Jacques Lacan
au service du « vrai self »
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Le troisième millénaire sera psychanalytique ou ne sera pas... Voilà bien, à l’instar d’André Malraux, une de ces phrases qu’aurait pu asséner Jacques Lacan, de ces phrases que tout un chacun retient, sans fatalement connaître l’oeuvre – même partielle – de l’auteur...
Il est vrai que pour ce qui est des « Écrits », la chose n’est pas aisée puisque Jacques Lacan avait, d’une part, le souci perpétuel de renvoyer le lecteur à Freud, et que, d’autre part, il « s’autorisait » à bouleverser toute représentation trop symbolique. La limite, que rappelle Jean-Baptiste Fages, est subtilement schématique : Le sujet s’adresse aux objets (autre, petit a) dans une relation imaginaire et construit un moi (aliéné). Ce faisant, il oublie (et doit retrouver) que c’est l’Autre absolu de l’ordre symbolique qui le commande et le constitue. C’est en ce sens que Jacques Lacan gardait le souci permanent d’un relationnel de qualité avec, outre des linguistes bien sûr, des populations sociales philosophiques, scientifiques, artistiques... afin de compléter des compétences mutuelles. Ce type de dialogues ne se révèle donc pas impossible et, de fait, l’image d’un Jacques Lacan provocateur ne tient plus. Bien au contraire, figure maintenant plus familière de la psychanalyse, Lacan, en bon bouc émissaire, a permis à la découverte freudienne de traverser de nombreux obstacles idéologico culturels ! Car, non seulement ce digne héritier a choisi de transmettre cette discipline dérangeante mais encore en a-t-il développé la spécificité, la particularité, à savoir l’écoute de l’inconscient. Grâce à Jacques Lacan, la psychanalyse a passé « la barre qui frappe le Sujet »... Il a d’évidence ouvert le champ possible d’une compréhension du discours, dès l’instant où il a abandonné à d’autres le langage... Lacan s’en explique à l’aide d’exemples parlants, tout comme Rifflet-Lemaire : Par exemple, si un événement copulatoire s’effectue en présence d’un enfant sans que ce dernier ait la maturation biologique suffisante pour le pourvoir de sa signification exacte, il va s’inscrire dans l’inconscient mais dépourvu de signification, il va s’inscrire en lettres, en signifiants purs.
Un éclairage différent
Pour comprendre la place de la linguistique chez Jacques Lacan, il ne faut donc pas perdre de vue qu’un psychanalyste est tout d’abord un professionnel à l’écoute d’un inconscient qu’il traduit. C’est ainsi qu’à son tour l’analysant analysé pourra, en tant qu’autre médiateur, permettre à un autre articulé de s’interroger ; il le pourra car la psychanalyse, permettant de s’adapter, lui a appris à modifier ses comportements en miroir, c’est-à-dire vis-à-vis de lui-même. Ainsi Jacques Lacan a-t-il permis à l’analyse de prendre un virage différent : l’analysant, grâce à lui, est devenu le véritable actant de la cure. Car Jacques Lacan a proposé aux psychanalystes de « faire le mort » (et non pas d’être muets...), c’est-à-dire qu’il a invité toute une profession à « re-fléchir » sur le processus même de la demande du patient, demande qui à elle seule constitue et fabrique du but, donc de la conflictualisation. Lacan s’y oppose (!) en s’y refusant ; il insistera : Tout le monde est d’accord pour dire que je frustre le parleur ; et lui tout le premier, moi aussi. Pourquoi ? Parce qu’il me demande quelque chose. De lui répondre justement. Mais il sait bien que ce ne serait que paroles. Comme il en a de qui il veut. Mais cette demande peut attendre. Ainsi Jacques Lacan apprend-il à différer et à renoncer pour que puisse jaillir, de la frustration, le désir... Il donne un éclairage différent à la cure ; c’est vrai que l’analysant régresse face à ce qu’il croit être de l’indifférence, voire de l’incompétence chez l’analyste ; c’est vrai qu’il y aura moult transferts négatifs car de refus en refus, l’inconscient va découvrir « la parole vide » grâce au silence de l’analyste, identifié alors comme un refus qui n’est jamais que le refus d’être, le manque à être de l’individu qui, jusque-là, croyait ne pouvoir exister que parce qu’il pouvait être détenteur d’un plus, le phallus... L’inconscient va progressivement se préparer à rencontrer son inné grâce à la « parole pleine » de l’analyste : l’interprétation. Celle-ci prend place au point ultime régressif, identifiable par des compulsions de répétition qui traduisent que l’analysant est alors prêt à accueillir « ça » vérité... Il y a, là, du Principe de guérison.
Un art majeur
Jacques Lacan a su mettre en exergue, non seulement la place juste de la psychanalyse car il a su la situer, comme une articulation, au cœur d’une polémique scientifique, toujours actuelle, mais surtout, il a fait, aux futurs analystes, le plus beau des cadeaux en provoquant le désir des désirs à un grand nombre, à savoir que pratiquer le métier de psychanalyste c’est avant tout comprendre, sentir, que cette discipline est un art majeur. Effectivement, tous ces « où, quand, comment, qui, pourquoi », qui vont implicitement solliciter le discours, vont permettre à l’analyste, qui aura écouté, au préalable, en toute « neutralité bienveillante », les propos du patient, de lui restituer une chaîne sans noeud... Le psychanalyste accumule des repères comme autant de signifiants qui constituent le sujet, jusque-là étouffé par lui-même car, comme le précise encore Jean-Baptiste Fages, le sujet n’a pas à sa disposition cette trame secrète. Cet Autre méconnu de la conscience arrange bien le sujet qui résiste à lui-même ; ne voulant rien savoir, il va « béquiller » sa vie avec du savoir qui, insidieusement, développera de l’avoir en lieu de l’être... Mais alors qui était Jacques Lacan? Certes, une valeur sûre en tant que partisan d’un «vrai self», qui offre l’exemple à tout autre d’un nécessaire et protecteur «bas les masques»... Car, Lacan, en bon père, donne de l’espoir. Accessible, il l’est et le restera car il souffre et le dit et c’est parce qu’il le dit qu’il surmonte les obstacles. Balayant ainsi l’épreuve, il coordonne. Lacan, contrairement à une apparence subtilement distillée, n’est pas à envisager comme un naufragé ; effectivement, un naufragé a eu, à un moment ou à un autre, une difficulté d’évaluation liée à trop de certitudes. L’erreur serait d’enfermer Jacques Lacan comme maître à penser ; Lacan était « mettre à douter » ; est-ce à dire que Lacan jouait dans la cour des humbles ? On peut tenter le pari car sa pratique n’a-t-elle pas elle-même relevé le défi en amenant l’analysant à cette seule issue possible : douter pour exister...
Chantal Calatayud