À l’ère des technologies modernes, le commerce du sexe se diversifie. Outre le minitel et le téléphone rose, Internet est aussi un support très apprécié.
En même temps que la prostitution de rue diminue (semble-t-il), le marché des services sexuels se développe, entre autres offres, dans la conversation mais encore dans la rencontre érotique ou pornographique virtuelle. Le marché du sexe représente un chiffre d’affaires considérable que ce soit sur minitel, téléphone rose ou Internet. Avant l’arrivée d’Internet, les messageries roses sur minitel étaient florissantes. D’après les statistiques, ceux qui ont réussi sur ce support leur doivent leur succès. Mais Internet a signé le déclin de ces messageries là. Aujourd’hui, certaines sociétés spécialisées dans le marché de la conversation érotique au téléphone sont des entreprises qui se veulent pareilles à toute autre. Primes, travail laborieux, hiérarchie, employés déclarés, vie de l’entreprise avec ses heures de pointe (tôt le matin et tard la nuit), en font selon elles des entreprises à part entière. Certaines même se voient cotées en Bourse ! Nouvelles technologies, services modernes de communication sont leurs fers de lance. Elles disent pourtant se plaindre d’une image pesante et vouloir diversifier leurs activités et les services qu’elles proposent. Cependant, elles ne conçoivent pas de renoncer aux ressources considérables du téléphone rose. Même si leur plan de communication d’entreprise tend à minorer les services qu’elles « offrent », lorsqu’ils sont liés au sexe, il n’en demeure pas moins qu’ils restent les plus profitables.
Des relations virtuelles
Ces entreprises recrutent souvent des animatrices par simple annonce dans les journaux gratuits. Ce recrutement se veut similaire à tout autre entretien d’embauche. Elles sont reçues par un chef du personnel. Une formation leur est aussi assurée pour répondre à la clientèle. Ces jeunes femmes généralement sont étudiantes et chichement rétribuées. Elles travaillent seules dans un box, la solitude aidant pour répondre à la clientèle. Ces entreprises se prévalent d’un code qui leur impose de mettre un terme au plus tôt à la communication si la voix du correspondant est trop juvénile. L’accès est strictement refusé aux mineurs. Autre interdiction, les employées n’ont pas le droit d’accepter un rendez-vous qui puisse amener à rencontrer physiquement le client. Toute relation avec la clientèle doit rester virtuelle. Si certaines animatrices sont employées, d’autres travaillent à domicile et disent apprécier grandement. Rien de plus banal, semble-t-il, à entendre une telle présentation... Le commerce du sexe ainsi présenté serait un marché parmi d’autres, sans particularité aucune. Et pourtant…
Le monde du tout et tout de suite
Phénomène de société, les messageries roses et autres rencontres via Internet sont devenues sujet d’étude pour les sociologues. Bien évidemment, tous les services de rencontres sur Internet ne sont pas sexuels. Certains sont fondamentalement et exclusivement conviviaux. Pourtant, souvent la confusion opère dès que l’on parle de messagerie. Dans le domaine de la sexualité, téléphone rose ou Internet, reflets de la société et de ses mœurs, s’inscrivent tout à fait dans le mouvement de notre siècle : consommer au plus vite et au plus pratique. Sans même se déplacer, il est possible en direct, rapidement, de satisfaire son envie sans même avoir à modifier quoi que ce soit au plan de sa journée. Du tout et tout de suite, bien commode
in fine. Du bal populaire aux rayons du supermarché à la pause repas, jusqu’aux réseaux de télécommunication, le lieu de la rencontre se déplace mais la forme aussi se transforme. L’évolution des mœurs, conjointe aux nouvelles technologies, suscite de nouveaux schémas. Internet intéresse plus les consommateurs comme moyen de communication que comme base de données.
Parmi les sites à prédominance sexuelle, certains sont de drague, d’autres de rencontres sympa et plus si affinités, d’autres matrimoniaux, d’autres
hot, d’autres
hard. Ils offrent vidéos, photos ou webcam pour des rencontres coquines sans tabou, précisent-ils ils. Le nom du site détermine d’emblée le type de rencontre recherchée et proposée. Certains sont directs et sans ambiguïté, d’autres plus flous laissent planer un quiproquo possible, manière d’aiguiser la curiosité. Si le client type de la messagerie rose ou du site à prédominance sexuelle est un homme entre 30 et 40 ans, des femmes sont aussi clientes coutumières. Autre particularité de cette clientèle, elle réside en ville. Taille de la ville et fréquentation des sites ou conversations érotiques ou pornographiques sont proportionnelles.
Du rêve éveillé
La conversation érotico-pornographique a ses conventions. Susurrée dans le creux de l’oreille, elle met en œuvre rituels et langage propres à susciter images ou même imageries chez le/la client(e). La voix sexy se veut de préférence rauque. Les onomatopées, cris et exclamations comptent beaucoup car déclenchant l’imaginaire. Tous bruits qui puissent faire penser aux caresses bucco-génitales sont
aussi importants et de fait distillés au client afin de provoquer son plaisir tel qu’il le conçoit. Tout repose sur les pulsions psychosexuelles et sur la capacité qu’a la clientèle à imaginer ; il s’agit de l’attiser. Ce processus agit à l’inconscient, comme pour toute autosatisfaction hallucinatoire qui dénie l’objet réel.
Pour certains, la démarche de la rencontre virtuelle apparaît plus facile que celle de la rencontre physique. S’exprimer via un appareil interposé semble plus accessible, plus simple. Derrière un écran ou un combiné, assuré(e) de l’anonymat, le (la) client(e) ose exprimer son fantasme sans retenue aucune. La présence charnelle du partenaire ne l’aurait pas permis. Comme dans toute communication, émetteur et récepteur sont là mais, bien souvent, dissimulés sous un pseudonyme. Le langage aussi est codé. L’anonymat est garant de ces rencontres libertines, sans risque à l’époque du sida et autres M. S. T. Seule compte la satisfaction imaginée et virtuelle de la clientèle. La conversation érotique à distance ou la visite d’un site sexuel relève du rêve éveillé qui captive la personne et elle seule. Elle n’a d’ailleurs pas d’autre but. Comme toute activité hallucinatoire, elle engendre une compulsion pour retrouver à nouveau l’excitation. Pourtant le surmoi, censeur intérieur, bien qu’il diffère de l’un à l’autre, s’élève contre tout manquement à une morale aux limites elles aussi personnelles. Ainsi, pour contourner une telle interdiction, la pulsion trouve une autre solution : consommer à distance par la voix ou le regard. N’étant pas passé à l’acte, le sujet a obtenu satisfaction sans enfreindre l’interdit mais en jouissant du goût de l’interdit. Il y a tout de même un bémol. Rares sont ceux qui en parlent ouvertement. Tout comme la masturbation suppose une activité solitaire et dissimulée de par les interdits inconscients parentaux, la rencontre virtuelle se veut discrète. L’autre élément du couple ne vit pas toujours aisément cette tendance. Parfois jusqu’à en avoir honte mais aussi jusqu’au doute pernicieux qui s’insinue : pourquoi des conversations érotiques ou visites de sites classés X ? Le partenaire officiel, déstabilisé, se vit exclu, voire trahi. Il ne peut que s’interroger sur la satisfaction que son conjoint n’a pas avec lui, semble-t-il. De fait, si d’autres artifices existent pour susciter la rencontre, ils diffèrent de la rencontre virtuelle en ce qu’elle ne vise pas à se poursuivre dans la réalité. Elle ne piste que la répétition de la satisfaction imaginaire. Les conversations érotiques ou visites de sites à prédominance sexuelle n’ont d’autre but que ce jeu fictif. Rares sont les clients qui souhaitent rencontrer leur correspondant(e) : ce serait signer la mort du fantasme.
Qu’est-ce qu’un tabou ?
En général, une inscription limitative dans une filiation. « Ça ne se fait pas », « Fais attention », « Ça ne se dit pas devant lui »… synthétisent des injonctions qui, si elles ont leur raison d’être dans certains cas, se coupent très vite d’un axe objectif. Ainsi, s’il est normal de rappeler à un petit garçon de trois ans qu’on ne doit pas manger sa viande avec ses doigts, l’est beaucoup moins déjà de critiquer la jeune compagne du fils qui laisse entrevoir un décolleté généreux… Le tabou, paradoxalement, naît bien sûr dans un contexte culturel mais, malheureusement aussi, selon une chaîne terrifiante qui sert le non-dit transgénérationnel. Les tabous tendent à rassurer les moralisateurs mais leurs effets ont soit peu d’impact ou, au contraire, génèrent des conduites d’évitement plus conséquentes. Ils sont donc à manier avec modération.