D'après les neurophysiologistes, le plaisir est avant tout une sensation physique : lorsque le cerveau reptilien décode un besoin tel que la faim, la soif, le sommeil, l'acte d'amour..., il envoie un signal de détresse sous forme de désir. Le cerveau limbique, qui gère nos automatismes, lui répond en sécrétant des endorphines. La libération d'endorphines a un effet antidépresseur et anxiolytique ; il s'agit de petites molécules ressemblant à l'opium et à ses dérivés, avec la particularité d'être le produit le plus puissant contre la douleur. Le désir ainsi assouvi devient alors plaisir. Ce dernier naît dans le néocortex, siège de l'intelligence et envoie des signaux positifs à notre cerveau limbique. Leur relation est harmonieuse, nos actes sont en accord avec nos pensées.
Le cerveau émotionnel contient de multiples récepteurs pour les endorphines et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il est si sensible à l'opium qui donne immédiatement une sensation de bien-être. Cependant, trop utilisé, une accoutumance se crée. Une dose supplémentaire est alors nécessaire pour que l'effet soit identique. C'est l'inverse qui se passe avec la sécrétion d'endorphines. Plus le mécanisme naturel du plaisir est stimulé, plus il est sensible. Les personnes faisant de l'exercice physique régulièrement tirent plus de plaisir des petites choses de la vie. Lorsqu'on stimule de la sorte le cerveau émotionnel par les voies naturelles, l'activité du système immunitaire est renforcée. Il est à noter que chez les héroïnomanes, les défenses immunitaires s'effondrent. Ainsi sommes-nous capables de rechercher un plaisir qui, au final, provoque plus de mal que de bien.
Un rapport moins anxieux au désir
Pourquoi certains recherchent-ils des satisfactions dangereuses dans la dépendance à la drogue, à l'alcool, au jeu... ? L'environnement ne leur apporte pas le plaisir auquel ils aspirent, répondent en choeur neurobiologistes et psychologues. Pour des raisons neurophysiologiques ou à cause de leur histoire, les toxicomanes sont confrontés à l'ennui et ont besoin de sensations fortes car tous les symptômes de l'anxiété trouvent leur origine dans une activité excessive du système sympathique : bouche sèche, accélération du cœur, suée, tremblement, augmentation de la tension artérielle... Comme les systèmes sympathiques et parasympathiques sont toujours en opposition, plus on stimule le parasympathique plus il se renforce. Les manifestations anxieuses déclinent. Qu'il se drogue, boive ou se dope, l'individu n'aura de cesse de retrouver l'extase ou l'excitation ressentie la première fois. La sensation de manque, qu'il connaît inéluctablement, fait intégralement partie de sa quête du plaisir. Le manque sert à circonscrire l'objet dont il a besoin pour être heureux. C'est dire que le chemin vers des plaisirs moins nocifs passe obligatoirement par l'acquisition d'un rapport moins anxieux au désir. Il est ainsi indispensable de changer d'environnement, d'amis et de façon de penser et donc nécessaire de trouver d'autres manières de jouir de la vie.
La frustration : un apprentissage
Selon Freud, il y aurait des liens étroits entre la recherche du plaisir et l'idée de la mort. Certains ne peuvent les trouver qu'en mourant symboliquement à eux-mêmes. C'est seulement comme cela qu'ils se sentent exister. Le toxicomane jouit quand son
moi s'évanouit sous l'influence de la drogue. Poursuivant ses recherches, Freud va découvrir qu'il existe en nous quelque chose de plus fort que la recherche du plaisir. Il s'agit d'une “ compulsion de répétition ” qui nous amène à revenir toujours sur nos pas, à reproduire infiniment nos actes, même si ceux-ci nous font terriblement souffrir et à remettre indéfiniment nos pas dans nos pas précédents, même si c'est au prix d'une souffrance ! Partant de ce constat, Freud va affirmer qu'il existe en l'Homme une force de destruction qui le pousse à retourner sans cesse en arrière. Il va nommer cette force
pulsion de mort et poser à côté du
principe de plaisir, qui tend à maintenir constant le niveau des tensions, un
principe de nirvana qui vise, lui, à évacuer toute tension. Dans le domaine du plaisir, cette
pulsion de mort permet d'expliquer la recherche du plaisir dans la douleur : le sadisme et le masochisme. La destruction est dirigée contre l'autre puis retournée contre le sujet lui-même. Pourtant, la société d'aujourd'hui nous impose l'idée du plaisir. Nous avons le devoir d'être heureux. En outre, les professionnels de la santé savent à quel point ressentir du plaisir est particulièrement compliqué. Pour vivre harmonieusement, il est impératif de se sentir bien dans sa peau, bien dans son corps, bien dans sa tête. Le plaisir est une affaire personnelle. Il est de mise dans notre rapport à la vie, dans nos rapports aux autres. Vivre pleinement, c'est s'occuper de soi en toute impunité. Chassez donc de votre esprit ce que la pensée judéo-chrétienne vous a enseigné depuis votre plus tendre enfance, à savoir que le plaisir est source d'égarement et de perdition ! Vous dépensez alors une énergie colossale pour vous interdire le plaisir. Vous culpabilisez d'être heureux parce qu'on n'a eu de cesse de vous répéter que
pour vivre heureux, il faut vivre caché,
qu'il faut toujours regarder plus malheureux que soi... Cependant, le plaisir est le pilier d'une existence réfléchie et épanouie. D'ailleurs, pour saisir la naissance du plaisir, il faut revenir à la genèse de notre rapport au plaisir. Le nourrisson recherche le moyen le plus rapide pour apaiser ses tensions. Face aux frustrations extérieures, le principe de réalité s'installe, obligeant le bébé à mettre en place rêves et fantasmes pour calmer son insatisfaction. S'il éprouve une tension persécutrice liée à la faim, pour manifester son manque, il crie et se retrouve presque instantanément comblé par un sein ou un biberon qui semble tout droit
tombé du ciel. Cette première expérience de jouissance totale restera à tout jamais inscrite dans le cerveau. Hélas, le nourrisson ne trouve pas systématiquement satisfaction. C'est ainsi qu'il fait l'apprentissage de la frustration.
La recette est simple !
Freud a montré que la sexualité naît de la bouche. En effet, pendant l'allaitement, le bébé découvre non seulement l'apaisement de sa faim mais aussi une fantastique sensation produite par la succion et le passage du lait chaud dans sa gorge. En l'absence de sa mère et du sein ou du biberon, il va se livrer au suçotement. Cette activité autoérotique qui ne nécessite aucun objet extérieur est donc le premier plaisir psychosexuel. Puis, l'enfant en découvrira un autre lié à l'anus et à la défécation ; il le fera se reproduire en retenant le contenu de ses intestins ; viendra, enfin, le plaisir inhérent à la zone génitale, obtenu notamment par la masturbation. Si pour la psychanalyse, toute tension est synonyme de déplaisir, afin d'évacuer celui-ci, l'Homme met en place une fonction auto-réparatrice, nommée
principe de plaisir. Ce gage de stabilité tend à maintenir constant le niveau d'excitation. En ce qui concerne les pulsions sexuelles, une maturité psychique s'impose. Néanmoins, elles vont de pair avec l'imperfection. En effet, aucun de nos partenaires sexuels, aussi experts soient-ils dans l'art de l'amour, ne nous satisfera. Comme l'imagination est plus puissante que la réalité, nul ne pourra l'assouvir. C'est pour cette raison qu'au sens strict, un fantasme ne doit jamais être assouvi sous peine de grande déception, voire de perturbation psychique. Pour autant, réaliser que l'on prend du plaisir fait avancer dans la connaissance de soi ; il faut donc combattre la déprime ambiante par le plaisir. La recette est simple : pratiquer des activités, choisir ses lieux, développer des sentiments qui le favorisent. Il faut être conscient que le seul être susceptible de nous empêcher d'accueillir le plaisir, c'est nous-même !
Des exercices quotidiens sont utiles.
Qui dit exercices dit entraînement. Hé oui, c'est comme tout, jouir des choses simples s'apprend. Le plaisir de lire, d'écouter de la musique, de rêver, de se promener, de se nourrir, de faire l'amour... Pour qui aime la vie, tout est plaisir ! Mais pour ce faire, quelques règles sont à suivre car, pour qu'il y ait plaisir, aucune entrave ne doit voir le jour : aimez-vous, c'est-à-dire faites la liste de vos qualités, soyez indépendant, vivez le moment présent, soyez curieux, soyez à l'écoute de vos pensées, ne négligez pas votre corps, ne niez pas vos douleurs, osez être quelqu'un d'autre, en conclusion osez être vous. En fait, il ne faut jamais perdre de vue que le plaisir est créatif et épanouissant. Il a une valeur évidente et est totalement légitime. Et, à l'instar de Voltaire, déclarons haut et fort que
la grande affaire et la seule qu'on doive avoir, c'est de vivre heureux !
Sarah Cohen