Le yoga est une discipline spirituelle et corporelle issue d’un système philosophique brahmanique de l’Inde. Il rend tangible l’état parfait dans la contemplation, l’immobilité absolue, l’extase et les pratiques ascétiques. La psychanalyse est une méthode d’investigation psychologique; elle a pour sens de ramener à la conscience les sentiments obscurs ou refoulés ; elle est également procédé d’élucidation des conflits et conduites. Quels rapports ces démarches, plus ou moins rationnelles de l’esprit vers la vérité, peuvent-elles donc bien entretenir ?
Yoga et psychanalyse ont initialement, en commun,
des approches théoriques sur la nature de
l’être humain et une conception pratique pour
lui assurer un mieux être. Discuter avec soin de leurs
liens mutuels et réciproques nécessite la connaissance
soutenue des deux systèmes.
Au plus profond de l’être
Expression quasi exemplaire de l’Inde fondée sur la tradition,
us et coutumes, le yoga a depuis longtemps éveillé de l’attachement en Occident. Sa mise en perspective
avec la psychanalyse s’impose comme une
entreprise périlleuse mais essentielle. Donc inévitable.
Bien avant les énoncés freudiens, la doctrine hindou
avait décelé l’importance du rôle joué par l’inconscient.
Le but majeur de la pratique yoguique est d’affranchir
le sujet des niveaux psychophysiologique et psychopathologique.
Cette expérience supra sensorielle permet à
l’Homme de s’extirper de son histoire personnelle.
Cette pratique ne conduit pas forcément à la délivrance.
Il n’y a donc pas à escompter d’effet magique universel
et systématique. De fait, à chaque instant, le sujet pratiquant
peut être aliéné par le jeu des latences subconscientes
qui fondent l’existence. C’est donc bien dans le
dynamisme propre de l’inconscient que campe l’obstacle
le plus important ; le yogi doit le dépasser en s’élevant
par-dessus.
Lorsqu’il entre en analyse, le sujet s’emploie dans le
miroir symbolique à rendre conscient son inconscient.
Cela revient métaphoriquement à s’éveiller ou se
réveiller, au prix d’une révolution intérieure longue ;
celle-ci s’avère souvent pénible puisqu’incluant le rejet
des fantasmes, des apparences, la révélation d’une
réalité autre parce que vraie et non édulcorée.
L’émergence du désir est la condition de ce lourd tribu à payer. En revanche, le yogi affirme la non nécessité de scruter les pans multiples de l’existence mais de les
mettre sous contrôle à toute fin de maîtrise. Il considère
en effet, de principe, que cet inconscient est susceptible
d’être assujetti par des techniques d’ascèse, de
purification et d’oraison mentale. Dans les deux cas, les
manières d’agir — par associations libres ou par
concentration mentale — font ouvrage au plus profond
de l’être. Le travail analytique se donne pour objet l’intégration
et l’assimilation des souvenirs de la première
enfance. Le travail yoguique, quant à lui, tente d’aller
plus loin encore dans ce flash back puisque, selon la
théorie qui le motive, des existences antérieures au sujet
sont également à explorer.
Des analogies remarquables
Au commencement pour le yoga, comme pour la psychanalyse,
est la souffrance ; cette dernière bride l’épanouissement
de soi avec soi-même mais également avec
autrui. Dans les deux cas, on pourra relever la notion de
passage d’un état inférieur vers un état supérieur. Il ne
faudrait pas pour autant se méprendre : s’il est des analogies
remarquables entre ces deux itinéraires, il serait parfaitement impropre de parler d’identité
commune. Cependant, Jung eût le premier
pour mérite d’avoir établi une série de liens
entre psychanalyse et yoga. Il livra sa fascination
pour le caractère ésotérique de certains
phénomènes psychiques. L’image originelle
archétypique, centre de toutes les énergies, est
l’un des concepts familiers de l’adepte du
yoga ; celui-ci, dans son travail de concentration
mentale, fait volontiers l’expérience d’un
retour à l’état originel et archaïque. La technique
jungienne « d’imagination active » est
d’ailleurs l’une des formes de la méditation
yoga. Celle-ci a un but : la programmation
intentionnelle afin d’exercer une domination
du vécu des sensations inhabituelles. En outre,
la faculté de représenter les objets par la pensée
reste spontanée, sans ligne décrite préalable.
De plus en plus de thérapeutes en viennent, de
nos jours, à moins fortement radicaliser l’écart
entre psychanalyse et yoga. De nombreux analystes
contemporains considèrent que l’objet
de leur pratique est bien plus étendu que la
psyché et ses troubles. On voit ainsi, d’une
manière naturelle et logique, un nombre croissant
de personnes associant, au nom d’une certaine
hygiène de vie, simultanément ou consécutivement,
yoga et psychanalyse. Le recours
à l’analyse par le yogi peut être envisagé
comme un éclairage instructif ; pour le sujet
analysé, le yoga est une méthode complémentaire
au sein de laquelle le corps est généreusement
accueilli avec égards. La rencontre des
deux systèmes atteste de façon significative
que l’Homme ne saurait tout à fait agir ou penser
sans quelques présupposés généraux et
abstraits. Yoga et psychanalyse, par-delà leurs
différences évidentes, se révèlent à l’unisson
dès lors que le sujet pratiquant tente de se libérer
en voulant se rassembler.
Valérie Supervia