Né à la Chapelle-d’Angillon, non loin de Bourges, dans le département du Cher, le 3 octobre 1886, celui que le monde connaît sous le demi-pseudo d’Alain-Fournier se prénomme en réalité Henri-Alban. On raconte qu’il change ses prénoms pour ne pas être confondu avec un coureur automobile de l’époque. Ses parents exerçant tous deux le métier d’instituteur, le jeune Henri coule des jours très heureux dans le village d’Épineuil-le-Fleuriel. Il est, durant sept ans, l’élève de son père et s’entend merveilleusement bien avec sa sœur Isabelle, de trois ans sa cadette. Le futur écrivain puisera d’ailleurs largement dans les souvenirs de cette période insouciante pour planter le décor géographique de son roman. Évoquant ce temps béni dans une lettre qu’il écrit à ses parents le 20 mars 1905, il confirme ce sentiment : Tout cela, voyez-vous, pour moi c’est le monde entier…
Yvonne de Quiévrecourt, l’amour impossibleDans « Le Grand Meaulnes », Alain-Fournier met en scène un personnage : Yvonne de Galais. Cette jeune fille renvoie à une rencontre réelle que l’écrivain fait le 1er juin 1905. Il est alors âgé de 18 ans, comme le héros de son livre, lorsqu’il croise à la sortie d’une exposition au Grand Palais Yvonne de Quiévrecourt. Alain est fasciné mais l’union est impossible puisque l’élue de son cœur épouse Amédée Brochet, un médecin de marine. Il est intéressant de noter qu’Henri-Alban Fournier avait auparavant émis le désir, auprès de son père, d’être marin pour faire des voyages. Ainsi, quatre ans plus tôt, en 1901, il prépare le concours d’entrée à l’École navale de Brest mais, devant les difficultés, y renonce. Le narrateur du « Grand Meaulnes », François Seurel, également fils d’instituteur, ressemble étrangement à cet adolescent de 15 ans, encore peu téméraire.
La décision de devenir écrivainÀ défaut de vraies aventures, le futur Alain-Fournier choisit de sublimer ses élans héroïques en s’engageant en littérature. Il poursuit des études supérieures de lettres, d’abord au lycée Lakanal à Sceaux, puis au lycée Louis-le-Grand. Un autre grand écrivain, Charles Péguy, suit le même cursus. Pendant sa formation, il se lie d’une profonde amitié avec Jacques Rivière, qui deviendra un brillant homme de lettres et directeur, en 1919, de la Nouvelle Revue Française. Auparavant, dès 1909, Jacques Rivière entre dans la famille en épousant Isabelle, la sœur de son ami. Une longue et passionnante correspondance se met en place entre les deux beaux-frères. Avant d’entreprendre l’œuvre de sa vie, Alain-Fournier écrit un certain nombre de poèmes, de contes et de nouvelles qu’Isabelle et Jacques Rivière publieront à titre posthume sous le titre « Miracles ».
« Le Grand Meaulnes » ou l’adolescence universelleÀ l’issue de son service militaire, Alain-Fournier trouve, en avril 1910, un emploi de rédacteur à Paris-Journal. Il a 24 ans et n’a toujours pas rencontré l’âme sœur malgré une liaison difficile avec Jeanne Bruneau, une jeune modiste originaire de Bourges. En avril 1912, après avoir consommé la rupture, il écrit à Jacques Rivière : J’ai fait tout cela pour me prouver à moi-même que je n’avais pas trouvé l’amour. Il établit cependant une nouvelle relation amoureuse avec Pauline Benda, une actrice dont le nom de scène est « Madame Simone », et se consacre désormais corps et âme à la rédaction du « Grand Meaulnes ». Le roman est définitivement achevé au début de l’année 1913. Publié sous forme de feuilleton dans la Nouvelle Revue Française, il frôle le Prix Goncourt de quelques voix. Le public est conquis, la presse est élogieuse. Le destin veut qu’Alain-Fournier termine sa vie sur les champs de bataille de la Grande Guerre, le 22 septembre 1914. Il entre alors dans la légende, âgé de seulement 27 ans, laissant à la postérité une œuvre qui parle à l’adolescence du monde entier. « Le Grand Meaulnes » est évoqué jusque dans les chansons de variété traitant du sujet. Michel Sardou, avec « Le surveillant Général », chante : En ce temps-là je lisais « Le Grand Meaulnes » et après les lumières, je me faisais plaisir… Je m’inventais un monde rempli de femmes aux cheveux roux, j’ai dit des femmes, pas des jeunes filles… Depuis 1971 jusqu’à nos jours, on compte cinq millions d’exemplaires vendus en livre de poche. Sans oublier les nombreuses traductions dans les points les plus reculés de la planète. Décoré à titre posthume de la Croix de guerre avec palme et fait chevalier de la Légion d’honneur, Alain-Fournier a inspiré de nombreux écrivains, dont Henri Bosco chez qui on retrouve l’esprit du « Grand Meaulnes » au travers de son roman « Le Mas Théotime », écrit en 1947.
Patrick Ferrant
« Le Grand Meaulnes » au cinéma Le succès populaire du roman d’Alain-Fournier a très vite attiré les réalisateurs. En 1929, Alberto Cavalcani, qui vient de tourner « Le capitaine Fracasse », y songe sérieusement. Mais Isabelle Rivière, détentrice des droits, préfère en confier la mise en scène, en 1933, au jeune cinéaste André Barsacq. Pour diverses raisons, le projet ne peut aboutir et c’est seulement en 1965 que Jean-Gabriel Albicocco tourne la première version cinématographique du « Grand Meaulnes », en Sologne. Le film sort en 1967, avec Brigitte Fossey et Jean Blaise comme acteurs principaux. À noter qu’Isabelle Rivière, alors âgée de 75 ans, supervise l’aventure de bout en bout. Une quarantaine d’années plus tard, c’est au tour de Jean-Daniel Verhaeghe de proposer sa version du roman sur le grand écran. Ainsi, en octobre 2006 sort une adaptation du « Grand Meaulnes » qui prend plus de liberté avec le texte du roman, mêlant des éléments biographiques de l’auteur dans le déroulement de l’histoire. La critique est partagée : les puristes ne retrouvent pas la magie imaginative de l’œuvre originale même s’ils apprécient les jeux des comédiens, et notamment la participation de Jean-Pierre Marielle. Quoi qu’il en soit, « Le Grand Meaulnes » continue imperturbablement sa carrière intemporelle, ce qui est le propre d’une œuvre artistique authentique… |
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