L’ascension spirituelle
de Saint Ignace de Loyola
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Fondateur de l’ordre des Jésuites, Saint Ignace de Loyola est aussi l’auteur des « Exercices spirituels » qui ont influencé pendant plusieurs siècles un grand nombre de chrétiens. Ses écrits, en dehors de leur spiritualité, permettent de mieux comprendre sa personnalité, ses identifications et autres rapports avec ses parents…
Ignace de Loyola naît en Espagne en 1491. Dernier d’une fratrie de 13 enfants, sa mère meurt lorsqu’il a 7 ans. Restant seul avec son père, il noue avec lui une relation forte. Il gardera de cette maman décédée prématurément l’image d’une femme absente, perçue comme passive mais toutefois idéalisée à la manière d’une religieuse fervente. Son géniteur est représenté comme une figure dominatrice et virile. Il influence ainsi le jeune Ignace qui deviendra un jeune courtisan à la recherche de la reconnaissance. Homme séduisant, il se dit prêt à jouer du couteau pour défendre son honneur ! En outre, il apparaît fier de son corps et, en particulier, de sa chevelure dont il prend grand soin, sorte d’identification maternelle. Grièvement blessé à la jambe lors d’une bataille, lui – si satisfait de son physique – restera marqué à jamais par cette blessure qui en fit un éternel boiteux… Durant sa convalescence, il se plonge dans les lectures spirituelles et, notamment, la « Vie de Jésus ».
Le rapport au corps
Ignace de Loyola rêvait d’exploits chevaleresques à la solde d’un seigneur. Il se mettra en fait au service d’un autre Seigneur : le Christ. Durant sa quête spirituelle, alors qu’il prenait jusque-là tant en considération son corps, il se met à le haïr, s’infligeant dans les premiers temps une ascèse stricte. Il refuse de consommer de la viande, s’astreint à ne manger que de l’herbe et s’impose des flagellations ! En avançant dans sa démarche religieuse, il pose un regard différent sur son enveloppe corporelle qu’il considère maintenant comme une sorte de médiateur entre l’humain et le sacré : J’avais l’impression de sentir sensiblement les veines ou les parties de mon corps, écrit-il dans son journal.
Les identifications parentales
Pour la psychanalyse, l’enfant dans son développement psychique s’identifie d’abord à sa mère puis à son père. Ses premières identifications sont le fondement non seulement des rapports avec les parents, mais elles sont aussi déterminantes dans les représentations que se fera l’adulte lors de ses relations, en particulier en ce qui concerne la sexualité. Pour Saint Ignace, la place de la mère et par extension la place de la femme, reste singulière. Si la femme est à l’image de cette mère pieuse et idéalisée, de par cette séparation brutale subie durant l’enfance, il n’aura de cesse de rechercher une fusion avec cette mère trop tôt absente. Cette quête lui semble au final impossible. Il ira tout de même jusqu’à devenir le secrétaire d’un parent de la lignée maternelle. Cet ami était trésorier général de la reine de Castille : Isabelle la Catholique qui lui permit inconsciemment de retrouver le fantasme de sa génitrice. Il se lie ensuite avec la princesse Catilina, sœur de Charles Quint, dont la mère, Jeanne la Folle, la séquestra, lui interdisant ainsi la moindre étreinte. Si aucune femme, dans son apparence, ne peut jouer un rôle contenant, c’est dans son tâtonnement spirituel qu’il trouve enfin une représentation de la mère qui le rassure. Il eut d’ailleurs, dans un sentiment ou s’entremêlent ferveur et anxiété, la vision de Notre-Dame avec le Saint Enfant Jésus. Après cette vision, s’ensuit le refus des choses de la chair, comme si pour réintégrer l’état fusionnel maternel il fallait éviter tout contact physique. Clin d’œil à l’interdit de l’inceste : le retour à la mère devient alors possible puisqu’il peut ouvrir à une nouvelle dimension, la spiritualité. Le fait d’avoir accroché ses habits militaires devant la statue de la Vierge noire symbolise, en quelque sorte, la perte de ce corps impur, métaphore de son père jugé impie. Les représentations de la Vierge noire étant souvent figurées par des Vierges à l’enfant, Saint Ignace pouvait ainsi incorporer les bras protecteurs féminins. Dans ses re-trouvailles avec la mère, nous percevons son questionnement majeur : Principe et fondement : Qui nous a créés ? Pour quel but ?
Les conséquences de la souffrance du Moi
Saint Ignace de Loyola, après son terrible accident, convoite un nouvel idéal dans la mesure où son corps meurtri ne peut plus assumer cette fonction. Ce n’est pas du côté du père que cet idéal va se focaliser car il représente le corps de l’homme en pleine possession de ses moyens. Il se tourne vers son premier objet d’amour : sa mère. Il ira jusqu’à avoir un comportement d’autodestruction, cherchant à supprimer le jeune hidalgo de son passé. Durant cette période, il reste écartelé entre l’image d’un père phallique et autoritaire et une sainte évanescente. C’est vers cette image de pureté qu’il va donc se diriger dans son expérience mystique. Comme le souligne W. Meissner : Sa vie, sous l’influence de la grâce, a profondément marqué sa vie psychique, mais je maintiens que sa vie psychique a eu sa propre influence sur la structure et le contenu de son ascension spirituelle…
Dominique Séjalon