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La psycho
dans Signes & sens
Star Academy : risque ou chance ?
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La Star Academy annonce une saison “ 4 ” pour la rentrée… “ C’est la même chanson ” - même cours, mêmes professeurs, rengaines sempiternelles, vedettes invitées faisant leur promotion et ribambelle d’adolescents prêts à tout pour arriver au sommet de la gloire… Entraînements intensifs, nominations massives pour une course à l’Audimat et un record de votes, tel est le programme que nous sert la Star’Ac, fabriquant officiel d’étoiles filantes, dénicheur de talents pré-formatés, consommables et jetables… Mais l’éphémère n’est-il pas le propre du monde moderne ? Aussi, quelles peuvent être les conséquences de ce star system dont on sait qu’il n’est qu’un miroir aux alouettes pour des jeunes en difficulté de place dans une société instable, aux repères vacillants ?
Passer à la télévision, se montrer, s’exposer aux plus vives critiques et aux commentaires acerbes de l’opinion publique, dévoiler son intimité, sacrifier sa vie privée, masquer sa pudeur et ranger sa fierté, sont autant de conditions banalisées et pourtant indispensables à l’accession d’un idéal devenu, lui aussi et somme toute, très commun, si l’on en juge les longues files d’attentes aux casting !
Quel idéal au juste ?
Ces “ stars ”, qui deviennent les objets d’un jeu destiné à enrichir des producteurs souvent peu scrupuleux, sont en proie du jour au lendemain à une surexposition médiatique à laquelle elles ne sont pas psychiquement préparées, même si leur engouement est à la hauteur de leur idéal. Justement, la question est de savoir si cet idéal repose sur le fait d’être connu, admiré, adulé ou s’il nourrit exclusivement une passion pour la chanson et la musique. Ces jeunes candidats, bien que musiciens pour la plupart, rêvent d’assouvir leur soif de notoriété et de reconnaissance et n’aspirent qu’à se hisser au rang des célébrités du show business car ils considèrent qu’il faut “ ça ” pour exister, pour être “ quelqu’un ”. Pour la plupart, ils espèrent que seule la télévision – à la fois sein nourricier et lucarne trompeuse – pourra les aider à sortir de leur condition familiale ou sociale, ou de leur galère professionnelle. En fait, ils se laissent aveugler par un plaisir narcissique, sans possibilité ni d’anticiper ni de mesurer la portée d’une telle impulsion et des préjudices subis.
Un principe dit “ économique ”
La Star’Ac, présentée comme une émission de divertissement, sème la confusion par rapport à la réalité : faire croire qu’un jeu puisse conduire, comme un raccourci, à une profession “ gloire et paillettes ”, est de l’ordre du principe dit économique en analyse et renforce l’inconscient dans sa jouissance instinctive à rechercher des voies qui se voudraient faciles… Puisque ces jeunes adultes sont propulsés rapidement en haut de l’affiche, la maturation pulsionnelle ne se produit pas. Pas suffisamment d’élaboration, ni de construction, laissant le temps au temps. De l’étayage permanent : ils sont encadrés, dirigés, contrôlés, manipulés, victimes de leur propre désir. Le goût de l’effort est effacé (que sont trois mois de travail dans une vie comparés à la promesse d’une ascension fulgurante ?) et il est remplacé par du tout cuit, du mâché, du digéré… Finalement, c’est un phénomène proche du processus hallucinatoire…
La recherche de repères rassurants
La perspective de réussite dans cette course à la célébrité projette l’individu dans le fantasme que les différences peuvent être gommées, annihilées et ce, de par un nivellement vers le bas, masqué par le leurre de parvenir au sommet. Combien de crédules dotés d’un optimisme volontariste, mais dépourvus d’une once de talent, ont cru que ce rêve leur était accessible ? Il est évident que tenir compte de la réalité aboutirait à un renoncement à la toute-puissance ; or, nombre d’entre eux projettent leur idéal du moi sur l’objet qui est plutôt miroir complaisant. L’individu cherche des repères qui lui paraissent rassurants car il oscille parfois entre indifférence et mépris face auxquels il a besoin de se reconnaître l’un dans l’autre. L’identité se constitue alors uniquement sur le regard d’autrui. Il est intéressant d’ailleurs de remarquer que ces personnalités, dites orales, crient à leur public : Je vous aime tous, alors qu’il convient d’entendre : Je suis content que vous m’aimiez … Ce besoin d’identification à être reconnu par une majorité est quasi tribal ; il alimente un complexe d’infériorité et cache en fait une profonde détresse identitaire. Plus dure sera la chute de cette épopée amère…
Illusion ou réalité factice ?
Considérés comme des produits marketing, jugés, aimés ou éjectés en direct, comme des objets inanimés, ces jeunes en mal d’amour, même s’ils ne sont pas dupes de l’utilisation de leur personne, ne sortent jamais indemnes de cette aventure télévisuelle. L’exploitation de leur intimité, sous l’œil impudique des caméras et du public, rappelle une tendance au voyeurisme et à son corollaire inversé, l’exhibitionnisme. Il y a une satisfaction inconsciente perverse à voir l’autre humilié, rabaissé. Car c’est bien d’humiliations dont il s’agit lors du visionnage des primes, de souffrances quand tombent les éliminations, de blessures narcissiques face aux injonctions ironiques… De quoi raviver des conflits anciens et des douleurs profondes. Surtout quand les “ Stars Académiciens ” alimentent le désir tacite de leurs parents ! Ces enfants deviennent l’écran de toutes les projections parentales : gare à celui qui échoue… Ainsi, après avoir été couvés, les poussins qui sortent du nid sont bien souvent laissés à l’abandon et doivent réapprendre à vivre avec le réel. Alors que les plus fragiles attendaient de la télé-réalité qu’elle comble leurs manques et leurs faiblesses, ils doivent affronter le désarroi de leur solitude. Car pas de prise en charge thérapeutique mais une place vacante pour une douloureuse interrogation, des doutes, voire de la dépression. Il devient manifeste que la pauvreté intellectuelle, ainsi que l’absence d’idéaux qui servent une cause noble et altruiste, plongent de plus en plus la société dans un malaise évident, au point que la créativité elle-même s’essouffle. Alors, la Star Academy, grande illusionniste ou réalité factice ?
Bénédicte Antonin
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