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La psycho
dans Signes & sens
« Zadig ou la destinée »
de Voltaire
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La réflexion que François-Marie Arouet, dit Voltaire, suggère tout au long de ce conte philosophique publié en 1747, à travers l’histoire mouvementée de Zadig, n’a rien perdu de sa pertinence. L’humour et la légèreté du style, présents tout au long de l’ouvrage, n’enlèvent rien à la portée initiatique du message transmis. Accepter sa destinée tout en agissant en humaniste, tel est le propos de Zadig, comme lui souffle l’ermite au chapitre XIV : « Il n’y a point de mal dont il ne naisse un bien ». La psychanalyse ne saurait désavouer ce regard lucide mais positif sur l’existence. La « happy end » symbolique encourage d’ailleurs le lecteur à ne jamais baisser les bras, quels que soient les aléas auxquels sa destinée le confronte…
Un chemin vers la sagesse
Voltaire choisit, pour son héros, le nom de Zadig, qui signifie Le juste en hébreu. Zadig est un jeune homme beau, riche et vertueux, à qui tout devrait logiquement réussir. Pourtant, son chemin de vie est jalonné d’obstacles qu’il doit traverser et d’interrogations auxquelles il doit répondre avant d’accéder à la sagesse. Le fil conducteur du conte ? Une remise en question permanente des acquis de l’expérience, pour avancer encore et encore…
Zadig et l’amour
Les premiers écueils rencontrés par Zadig concernent sa vie affective : Sémire, à laquelle il est fiancé, l’abandonne avant le mariage. Quant à Azora, la femme qu’il épouse, elle le trahit. À partir de là, Zadig se méfie des choses de l’amour. Ce qui ne l’empêchera pas d’être finalement comblé par son union avec Astarté, ex-épouse de roi, point d’orgue à son parcours initiatique.
Zadig et la justice
Qu’il est difficile d’être heureux dans cette vie !, soupire Zadig lorsqu’il est confronté injustement à l’emprisonnement. L’épisode se veut être un clin d’œil aux propres déboires de l’auteur qui fut lui-même emprisonné pendant onze mois à la Bastille, par lettre de cachet, pour avoir osé des écrits non conformes à la pensée unique de son époque. Voltaire en profite d’ailleurs pour écrire sa première pièce de théâtre, « Œdipe », version très personnelle du mythe grec, dans laquelle le héros refuse la barbarie des Dieux. Zadig, quant à lui, est libéré par la Providence qui prend la forme d’un perroquet. Un lacanien ne pourrait s’empêcher d’y voir un « Père ok ! », tant la conduite du jeune homme est toujours respectueuse d’une bonne loi… La justice des Hommes, dépourvue de rigueur intellectuelle et professionnelle, est fustigée dans les chapitres intitulés « Le chien et le cheval » et « L’envieux ». Ces erreurs judiciaires, si elles étaient courantes au XVIIIème siècle, n’ont assurément pas disparu de nos sociétés modernes. Pensons à l’affaire d’Outreau, tristement célèbre ! Une raison de plus pour revisiter le sujet à la lumière de la logique voltairienne…
Zadig et les dogmes
Le héros est nourri de la philosophie de Zoroastre, un Sage persan, que Voltaire et d’autres écrivains et philosophes des Lumières ont beaucoup étudiée. Or, un passage du conte pointe un aspect de la doctrine, sujet de discussions sans fin et inutile. Là aussi, on ne peut s’empêcher d’y voir certains débats actuels : Il s’éleva une grande dispute sur une loi de Zoroastre qui défendait de manger du griffon. Comment défendre le griffon, disaient les uns, si cet animal n’existe pas ? Il faut bien qu’il existe, disaient les autres, puisque Zoroastre ne veut pas qu’on en mange. Zadig voulut les accorder en disant : S’il y a des griffons, n’en mangeons point. S’il n’y en a point, nous en mangerons encore moins, et par-là nous obéirons tous à Zoroastre. Allant beaucoup plus loin dans la superstition, « Le bûcher des veuves » (chapitre XI) montre l’horreur de la coutume hindouiste inhumaine qui consistait à ce qu’une veuve ne survive pas à son mari défunt. Avec beaucoup de logique, Zadig explique qu’il ne s’agissait pas de véritable sainteté mais seulement d’une fidélité discutable à se conformer au regard d’autrui. Le fait d’insérer cet épisode a d’ailleurs influencé la dénonciation de cet usage barbare. Par ailleurs, replacé dans le contexte actuel, l’épisode narré dans « Le Souper » (chapitre XII) n’est pas sans rappeler les querelles religieuses, toujours menaçantes. Au moment où les joutes verbales des protagonistes risquent de dégénérer en passages à l’acte violents, Zadig, avec beaucoup de diplomatie et en respectant chaque position, fait comprendre avec succès aux opposés que tous adorent le même Être suprême. Une magistrale leçon de laïcité dont toutes les chapelles devraient s’inspirer…
Zadig et la destinée
Tout au long de ces nombreuses aventures chaotiques, faites d’une alternance de déceptions et de satisfactions, Zadig démontre l’importance de garder son libre arbitre. Même s’il respecte la sagesse de l’ermite qui lui délivre l’enseignement ultime de l’acceptation de l’existence, les trois « mais » de Zadig, dont le dernier reste sans véritable réponse, excluent la soumission passive à une destinée inexorable. Voltaire, fin lettré, s’est appuyé – pour la circonstance et en l’adaptant – sur la XVIIIème sourate du Coran reprenant les concepts bibliques selon lesquels « Les lois de Dieu sont impénétrables ». Tout en acceptant la réalité, Zadig n’abdique pas sa responsabilité et sa dignité d’être humain. Pas question d’être un béni-oui-oui et d’attendre tout de la Providence. Zadig est plutôt un adepte actif de l’évident conseil : Aide-toi et le Ciel t’aidera ! Zadig n’est ni dévot, ni athée, mais un individu qui fait confiance à sa destinée unique. L’histoire ne le dit pas mais peut-être pourra-t-il confier humblement, comme l’a fait Voltaire, alors âgé de 84 ans, à l’issue d’une vie bien remplie : Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition…
Gilbert Roux
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