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La psycho
dans Signes & sens
Trouver la solution à son problème
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Est-ce parce que chacun d’entre nous reste profondément marqué par son passage précoce en institution scolaire ? Est-ce notre héritage judéo-chrétien qui réveille implicitement la trace mnésique de quelque mea culpa ? Ou est-ce l’inconscient qui prend un malin plaisir à résister ? Quoi qu’il en soit et alors que ces trois hypothèses peuvent d’ailleurs aussi n’en former qu’une seule, l’être humain semble plus branché problème que solution et ce, depuis des millénaires...
Il est bien dommage, au fil du temps, de faire ce constat réducteur dans la mesure où l’Homme devient son propre parasite. Freud a démontré que l’individu retire de tout ensemble de situations de blocage un bénéfice fantasmatique. On peut ainsi dire que toute existence recherche l’approximation afin de jouir d’insatisfactions perpétuelles, quotidiennes et récurrentes. Décidément, à vouloir résister à un bon équilibre de vie, l’Homme passe son temps, dans le moins mauvais des cas, à fonctionner sur « trois pattes », ce qui est un comble !
Un mauvais calcul
Si une forme de vérité mathématique existe, pourquoi ne retrouve-t-on pas alors systématiquement chez l’être humain une cohérence logique lorsqu’il se trouve face à des difficultés? La réponse est désarmante : la subjectivité, plus que le rire, est le propre de l’Homme ! Or, alors que l’humanité ne peut avancer que parce qu’elle est à elle seule corpus, de fait, elle ne peut envisager de continuer à fonctionner qu’en produisant un système de pensées qui va rejoindre un autre agglomérat de raisonnements complémentaires ; cependant, l’individu individuel et non encore individué préfère être en rétention d’informations... Histoire de réduire l’autre ! Il s’agit-là d’un mauvais calcul qui consomme une énergie phénoménale qui ne peut que pénaliser celui qui s’amuse inconsciemment - ou consciemment - à diminuer son interlocuteur. À diviser son entourage, on appauvrit ses potentialités intrinsèques et c’est ainsi que s’élaborent ce que nous nommons « problèmes ».
Le processus d’écran
Les psychanalystes, en guidance de cure, sont très souvent interpellés par une mémoire singulière chez l’analysant : celui-ci peut véhiculer des souvenirs sans grande importance, alors que le travail analytique finira par mettre en exergue des éléments refoulés majeurs. Ce mécanisme, objectivable dans nombre de séances analytiques, renforce la compréhension du choix masochiste d’ennuis existentiels, souvent compulsifs. Ainsi, à force de construire des stratégies libidinales pour servir nos conduites sadiques, la solution se trouve inhibée et ce, de plus en plus. Il n’est qu’à regarder autour de soi pour mesurer l’ampleur du phénomène, d’autant que là aussi certains sujets semblent frappés par une fatalité incommensurable. Il faut décidément réaliser qu’occupés que nous sommes à rivaliser avec un tiers, l’important nous échappe insidieusement. Nos possibles dénouements personnels nous fuient. Les évènements négatifs donnent l’impression de s’attirer les uns, les autres. Engloutis progressivement par eux, la raison n’y peut plus rien... en apparence. Il faut savoir d’ailleurs que les scenarii négatifs, glauques, ouvrent une brèche terrifiante : l’individu sombre dans le détail et en oublie l’essentiel.
La conscience intellectuelle
À ce point de compréhension, nulle autre alternative que de transformer nos errances en combativité, voie royale de dépassement d’obstacles. Cependant et comme nous le savons, quitter le détail d’une situation, tout aussi négative soit-elle, n’est pas chose aisée pour l’inconscient. Celui-ci en profite pour noyer le conscient en lui faisant emprunter de véritables labyrinthes. Qui n’a jamais tenté de défaire les mailles emmêlées d’une petite chaîne ? Neuf fois sur dix, par énervement interposé, les nœuds s’additionnent et se surajoutent ! Seuls le calme, l’attention et la concentration, souvent quelque temps après, permettent de comprendre, à la façon des nœuds borroméens de Jacques Lacan, que rien n’était vraiment noué... Mais, si cette forme de vérité analytique demande, bien sûr, de connaître véritablement l’objet de toutes ses difficultés afin d’en faire l’analyse, une mise en garde s’impose malgré tout...
Gaston Bachelard, dès 1937, dans « Le nouvel esprit scientifique », met en lumière cet instrument dialectique de la pensée qui se ferait scientifique, caractéristique pouvant se montrer démoniaque à son sens : « L’esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir », dit-il, « un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant... Scientifiquement, on pense le vrai comme une rectification historique d’une longue erreur, on pense l’expérience comme rectification de l’illusion commune et première ». À la lumière de cette réflexion, nous ne pouvons qu’en déduire que nos calculs mentaux, penchés, rivés sur le passé, nous affaiblissent, nous pervertissent, nous abîment. Notre conscience intellectuelle s’en trouve modifiée. De facto et autrement envisagé, solution rime assurément avec simplification.
La réponse est en soi
Simplifier n’est pas chose facile tant que nous refusons de quitter le leurre d’une quête de la perfection. Un problème n’est jamais que le corollaire inversé d’une quête d’idéal. Quelques exemples vont dans ce sens : un célibat non désiré s’étaye souvent sur des attentes d’un(e) autre idéalisé(e), une stérilité psychique peut découler d’un fantasme de perfection quant à l’enfant tant attendu, une situation de chômage peut être verrouillée à la faveur d’une position sociale très en vue pour séduire un parent, une somatisation - aussi grave soit-elle - peut découler d’une psychorigidité filiale... Ces quelques exemples implicitent qu’il s’agirait de pérenniser une loyauté familiale... pour notre plus grand malheur... On le constate, pourquoi faire simple quand on doit faire compliqué? Pourtant, la solution est bel et bien en nous. Et puisque l’inconscient choisit de faire de savants calculs plus destructeurs les uns que les autres, à nous d’envisager le problème sous un autre angle.
Admettons basiquement et par déduction que nous sommes limités par des croyances. Conditionnés par elles, la peur, la soumission, la résignation sont premières. Adeptes ou non de ce mode de transmission libidinal, nous voici contaminés inconsciemment par des injonctions muettes d’un autre temps. Déconnecté de soi, il devient facile de comprendre que la solution n’affleure pas. Submergé par une intemporalité liée à des fixations parentales antérieures, le problème ne trouve pas d’issue. Regarder en amont de soi rend impossible la résolution de la moindre problématique. Décalés dans le registre espace/temps, le négatif devient insoluble. Le plus probant pour une meilleure objectivation consiste à mettre en miroir des résistances de la vie quotidienne : supposons qu’un jeune médecin, fraîchement diplômé, lui-même petit-fils de médecin, cherche à postuler dans une clinique. Imaginons que toutes ses tentatives pour avoir ce poste échouent. Nous pouvons parier, sans prendre de grands risques, que ce jeune médecin est en confusion totale avec son grand-père, car vivant inconsciemment quarante ans plus tôt, alors que cette clinique précise n’existait pas encore... La logique inconsciente, ce point de fixation, ne permettra pas que le problème se résolve. Le processus résistera tant qu’il n’y aura pas adéquation avec le temps réel. C’est ainsi qu’établir des liens affectifs et/ou sociaux ne peut aboutir favorablement qu’en acceptant de vivre et de traverser la période présente. Cependant, encore faut-il être prêt à s’autonomiser pour quitter des schèmes familiaux qui n’ont plus de raison d’être. Le jeu en vaut la chandelle puisque chaque décennie suggère des solutions adaptées à ce que nous sommes. Nul besoin de pouvoirs exceptionnels pour y accéder. Le problème repose simplement sur une mauvaise interprétation de difficultés transgénérationnelles dont nous héritons malgré nous. À nous de ne plus empiler les souvenirs. Ainsi, pour réviser nos positions et lever nos blocages, re-situons-les véritablement dans notre époque. C’est aussi l’unique moyen de ne pas devenir un problème pour les autres...
Chantal Calatayud
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