Mélanie travaille depuis maintenant sept ans au service politique d’une grande radio. Elle a largement fait ses preuves auprès de son patron qui, non avare de compliments, ne manque pas de lui adresser régulièrement ses félicitations pour ses qualités professionnelles. Il n’y a donc apparemment aucune raison qui pourrait la faire douter de ses compétences. Et pourtant, elle avoue ne pas se sentir à sa place, étant persuadée de trahir, de faire illusion auprès du monde professionnel, de sa famille et de ses amis. Et pour cause : Mélanie n’a pas suivi un cursus classique. Pas d’école de journalisme ni de sciences politiques pour justifier ses choix. Juste des aptitudes qu’elle ne semble pas prendre en considération…
Nous serions nombreux à être atteints de ce curieux syndrome dit de l’imposteur qui, sans être une maladie, s’infiltre dans les moindres failles de notre narcissisme et pollue notre existence. Peu enclins à l’avouer puisque les résultats probants attestent de notre travail, nous nous laissons aller à quelques confidences hasardeuses au creux d’une oreille compatissante. Traîtres en puissance et dupeurs-nés fantasmés, nous croyons, à tort, manipuler notre entourage aveugle. Même si quelques lueurs de rationalisations viennent heureusement tempérer des pensées lugubres et à terme, quelquefois invalidantes.
Une image tronquée
Il est bien évident que de tels acharnements ne nous destinent pas à améliorer notre quotidien. Il est tellement facile de se laisser envahir par un inconscient coquin qui nous attire dans les profondeurs abyssales d’un terrain paresseux. C’est avec une facilité déconcertante que la vie inconsciente a une propension à accorder à l’autre les responsabilités qui devraient nous incomber. « C’est pas moi, c’est l’autre », dirait la rengaine. Ou encore l’enfant qui, pris en flagrant délit de bêtises, nie l’évidence même de son acte. Consciemment, nous connaissons nos potentialités. Mais notre valeur se trouve alors subitement entachée de quelque ombre fantomatique nous harcelant, provoquant angoisses et doutes infondés. L’imaginaire que nous déclenchons à vitesse grand V nous ouvre maints
scenarii catastrophes où le patron, l’associé, le supérieur qui nous avait tant fait confiance et s’apercevant de son fourvoiement, ne peut que réagir : c’est dans ces moments-là qu’on met en scène notre licenciement, notre mise à mort attendue et « méritée » ! Forcément, cette image nous collait si bien à la peau qu’on se demande comment « ils » ne s’en étaient pas rendu compte plus tôt…
Mauvaise estime de soi ? Sentiment d’infériorité manifeste ?
Le doute constitue le moteur essentiel de toute personne souffrant
du syndrome de l’imposteur. À l’inverse des vrais usurpateurs
qui s’encombrent peu d’un sentiment de culpabilité,
« l’incapable imaginaire » se sent coupable de réussir, plus
encore d’accéder à une gratification méritoire. En effet, et
même si l’interlocuteur lui renvoie une image très positive de
son travail, la seule peur de l’échec le persuade de l’échec. Ces
victimes ne peuvent s’attribuer le moindre projet de réussite et
de puissance car seul l’autre, écran de toute forme de projection,
est habilité à le détenir ! Bien sûr, l’image qu’ils ont
d’eux-mêmes est une image tronquée, négative, comme scindée.
Et ils s’en accommodent du reste fort bien, y trouvant
quelque bénéfice secondaire. Mais alors, pourquoi donc aller
toujours voir du côté de l’obscurité si ce n’est l’autojugement
qui lacère toute lueur optimiste ?
Une gêne notoire
C’est bien la mise en place inconsciente d’une certaine forme
de masochisme, voire d’automutilation psychique, qui nous
entraîne vers des dérives parfois délirantes ; celles-ci nous
empêchent d’optimiser notre entreprise ou d’apprécier pleinement
les lauriers de la gloire. Lorsque les tendances paroxystiques
s’affichent, le quantum d’énergie investi à douter est si
considérable qu’il en demeure une gêne pour toute autre construction.
Il s’agit d’ailleurs souvent d’individus qui s’ignorent
jusque dans leurs capacités réelles et qui sont malheureusement
en inadéquation avec leur vraie personnalité. Centrés sur
un souci de perfection pathologique et un sentiment de supériorité
masqué, ils restent fixés sur un modèle narcissique très
infantile. Ce peut être une admiration sans borne pour un personnage
important comme la mère ou, par exemple, pour un
personnage illustre. Face à une telle figure, il est alors difficile
de faire mieux : « Suis-je à la hauteur de la mission que l’on
m’a confiée ? »… Autrement dit, « Suis-je digne de confiance
? D’être aimé ? »… Lorsque je dois rendre un travail, j’essaie
d’être objectif, dit ce cadre supérieur. C’est vraiment la raison
qui intervient ; je ne « flingue » pas tout de suite ce que j’ai
fait. C’est la comparaison qui nuit à ce que je pense d’abord être qualitatif…
Comment sortir, dès lors que ces mécanismes punitifs ont été
identifiés, de ce cercle infernal ? Se faire confiance implique
aussi de faire confiance à l’autre qui, loin d’être incompétent,
sait percevoir et évaluer nos compétences et qualités. Pour cela,
il n’est pas question de se fixer des objectifs irréalisables en première
intention ! Rappelons qu’il existe le bon doute qui est,
selon les philosophes, une attitude réfléchie, volontaire et critique.
Le doute propose, face à une vérité présentée comme telle,
d’en examiner le bien-fondé afin de ne pas tirer de conclusions
définitives et absolues. Une jolie possibilité pour soi de s’interroger, de s’analyser, de se découvrir, de se comprendre.
Bénédicte Antonin