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La psycho
dans Signes & sens
Comment fonctionne la pensée ?
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Qu’est-ce que l’intelligence humaine ? Est-ce une faculté qui émane de l’inconscient ? Et qu’en est-il de l’intelligence des bébés qui, pour Françoise Dolto, culmine vers trois mois ? La conscience langagière ne commence à se structurer que vers trois ans, avec l’acquisition du “ je ” et la formulation des phrases. Toutefois, il existe déjà antérieurement une autre forme de conscience : la conscience prélangagière qui est celle avec laquelle les bébés nous comprennent.
La pensée en images est celle des trois premières années et aussi celle dont n’émergent pas les enfants autistes ; ceux-ci ont un accès rudimentaire au langage. Chez les individus dits normaux, la pensée en images est, au-delà de trois ans, refoulée dans l’inconscient et le fonctionnement onirique. À l’âge adulte, la perception instantanée et globale de la réalité dont bénéficie le bébé n’en persiste pas moins. Généralement, nous ne nous en rendons pas compte car, en se fixant sur le langage, la conscience adulte a tendance à éliminer les autres registres perceptifs.
L’activité mentale originaire
Le sens que nous attribuons aux mots repose, à sa base, sur un phénomène qui est, comme chez le bébé, une saisie globale et spontanée des paroles entendues, qui ne dépend pas du sens précis des mots mais du ton sur lequel on les prononce. Si, par exemple, nous entendons quelqu’un dire d’un autre : “ Il est tout vert et je l’attends avec le plus grand déplaisir ”, c’est le ton qui, seul, nous indique s’il s’agit d’un malade encombrant et désagréable ou d’un individu qui “ est ouvert ” et attendu avec le “ plus grand des plaisir ”.
Chez le nourrisson, cette saisie globale de la réalité perçue est due à une activité psychique de nature empathique ou télépathique, l’activité mentale originaire, qui préexiste à la mise en place des processus primaires et secondaires décrits par Freud. Cette première forme d’activité mentale apparaît, d’une façon plus ou moins spectaculaire, dans toutes les formes d’états altérés ou modifiés de la conscience. C’est celle qui explique que, dans l’hypnose, l’on puisse être mentalement, en même temps, soi-même et celui qui nous hypnotise ; d’une façon plus commune, c’est l’activité psychique à l’œuvre dans l’identification de l’enfant à ses parents et la duplication mentale. Avant qu’il ne parle, la nature télépathique de cette activité permet en effet à l’enfant d’être mentalement, tout à la fois, lui-même et celle ou celui qui le prend en charge. C’est ainsi, en s’identifiant à ses parents, qu’il duplique leurs structures mentales et assimile leur langue sans avoir à l’apprendre ; en revanche, comme cette activité psychique fait qu’il est alors, tour à tour, “ moi-maman ”, “ moi-papa ”, ou “ moi-ma grande sœur ”, l’enfant ne bénéficie pas encore d’une “ psyché individuelle ” semblable à celle de l’adulte ; il dispose d’une psyché de nature communautaire qui est celle de la famille dans laquelle il construit ses propres structures mentales ; tant qu’il dit encore “ moi vouloir ”, il se situe d’ailleurs, lui-même, comme l’un des morceaux de la psyché familiale dans laquelle il se construit. La conscience prélangagière est, de ce fait, beaucoup moins individuelle que la conscience langagière qui, elle, ne commence à se structurer que vers trois ans, lorsque l’enfant est en mesure de dire “ je veux ”.
Le système de représentations
Bien que l’acquisition du langage fasse passer la conscience prélangagière au second plan, celle-ci ne disparaît pas pour autant : c’est elle qui lui donne sa coloration. En effet, si nos structures cérébrales n’associaient pas les paroles et tout un réseau d’images, de sensations et d’odeurs, les mots ne nous présenteraient qu’un univers vide, abstrait et sans saveur. Que les mots soient le véhicule privilégié de l’intelligence et de la pensée ne supprime pas que celles-ci soient aussi constituées d’images et de sensations, qui y sont, plus ou moins consciemment, articulés. L’intelligence implique donc non seulement la conscience langagière mais aussi la conscience prélangagière et la pensée en images qui restent présentes à l’arrière-plan du langage. De plus, au niveau de notre construction mentale, les mots ne sont que l’enveloppe la plus extérieure de l’esprit car, avant que la conscience langagière ne se structure, cette enveloppe est tout d’abord la langue maternelle dans laquelle, en naissant, l’esprit s’incarne.
Comment se structure la mémoire ?
La mémoire se constitue à partir des affects et des émotions qui déterminent la nature agréable ou désagréable des événements vécus. En conséquence, elle est à sa base forcément relationnelle. Telle est aussi la nature de l’esprit qui est tout d’abord une forme de mémoire qui s’exprime à travers un système de représentations principalement constitué de mots, d’images et de sensations. Or, si les sensations nous semblent enracinées dans un espace psychique plus inconscient que les mots, c’est parce que la mémoire qui les gère est plus ancienne. La mémoire des sensations commence à se constituer dès le stade fœtal, alors que la mémoire des images ne se structure qu’à la naissance, à l’ouverture des yeux, et que la mémoires des mots n’entre en fonction que dans la seconde ou troisième année. J’ai ainsi montré, dans “ Les bases de l’existence spirituelle ”, que notre système de représentations est constitué de trois enveloppes de représentations : la peau de sensations, la peau d’images et la peau langagière qui, se construisant l’une après l’autre, s’y superposent d’une façon semblable aux strates cellulaires de notre peau.
Comme toute frontière, la peau est constituée de trois zones ou trois feuillets : l’endoderme qui gère le rapport à l’interne, l’épiderme qui prend en charge le rapport à l’externe et le derme qui est une zone d’échanges entre l’interne et l’externe. La structure de notre système de représentations est à ce niveau semblable : la peau des sensations qui est la couche la plus profonde de notre appareil à sentir, à penser et à communiquer, gère le rapport à l’interne ; elle nous renseigne sur la dimension la plus intime de nous-même. La peau langagière qui est la plus extérieure prend en charge le rapport aux autres et à l’externe ; elle détermine la dimension sociale et collective de notre existence. Et la peau d’images, qui nous situe dans l’espace, établit des liens entre les deux. C’est ainsi que ce processus vaut dans le cas des fantasmes sexuels dont la fonction est justement de permettre aux amants d’associer le registre des sensations qui se constitue chez le tout petit enfant à celui de la parole dans laquelle se déploie l’amour…
Didier Dumas
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