Derrière Hergé, le créateur de la plus célèbre bande
dessinée européenne, se cache Georges Prosper
Rémi, un homme parfois contesté mais qui, par son
art du dessin et son talent narratif, a largement
contribué à hisser la bande dessinée au niveau d’un
genre littéraire à part entière.
Hergé (initiales du patronyme : R-G) est né au début
du XXème siècle à Bruxelles, le 22 mai 1907 précisément,
au sein d’une famille appartenant à la classe
moyenne de la société belge. Les origines de l’auteur
semblent cependant troubles dans la mesure où son
père, Alexis Remi, employé dans une maison de
confection pour enfant, serait né, ainsi que son jumeau,
l’oncle d’Hergé, d’une liaison illégitime entre
une servante, Léonie Dewigne, et un châtelain. Ce
secret de famille a d’ailleurs inspiré au psychanalyste
Serge Tisseron un ouvrage intitulé « Tintin et
le secret d’Hergé ».
« Renard curieux »
George Rémi n’est pas ce que l’on peut appeler un
bon élève, tout au moins jusqu’à l’âge de 13 ans. C’est sur les conseils du patron de son père, Monsieur
Waucquez, que le petit Georges entre au collège
catholique de Saint-Boniface, dirigé par l’abbé
Pierre Fierens. En 1921, il intègre le scoutisme qu’il
considère comme étant un épisode crucial de sa vie.
C’est à cette époque que ses talents de dessinateur
sont d’ailleurs mis en évidence dans les deux revues
que publie l’établissement : «Jamais assez» et «Le
Boy-Scout». Il a reçu parallèlement le nom totémique
de « Renard curieux », anticipation de son
futur héros reporter qui aura effectivement l’art de
mettre son nez partout au cours de ses aventures…
Rédacteur en chef
En 1925, ses études terminées, l’abbé Wathiau propose à Hergé une place d’employé au service des abonnements du journal « Le vingtième siècle », dirigé
par l’autoritaire abbé Norbert Wallez, ultra catholique
et nationaliste. Cet homme d’Église devient
peu à peu le véritable mentor du jeune homme.
Hergé dira plus tard que Wallez avait influencé sa
philosophie, sa personnalité et même sa vie conjugale…
Wallez met beaucoup d’espoir dans les talents
de son jeune protégé. Au point qu’il lui confie
en 1928 le poste de rédacteur en chef lors de la création
du « Petit vingtième », un nouveau supplément
hebdomadaire destiné à la jeunesse. Un an plus tard,
le public y découvre deux personnages qui allaient
devenir de véritables célébrités : « Tintin et Milou » !
Premier album et première épouse
Au fil des publications, Hergé peaufine son style
mais surtout découvre et importe des États-Unis la technique de la bulle qui fait sortir directement les
paroles de la bouche des personnages. Cette technique
est toutefois déjà utilisée en 1925 en France
par Alain Saint-Ogan, le créateur de «Zig et Puce».
Hergé, qui jusque-là se contentait de mettre simplement
des textes en image, décide de créer une véritable
bande dessinée. Ainsi, l’année 1930 voit la
naissance d’un premier album « Tintin, reporter au
pays des Soviets », le thème ayant été fortement induit
par l’abbé Wallez qui voyait là un moyen de
propagande anti-communiste ! Hergé ne maîtrise
donc pas entièrement son acte créatif. L’hebdomadaire
catholique français « Coeur Vaillant » reprend
l’histoire d’Hergé mais en y ajoutant des textes explicatifs.
Ce qui n’est pas du goût de l’auteur. Cependant,
désireux de peaufiner sa méthode, Hergé se
rend à Paris en 1931 pour rencontrer Alain Saint-Ogan et lui demander des conseils. Il l’encourage à
continuer dans cette voie. Sensibilisé par les actualités
relatant les méfaits de la pègre aux Etats-Unis,
le créateur de Tintin convainc l’abbé Wallez de publier « Tintin en Amérique ». Le 20 juillet 1932, il épouse Germaine Kieckens, secrétaire du directeur
du « Vingtième siècle »…
Une rencontre décisive
En 1936, l’album « Le lotus bleu » se révèle être un
tournant dans la vie de l’artiste. Les bénéfices des
6000 exemplaires vendus ne reviennent plus à l’abbé
Wallez puisque Hergé, s’étant adjoint les services
d’un avocat, décide de mener sa carrière de façon
autonome, aussi bien au niveau des idées que de sa
technique artistique. C’est au même moment que sa
rencontre avec un jeune étudiant à l’Académie des
Beaux-Arts, Tchang Tchong-Jen, lui permet de découvrir
l’importance d’une documentation rigoureuse
et d’une culture éclectique. Il va s’intéresser
sérieusement à l’histoire, à la géographie, à la linguistique, à l’art, à la littérature, à la philosophie… Désormais, la bande dessinée devient pour Hergé un
véritable défi culturel. Défi réussi puisqu’aujourd’hui
encore l’oeuvre d’Hergé fait l’objet de
thèses dans les universités.
Une période ambivalente
De 1937 à 1944, Hergé interrompt la réalisation de « Tintin au pays de l’or noir » pour publier le «Crabe
aux pinces d’or» dans le journal « Le soir », seul
hebdomadaire autorisé par l’occupant. Cet épisode
de la vie du dessinateur est sujet à controverse, certains
considérant qu’il a fait preuve ici de collaboration.
Les choses ne sont pas si simples dans la
mesure où Hergé, qui ne cache pas sa sensibilité héritée
d’une éducation conservatrice, se défend en
confiant que son désir était surtout de faire oublier
le quotidien de l’Occupation. Ainsi, de nombreux récits
d’aventures voient le jour : «Le secret de la licorne», «L’Étoile mystérieuse», «Le trésor de
Rackham le Rouge» où apparaît pour la première
fois le professeur Tournesol, personnage inspiré du
physicien suisse Auguste Picard. En 1946, comme
pour lever tout doute au niveau de son éventuel comportement
en période de guerre, Raymond Leblanc,
ancien résistant, fait paraître le premier numéro du
magazine « Tintin », un hebdomadaire créé à l’intention
du jeune public !
La consécration
Dans les années 50, Hergé est mondialement célèbre.
Au point que les lobbies publicitaires s’intéressent à
lui. Tintin est devenu une super star. Il achète un appartement
et crée les Studios Hergé. En 1960, c’est
le cinéma qui lui sourit avec le tournage du « Mystère
de la Toison d’or » et Jean-Pierre Talbot dans le
rôle de Tintin. Le film sera suivi de la production
d’un dessin animé de long métrage à partir de l’album« Le temple du Soleil ». Dans les années 70,
c’est la consécration du monde artistique : en 1979,
Andy Warhol, chef de file du Pop Art, va jusqu’à
réaliser une série de quatre portraits de l’artiste
belge, consacrant de fait l’oeuvre d’Hergé et faisant
définitivement entrer le personnage dans la légende
et l’inconscient collectif. En 1982, le Société belge
d’Astronomie n’hésite pas à donner son nom à une
planète récemment découverte, située entre les planètes
Mars et Vénus (respectivement dieu de la
Guerre et déesse de l’Amour !).
Malgré l’ambivalence du personnage, Hergé reste à
aujourd’hui le créateur qui a donné ses lettres de noblesse à la bande dessinée. Au point qu’en 1989, 6
ans après sa mort survenue le 3 mars 1983, un buste
représentant Georges Rémi dit Hergé, réalisé par le
sculpteur Tchang Tchong-Jen, est inauguré au célèbre
Centre National de la BD à Angoulême.
Miguel Santos