« Des canons, des munitions ? Merci ! Des logis… SVP. » : tel est le titre d'un livre de Le Corbusier en 1938. L'œuvre de cet architecte consiste à unir là où l'Homme a désuni… Charles-Édouard Jeanneret-Gris est né le 6 octobre 1887 en Suisse, de Georges-Edouard Jeanneret, graveur et émailleur de montres et de Marie-Charlotte, Amélie Jeanneret-Perret, musicienne. À la fois architecte, urbaniste, décorateur, peintre et écrivain, celui qui allait prendre la nationalité française en 1930 a laissé en héritage un apport théorique dont l'architecture moderne ne peut faire l'impasse. Première villa à 18 ans !Charles-Edouard est âgé de 13 ans lorsqu'après une scolarité primaire dans sa ville natale de La Chaux-de-Fonds, il entame une formation de graveur ciseleur. Son professeur de dessin, Charles L'Eplattenier, décèle chez son élève des compétences qui l'amènent à lui proposer une inscription à son Cours supérieur de décoration, une annexe de l'École d'Art. C'est ce même professeur qui incite Charles-Edouard à se diriger vers l'architecture. En 1905, à l'âge de 18 ans, en collaboration avec l'architecte René Chappalaz, le futur Le Corbusier réalise sa première villa commandée par Louis Mallet, un membre de la commission de l'École d'Art de La Chaux-de Fonds. Formation et voyagesL'élaboration de l'œuvre de ce talentueux créateur commence avec les différents stages qu'il effectue, ainsi qu'au gré de ses innombrables voyages. En 1909, il se retrouve à Paris comme dessinateur à mi-temps dans l'atelier de l'architecte Auguste Perret, le maître du béton armé. Pure coïncidence que ce patronyme de « Perret » qui est le nom de jeune fille de sa mère ? L'inconscient du jeune homme n'a certainement pas attiré ce maître par hasard, d'autant que dans une correspondance qu'il tient avec sa génitrice, Charles-Édouard confie certaines difficultés relationnelles avec l'architecte… En 1910, il est embauché pour cinq mois chez Peter Behrens à Berlin. En 1911, ce qu'il nomme son voyage d'Orient le conduit à Prague, Vienne, Budapest, Istanbul, Athènes. C'est sur ce dernier site que se précise sa philosophie architecturale. Il réside trois semaines sur le Mont Athos, lieu réputé pour ses moines ascétiques et propice à l'introspection. Puis c'est l'Italie et notamment Pise. Durant ses pérégrinations, il remplit pas moins de six carnets de dessins dont il fera la base de ses futures publications. Car Charles se sent une vocation d'écrivain, à tel point qu'il fera mentionner plus tard sur sa carte d'identité : « Homme de Lettres »… En 1912, il construit dans son village natal une maison pour ses parents, « La villa Jeanneret-Perret », dite la Maison Blanche, symbole de pureté… Une recherche d'harmonieCharles-Édouard a 30 ans lorsqu'il ouvre son premier atelier d'architecture à Paris. Il y jette les bases du purisme qu'il définit dans une revue qu'il crée en 1920 : « L'Esprit Nouveau ». C'est à cette occasion qu'il utilise pour la première fois le pseudonyme de « Le Corbusier ». Ce pseudo est en lien avec le nom d'un ancêtre maternel albigeois du nom de Lecorbésier. Décidément, la branche maternelle semble être pour l'inconscient de l'architecte une source d'inspiration. Si l'on sait qu'un logis est symboliquement un contenant, il est fort à parier que le psychisme de Le Corbusier cherche à sublimer une problématique liée à sa gestation, d'autant que sa fin de vie (noyade au cours d'un bain de mer) semble le confirmer. Sa quête éthique réside pour l'heure dans cet écrit : Les œuvres sont rendues lisibles par des formes simples et dépouillées, organisées en constructions ordonnées, génératrices d'harmonie… L'unité d'habitationNotre société d'après-guerre doit à Le Corbusier le concept de logement collectif. Ce qu'il théorise dès les années 20 en tant qu'« unité d'habitation de grandeur conforme » se réalise lors de la reconstruction de l'après-guerre de 39-45 : Marseille, Briey-en-Forêt, Rézé près de Nantes, Firminy et Berlin voient s'ériger des bâtiments, véritables villages à étages où l'on trouve tous les équipements nécessaires (laverie, garderie et même écoles). C'est, pour les pouvoirs publics, la solution idéale aux problèmes de logement. À Marseille, la Cité radieuse est un parallélépipède sur pilotis composé de 360 logements en duplex. Construite en sept ans (1945-1952) près du Stade Vélodrome, la Cité radieuse est aujourd'hui classée monument historique, attirant une population de cadres et d'intellectuels. Elle est en outre de plus en plus visitée par les touristes. Un idéaliste controversé mais plagié !Le Corbusier a plus d'une corde à son arc. Il est artiste avant tout. Sa réflexion est nourrie par une pratique régulière des arts plastiques. Toute sa vie, il peint, sculpte. De nombreuses expositions en témoignent. Il aime la compagnie des artistes : Amédée Ozenfant, Gustav Klimt, Joseph Savina l'ébéniste qui réalise ses œuvres dessinées, Louis Soutter qu'il soutient jusqu'à l'imposer... Profondément idéaliste, Le Corbusier pensait sincèrement améliorer le sort de l'humanité grâce à une organisation architecturale moderne. Il a suscité par ses concepts novateurs beaucoup d'oppositions en France, son pays d'adoption. Dans d'autres pays, et notamment en Inde où il a effectué de grandes réalisations, il jouit d'une profonde admiration. Même s'il réussit à s'imposer lors des années d'après-guerre, les dérives que sont les tristes cités banlieues d'aujourd'hui, n'ayant pourtant rien à voir avec sa pensée, sont encore là, plus pathétiques les unes que les autres, dans cette société qui prône confort et harmonie... Alors que les « cités radieuses » prenaient en compte l'Homme et n'étaient pas uniquement conçues en tant qu'habitat de reclassement de populations pauvres et sinistrées, l'urbanisme social n'a souvent retenu que le côté pratique, en oubliant qu'un logis doit être garant de l'épanouissement humain. Le 27 août 1965, au cours d'une baignade dans la Méditerranée, Le Corbusier, âgé de 77 ans, rejoint la légende. Ironie du destin ou logique inconsciente ? Le corps de celui qui fut un gigantesque bâtisseur, sorti des eaux par des baigneurs habitués des lieux et qui ne connaissaient pas ce vieux monsieur, est transporté dans une petite… cabane ! Des obsèques officielles sont organisées dans la Cour Carré du Louvre. Le ministre de la culture André Malraux prononce son oraison funèbre, soulignant entre autres que Le Corbusier était avant tout l'artiste qui avait dit : Puissent nos bétons si rudes révéler que, sous eux, nos sensibilités sont fines...
Frédéric Villars |
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