Parmi les écrivains du XIXème siècle, François-René, vicomte de Chateaubriand, tient une place essentielle au point qu’il est un véritable maître pour ses illustres successeurs. Victor Hugo, enfant, ne proclame-t-il pas d’ailleurs : « Je veux être Chateaubriand ou rien ! »… Issu d’une vieille famille aristocratique ruinée, celui qui allait devenir le père du romantisme français voit le jour dans une maison située rue des Juifs à Saint-Malo, par une nuit de tempête, le 4 septembre 1768. Il n’y a pas de jour où, écrit-il, rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m’infligea la vie… Un goût précoce pour l’introspectionCadet d’une fratrie de 10 enfants, François-René de Chateaubriand est d’abord mis en nourrice chez sa grand-mère maternelle jusqu’à ce que son père, grâce à ses dons en matière de commerce, réussisse à acheter le château de Combourg et y emménage en 1771. François-René garde de son enfance un goût prononcé pour la rêverie et pour l’introspection, d’autant qu’il décrit ses parents comme peu communicatifs. Son éducation aboutit en 1783 à un brevet de sous-lieutenant, puis il obtient un grade de capitaine. Présenté à la Cour par son frère aîné Jean-Philippe, François-René n’en ressent aucune gloire mais, au contraire, « un dégoût invisible ». Son intérêt se porte plutôt sur la littérature. Nourri des œuvres de Rousseau et de Corneille, il commence à écrire dans l’« Almanach des Muses » dès 1788. Un an plus tard, il assiste avec sa sœur Lucille à la prise de la Bastille qu’il voit d’un bon œil, malgré ses origines aristocratiques… Voyage, exil et réflexionsEn pleine période révolutionnaire, Chateaubriand choisit de s’embarquer pour l’Amérique, pays dans lequel il séjourne durant cinq mois, de juillet à décembre 1791. Le mythe rousseauiste du « bon sauvage » fait alors partie des préoccupations philosophiques de ce jeune militaire, plus attiré par l’écriture que par sa carrière. Mais fidèle à sa filiation, il revient en France et choisit son camp lorsque Louis XVI est arrêté par les révolutionnaires. En 1792, il épouse Céleste de la Vigne-Buisson et rejoint l’armée pour combattre les soldats de la République. Blessé au siège de Thionville, il parvient à se réfugier en Angleterre. Démuni financièrement, Chateaubriand doit sa subsistance à des cours particuliers et à des traductions. Parallèlement, il s’investit dans l’écriture, travaillant la nuit à l’« Essai sur les Révolutions » (1797) qui se fait l’écho de l’ambivalence entre des idées généreuses et une réalité meurtrière. En 1798, il perd sa mère puis sa sœur Julie. Alors qu’il avait jusque-là abandonné la religion de son enfance, il y revient avec ce qui va devenir l’œuvre de sa vie en travaillant sur le projet littéraire du « Génie du Christianisme ». Une position paradoxaleEn mai 1800, Chateaubriand, alors âgé de 32 ans, décide de rentrer en France. Introduit dans les milieux littéraires, il y dirige avec son ami Jean-Pierre Louis de Fontanes le « Mercure de France ». Il publie en 1801 « Atala » et « René » qui sont en fait les deux premiers épisodes du « Génie du Christianisme ». Le succès retentissant fait de l’écrivain le chantre d’un retour au religieux après la période mouvementée de la Révolution. Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul, lui demande, en 1803, de devenir le secrétaire d’ambassade du cardinal Fesh à Rome. Mais Chateaubriand, bien qu’ambitieux, n’est pas homme à se laisser instrumentaliser par le pouvoir en place. Je suis bourbonien par honneur, monarchiste par raison, républicain par goût et par caractère, affirme-t-il, montrant ainsi le paradoxe de sa pensée mais aussi la force de sa personnalité. Ne s’entendant pas avec son supérieur hiérarchique, il n’hésite pas à démissionner et à parcourir le monde, visitant tour à tour la Grèce, l’Asie Mineure, la Palestine et l’Égypte. Un grand séducteurChateaubriand ne cesse de cultiver les paradoxes. Marié à une seule femme sans vraiment en être amoureux, il en séduit beaucoup d’autres. Il est en fait hanté par un idéal féminin qu’il n’atteindra jamais. Dans son roman « René », on retrouve la genèse de cette quête puisqu’on peut y reconnaître sous les traits de la Sylphide sa sœur Lucille, première inspiratrice et compagne de ses rêveries du temps de son enfance. Ses autres égéries se nomment Pauline de Beaumont dont il fréquente régulièrement le Salon, puis Nathalie de Noailles qui inspire « Les aventuriers du dernier Abencérage », Claire de Kersaint qui favorise l’accession de l’écrivain au ministère des Affaires Étrangères, Cordélia de Castellane qu’il appelle la « déesse des voluptés », Hortense Allart, femme de lettres. Mais la favorite de ce grand séducteur reste Juliette Récamier qu’il rencontre en 1817 et qui le restera jusqu’à la fin de sa vie. Céleste, l’épouse officielle, tombe elle-même sous le charme, tant Juliette fait preuve d’une diplomatie à toute épreuve… L’homme politiqueEn 1807, Chateaubriand fait l’acquisition de l’ermitage de la Vallée-aux-Loups, près de Sceaux, un endroit dans lequel il écrit beaucoup mais où il se sent également libre des contingences du siècle. Ce qui ne l’empêche pas de s’opposer efficacement à l’Empire par ses écrits polémiques. La virulente brochure « De Buonaparte et des Bourbons » (1814) fait dire à Louis XVIII que celle-ci fit plus pour la Restauration qu’une armée de cent mille hommes. La renommée de l’écrivain lui ouvre les portes de la politique mais Chateaubriand devient vite l’objet de jalousie. Il est d’abord nommé pair de France, puis ambassadeur et enfin ministre des Affaires Étrangères. Mais sa soif d’indépendance le conforte à quitter de nouveau le pouvoir et à s’inscrire dans l’opposition en soutenant le parti des ultra-royalistes. Il s’assagit cependant avec l’âge et se considère comme un monarchiste modéré, soucieux de la liberté d’expression. Le père du romantismeDe par ses contradictions, ses excès, et surtout par la qualité de son lyrisme littéraire, Chateaubriand est reconnu comme étant le père du romantisme en France. Sa formule « le vague des sentiments » est devenue une référence lorsqu’on aborde le romantisme. Ses descriptions de la nature et son analyse des sentiments du « moi » ont servi de modèle à ses successeurs que sont Hugo, Vigny et Musset. Les « Mémoires d’Outre-Tombe », publiées (contre son gré) sous forme de feuilleton après sa mort en 1848, témoignent de l’entière maîtrise de son art et répondent à elles seules à son désir, l’immortalité. François-René de Chateaubriand, qui écrit dans le « Génie du Christianisme » qu’il faut plaindre les anciens qui n’avaient trouvé dans l’Océan que le palais de Neptune et la grotte de Protée, repose pour l’éternité face à la mer, à Saint-Malo, sur le rocher du Grand Bé.
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