au refoulement par angoisse de castration, à modifier le contenu du message jusqu'à lui donner un sens contraire à celui explicité et par le biais duquel les contenus s'annulent les uns les autres, antithèse, sorte de principe magique illustré par le célèbre Peace is war, war is peace de Orwell ; tout ceci permet de cette manière l'expression du refoulé sans prise de risque. Sans cesse dans le fantasme d'une menace de castration et usant de toute sa capacité séductrice, l'orateur cherche à forcer l'autre à l'écouter, à le convaincre, à le persuader qu'il détient la vérité, interdisant, par identification aux parents surmoïco-castrateurs, toute contestation possible. En outre, les hommes politiques ont d'ailleurs pour coutume de fréquemment serrer les mains ; or, à l'origine, serrer la main droite avait pour fonction la vérification réciproque de l'absence d'une arme, symbole d'un nouvel ordre moral dans un monde sans castration. Perte, donc, de réalité objective : paroles prophétiques, discours mythiques, telle est le plus souvent la toile de fond de toute déclaration politique. Le politique est par excellence un type d'homme jouisseur, séducteur-né, ne tolérant aucune forme de restriction pouvant faire obstacle à son unique passion qui n'est autre qu'une passion hystérique. Passion destructrice ou évolutive ? Pour ou contre la société ? Stendhal de nous avoir laissé cette phrase : La Patrie, c'est les plaisirs. Mais les plaisirs de qui ?
Xavière Santoni
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