Avec Mai-68, les mentalités ont changé, notamment en matière d'éducation et de discipline. Dans ce registre et dans la foulée, les conseils de Françoise Dolto ont été plus accessibles par médias interposés. Finie la psychorigidité. Plus que de main de fer dans un gant de velours, plus que de souplesse, il est dorénavant question d'adaptation...
L'enfant - désormais abordé comme une personnalité distincte - est un sujet qui s'entend expliquer calmement les conséquences de ses bêtises mais sans aucune variation du timbre de voix. Le ton, se voulant empathique, devient monocorde et ne lui permet pas d'assimiler les différences comportementales indispensables à acquérir. Ainsi, par la suite, l'adolescent donne-t-il son avis sur les reproches qui lui sont adressés, tout aussi justifiés soient-ils. Les rôles s'inversent ! La permissivité s'infiltre doucement mais sûrement. Les limites protectrices sont le plus souvent gommées. Le problème majeur, c'est que la société est passée brutalement par des extrêmes. Si le respect de l'ordre à la maison s'alliait jusqu'au milieu du 20ème siècle avec la peur et parfois la terreur, le copinage de l'héritier avec ses parents ou le tutoiement des élèves vis-à-vis des enseignants n'a pas donné d'excellents résultats. Il s'agit même d'un euphémisme. Le laxisme tous azimuts s'est engouffré dans cette brèche. Cependant, un retour au respect mutuel commence à s'afficher.
Un gage de protection
De nos jours, la discipline éducative cherche à se frayer un chemin dans un chaos psychologique évident. Le psychopédagogue Philippe Eledjam souligne que la situation est complexe : " Depuis les décennies récentes, les jeunes oscillent entre la certitude qu'ils savent tout et une vulnérabilité déconcertante. ". La majorité, passée brutalement de 21 à 18 ans, a favorisé ce paradoxe car l'entrée dans le monde des adultes perturbe l'inconscient qui sait qu'il perd en parallèle les avantages de la petite enfance...
. Axelle, 22 ans, sans emploi, révèle son angoisse persistante : " Fille unique, mes parents ont toujours tenu à moi comme à la prunelle de leurs yeux ! Ils me passaient tout. Ils faisaient tous mes caprices. Ils m'achetaient quasiment tout ce que je leur demandais. J'étais 'mal élevée' à tous les sens du terme. Je décidais de tout, y compris des menus ! J'abîmais mes vêtements. Je perdais tout. Je n'étais jamais punie mais j'avais droit à de véritables cours de psycho de ma mère qui fantasmait que c'était grâce à ses discours que j'allais me redresser. Mais elle ne comprenait pas que ni mon père ni elle ne m'ayant jamais imposé le moindre interdit, je transgressais pour qu'ils me disent enfin 'Stop' ou 'Non' et ce, sans explication. À 17 ans, je me suis entaillée les veines pour voir si j'existais vraiment... "... Il est certain que la discipline éducative ne convoque pas l'autoritarisme mais elle fait appel à l'autorité nécessaire.
La fermeté bienveillante
Le dictionnaire Larousse donne des définitions complémentaires très intéressantes du verbe " Éduquer " :
. " Former quelqu'un en développant et en épanouissant sa personnalité ".
. " Faire acquérir à quelqu'un les usages de la société ".
Former peut, dans l'inconscient collectif, avoir une résonance péjorative, laissant entendre une notion de formatage. Pour autant, il est du devoir des parents, non seulement de donner l'exemple mais de verbaliser à l'enfant ses possibilités ou ses impossibilités, et les raisons du " feu vert " ou du " feu rouge " :
. Tu peux téléphoner maintenant à Grand-mère car elle a fini sa sieste...
ou
. Tu ne peux pas te baigner avant 4 heures parce que ta digestion n'est pas terminée et que tu pourrais faire un malaise dans l'eau...
Philippe Eledjam précise que ce distinguo est essentiel à transmettre déjà au tout-petit : " En grandissant et parce qu'il aura pris très tôt l'habitude d'intégrer ses capacités et ses incapacités, il va pouvoir affiner ses choix personnels, sans répondre aux diktats parentaux. "...
. Alex, 19 ans, élève de terminale, est haptophobe, c'est-à-dire qu'il redoute d'être touché ou de toucher : " On me dit solitaire mais, en fait, c'est moi qui refuse tout contact avec les autres. Quand j'étais petit, mes parents prétendaient que j'étais surdoué. Je savais qu'ils m'idéalisaient et que ce n'était pas vrai. J'ai redoublé mon CM2. Ils ont raconté à toute la famille que c'était parce que je m'ennuyais à l'école vu mon niveau ! Du coup, ils m'ont fait un cadeau : ma chambre a été refaite de fond en comble et complètement remeublée, avec une énorme bibliothèque. J'ai déchiré tous les livres. Je n'ai pas reçu la claque que j'attendais depuis si longtemps. Je ne faisais pas venir mes copains tellement j'avais honte de ce que mes parents imaginaient de moi. J'étais un enfant-roi. ". Fort heureusement, tout être humain a un potentiel qui ne demande qu'à s'exprimer mais ce potentiel a besoin de permissions et de refus pour se manifester le moment venu : " Un enfant est narcissique par essence. Le simple fait de lui dire systématiquement 'oui' alimente un complexe de toute-puissance qui ne demande qu'à émerger ", explique le Docteur Laurence Pescay, psychanalyste, ajoutant que " l'absence de cadre constitue la voie royale de la régression, avec toutes les conséquences désastreuses qui vont avec l'inexistence de limites. ". Examinée sous cet angle-là, la fermeté éducative représente aussi une forme d'apprentissage de la bienveillance pour soi-même et pour l'entourage. Wilfred Bion, psychiatre, disait du reste que " l'individu est, et a toujours été, membre d'un groupe, même si sa façon d'y appartenir consiste à se comporter comme s'il donnait réalité à l'idée qu'il n'appartient à aucun groupe. ". Un bon sens qu'il est temps de se réapproprier...
Charlotte Leroux