La levée des tabous semble devenir un élément central de notre époque, comme un symbole d’évolution mais surtout de liberté. Dans notre société et dans ce registre, la réflexion s’articule essentiellement autour de la place attribuée à la transgression de « l’interdit de nature sociale ou morale », suivant la définition donnée au mot « tabou » par le Petit Larousse.
Les sujets dits « tabous » sont nombreux et fréquemment sources de disputes. Il s’agit le plus souvent de tous les sujets qualifiés d’épineux, laissant rarement les esprits indifférents, tels que le sexe, l’argent, la politique, la religion, ou bien encore la mort. Ces thèmes, précisément, au nom de la bienséance, se doivent de ne pas être abordés lors d’un repas par exemple afin d’éviter tout propos gênant, susceptible de provoquer des querelles entre les convives...
Des interdits transgénérationnels
Le problème du tabou est qu’il est empreint de morale, c’est-à-dire de ce qui se dit ou de ce qui se fait, à distinguer de ce que l’on ne doit pas dire ou de ce que l’on ne doit pas faire. La tendance instinctive chez l’être humain consiste à se positionner à la frontière de ce qui est autorisé ; il suffit d’ailleurs justement que quelque chose soit interdit pour chercher à tout prix à l’obtenir, ne serait-ce que très inconsciemment mais néanmoins de manière souvent quasi obsessionnelle. En découle l’intérêt de résoudre ce rapport conflictuel de l’individu avec lui-même. Ainsi, la question fondamentale qui se pose, quel que soit le domaine où l’on met des tabous, envisage-t-elle de prendre en compte la notion de limite. Sigmund Freud, dans son ouvrage de 1912
Totem et tabou, décrit le plus grand des tabous en tant que celui de l’inceste ; il s’agit-là d’un interdit absolu, associant l’interdiction de tuer puisque dans le mythe originel, c’est le récit du meurtre du père par son fils pour épouser la mère. L’interdit de l’inceste est une règle universelle ; sa transgression met en péril la pérennisation de l’espèce de par la dégénérescence due à la consanguinité. Pour Freud encore,
le tabou se manifeste essentiellement par des interdictions et des restrictions qui nous ont été transmises par nos parents, lesquels en ont eux-mêmes hérité de leurs propres parents... De fait, les interdits que nous nous imposons ne sont, en aucun cas, les nôtres mais les interdits de tous ceux qui nous ont précédés et ce, en remontant jusqu’à la nuit des temps !
Accepter sa vie
Il apparaît donc indispensable de faire la nuance entre, d’une part, les interdits ayant un réel fondement et les relations incestueuses ou tout autre acte portant atteinte au respect de l’être humain et donc de la vie, d’autre part, les prohibitions que les individus se créent, résultant de tout un processus lié à l’éducation et au contexte familial. Ainsi, si se débarrasser de nos tabous réside avant tout dans le fait de prendre conscience qu’en réalité, ils ne nous appartiennent pas puisque, encore une fois, ils ne sont que des idées, des préjugés empruntés à d’autres histoires, d’un autre temps, d’un autre
ailleurs, animées par d’autres personnages, il s’agit ensuite de se libérer du regard de l’entourage et ne plus se comporter comme un enfant qui redouterait toute réaction extérieure face à ses choix... En ce sens, c’est devenir adulte. Mais surtout, se débarrasser des tabous injustifiés permet la levée des interdits pathologiques et donc la possibilité de s’autoriser ce qui, jusque-là, était
défendu ; ainsi,
détabouiser l’argent revient à se donner la permission d’en gagner,
détabouiser le sexe aboutit à s’accorder la faculté d’accéder au plaisir, voire à l’amour, et, enfin,
détabouiser la mort, c’est pouvoir tout simplement accepter sa vie.
Xavière Santoni