Les langages
de Françoise Dolto
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Françoise Dolto nous a quittés le 25 aout 1988. Comme le temps passe… Pourtant, son oeuvre reste
omniprésente dans la psychanalyse des enfants…
Françoise Marette naît en 1908 dans une
famille de grands bourgeois. Elle y reçoit une éducation étayée sur des principes rigoureux.
Alors qu’elle a douze ans, sa soeur Jacqueline meurt
d’un cancer. Ce drame ébranle l’histoire familiale…
Une vocation
Madame Marette, gravement atteinte par le décès de
sa fille aînée, deuil dont elle ne se remettra pas,
sombre dans un état dépressif majeur. Françoise,
quant à elle, développe une culpabilité alourdie des propos que sa mère lui tient dans sa douleur aveugle
: elle eût préféré que ce fut Françoise qui
meure… La cadette serait responsable pour n’avoir
pas suffisamment prié… Les années passant, la difficulté
à se comprendre devient patente entre mère
et fille, l’avenir devant se limiter pour celle-ci au
mariage, à l’exclusion de tout autre horizon.
Pourtant en 1929, à force de ténacité, Françoise
arrache de sa génitrice la permission d’entreprendre
des études d’infirmière. Puis, avec son frère Philippe, elle commence un cursus de médecine.
Ayant rompu des fiançailles imposées, Françoise est
soumise à des manifestations névrotiques qui l’amènent à une cure psychanalytique à partir de 1934,
avec René Laforgue. En 1938, elle adhère à la
Société Psychanalytique de Paris. Un an plus tard,
elle soutient sa thèse de médecine « Psychanalyse et Pédiatrie ». C’est en 1942 que Françoise et Boris Dolto se marient. Ayant un cabinet en libéral où elle reçoit des adultes, Françoise Dolto assure aussi les consultations dans des institutions pour enfants : la Polyclinique Ney, le Centre Claude Bernard, l’Hôpital Trousseau, le Centre Étienne Marcel. Sa vocation, comme elle le dit elle-même, être médecin d’éducation, est animée du désir de relier le monde de l’adulte et celui de l’enfant par la communication. Figure charismatique et médiatique de la psychanalyse en France, tous s’accordent pour reconnaître – entre autres – à Françoise Dolto une intuition clinique remarquable.
Le bébé est une personne…
De par sa pratique, Françoise Dolto acquiert la certitude
que le bébé est une personne. Par cette approche
innovante, elle affirme la fonction symbolique comme étant déjà à l’oeuvre chez le foetus. Il y a
communication singulière précoce. Le nourrisson
est par essence un être de langage ; bien que ne parlant
pas encore, le bébé écoute et comprend.
L’enfant pourra alors être apaisé par une parole à lui
directement adressée. Une des constantes dans la
relation intersubjective, pour Françoise Dolto,
consiste à parler vrai à l’enfant dès sa naissance.
C’est par le langage que le sens advient. Sans le langage,
les impulsions agressives sont condamnées au
refoulement et ne peuvent qu’émerger de façon tout à fait imprévisible en une décharge agressive. Toute
souffrance « tue », non-dite, entraîne un déplacement
qui prend forme gênante pour l’enfant lui-même
et son entourage. C’est par un comportement
déphasé, décalé, déstabilisé que l’enfant exprime,
sans en avoir conscience, cette souffrance pathologique.
Il s’agit du symptôme à déchiffrer. L’enfant
souffre d’un danger fantasmé. Comprendre ledit
symptôme par la parole qui l’explique lui permettra
de s’en séparer. Cette parole vraie dénoue le symptôme
invalidant ; elle est castration symboligène.
Pour Françoise Dolto, cette castration singulière
constitue une étape nécessaire à l’évolution de l’enfant
; ce peut être, parmi d’autres, la castration
ombilicale, le sevrage, l’apprentissage de la propreté…
L’enfant aura à dépasser une séparation d’avec
la mère. Par-là, il s’inscrit alors dans une dynamique
humanisante ; il renonce à la jouissance immédiate
avec l’objet. Pour autant, la puissance maternelle,
comme la dyade mère-enfant, n’exclut en rien, pour
cette psychanalyste hors pair, que l’enfant se construise
dans la triangulation précoce mère-père enfant.
L’image inconsciente du corps
Clinicienne reconnue, cette grande dame de la psychanalyse,
écoute l’archaïque, soit les singularités
du développement de l’enfant, ce qui l’amène à élaborer
le concept d’image du corps ; cette image est
inconsciente. Selon ses observations, le corps de
l’infans est le lieu de la communication précoce.
Les soins corporels seuls, donnés au nourrisson, ne
suffisent pas. Loin s’en faut. L’enfant se nourrit aussi, et surtout, de relationnel inscrit dans l’intersubjectivité.
C’est de par la relation langagière, instituée par la mère, que l’ensemble soins corporels-langage suscite ces éléments essentiels à l’épanouissement heureux de l’enfant. L’un ne va pas sans l’autre quand il s’agit des conditions de base indispensables à l’évolution spécifique du petit d’Homme dans le cadre d’un bon maternage.
L’enfant acquiert ainsi une représentation, une image de lui-même. Ainsi s’élabore le sentiment de soi, fondement primordial à la construction de son identité. Seulement alors, l’enfant peut au cours de son développement, tout au long des années, atteindre à la séparation symbolique. Celle-ci est garante de son identité et, par suite, de celles des autres qui lui sont proches. La confusion identitaire n’étant pas alimentée, chacun est à sa place dans l’ordre des générations. La relation transférentielle à l’analyste met au jour cette image du corps telle que le jeune patient la donne à voir, par exemple par des dessins.
Tout le travail de la cure est d’en déchiffrer les failles ; elles donnent à voir ce qui a dysfonctionné au cours du processus de structuration du sujet. Là est la source de sa souffrance. Par le travail analytique, il pourra s’en affranchir.
La cause des enfants
Durant de nombreuses années, Françoise Dolto restitue
la clinicienne que l’on sait. Puis, elle se consacre à diffuser ce qu’une expérience aussi riche l’aura amenée à déduire : c’est de la parole symbolique que procède la résolution des conflits psychiques.
Son oeuvre témoigne de sa pratique par les nombreux cas qu’elle y expose. Mais un autre support de diffusion en fait la figure si connue de beaucoup : la radio. Après avoir participé anonymement dès 1967 à une émission où elle répond en direct aux auditeurs, c’est en 1976, dans l’émission « Lorsque l’enfant paraît » sur France Inter, qu’elle acquiert la renommée qui est toujours la sienne. Elle y répondait aux lettres des auditeurs. Elle prend alors sa retraite de psychanalyste, bien que conservant des consultations auprès de certains enfants. Outre de multiples activités dirigées vers le public, comme les émissions, publications ou conférences, elle se consacre aussi à la formation et au contrôle en groupe ou individuel. Mais son activité ne s’arrête pas là puisque quelques années plus tard, en 1979, elle fonde, avec une équipe restreinte, la « Maison Verte », structure d’accueil de la petite enfance dont la valeur n’est plus à démontrer. Nombre de pays ont maintenant leurs Maisons Vertes. Françoise Dolto décède le 25 août 1988. Tout au long de sa vie, celle qui fait figure de référence en matière de petite enfance se consacra ainsi à la cause des enfants.
Fabienne Leblanc