La résilience et moi

     
    C'est un moment insolite, inattendu, parfois difficile de leur existence. Ils ont choisi de témoigner et de nous confier comment ils s'en sont sortis... seuls. Ils nous expliquent aussi ce qui a changé en positif et " pour de bon " dans leur vie à partir de l'obstacle ou de l'épreuve qu'ils ont eu à franchir et à dépasser. Si vous avez connu un épisode de ce type auquel vous n'étiez pas préparé, adressez-nous votre courrier qui sera lu et mis en ligne si son contenu a été sélectionné par la Rédaction...
     

    " La foi est venue me chercher "

    " La foi est venue me chercher "
    ©iStock

     

    Laurence est secrétaire de direction dans une grande compagnie d’assurances. Elle aime son travail mais la pression est telle qu’elle envisage la pratique d’un sport qui lui permettrait d’évacuer ses tensions. Une amie lui parle d’un club de tir. Une réelle révélation pour Laurence…

     

     

    Si les semaines passaient très vite au boulot, j’attendais cependant avec impatience le week-end pour aller tirer. J’étais bien dans cet univers d’hommes. Les plaisanteries se situaient souvent au-dessous de la ceinture mais aucun d’entre eux ne me manquait de respect. Je décompressais et c’est ce qui importait. Il faut dire que, grâce à la compréhension de mon mari, je me rendais à ce club tous les samedis et dimanches matins. Pendant ce temps-là, il s’occupait de notre fils âgé de 7 ans.
    Faire du tir présente, on s’en doute, des obligations. Il faut, notamment, chaque année, passer une visite médicale qui atteste de l’intégrité des facultés mentales du tireur. Une fois ce certificat médical établi et délivré, il doit être présenté et remis au commissariat de sa ville qui renouvelle l’autorisation de la détention d’arme en lien avec le club sportif. C’est ainsi qu’en sortant des locaux de police où je venais d’effectuer le nécessaire pour pouvoir reconduire ma licence, je vois -sur le trottoir- l’enseignante de mon petit garçon. Elle semblait attendre quelqu’un, je la saluai, elle me répondit et m’accosta en me demandant si je n’allais pas dans la direction d’un village voisin. Sa question m’étonna d’autant plus qu’elle savait que j’habitais à l’opposé ! Je répondis par la négative à cette dame, religieuse et institutrice donc, tout en lui formulant que si je pouvais lui rendre service, je le ferais bien volontiers. Elle m’explique alors que sa voiture nécessitant une réparation, elle l’avait déposée chez son garagiste à 10 km de là. C’est donc dans mon véhicule que nous nous rendîmes dans le village désigné. J’étais tout de même intriguée en repensant au fait que ma passagère attendait sur le trottoir lorsque nous nous sommes saluées. Il me semblait ainsi logique d’imaginer qu’un conducteur lui ait fait faux bond. Bien que cette femme ait eu un profil psychorigide, je pris mon courage à deux mains pour lui demander si une personne qui devait la conduire jusqu’à ce garage l’avait oubliée. Pas du tout, me répondit-elle très calmement, sans rien ajouter. Cet embryon de réponse, qui n’en était pas une d’ailleurs à la réflexion, m’avait un peu énervée. Après tout, elle ne s’était pas gênée pour me poser une question quasi incongrue devant le commissariat, je ne voyais pas pourquoi je n’en ferais pas autant. De fait, je lui indiquai, compte tenu de sa réponse, que si je ne m’étais pas trouvée sur son chemin, il aurait peut-être fallu qu’elle parcourt à pied les 10 km. Pas du tout, me rétorqua-t-elle ! Le contexte devenait de plus en plus insolite. Je commençais à avoir l’impression de vivre une histoire de fou (ou de folle). Étant pressée de rentrer chez moi après une journée de travail éreintante, je trouvais maintenant normal que la maîtresse d’école de mon fils me donna une explication enfin cohérente. Quoi qu’il en soit, au point où j’en étais, mon interrogation fut soudaine, franche et directe : et si je ne l’avais pas vue, là, sur le trottoir, et si j’avais fait autre chose ce soir-là que d’aller au commissariat ? La réponse s’imposa entre nous, d’un calme olympien : elle avait prié Dieu pour que quelqu’un l’emmène jusqu’à son véhicule et elle savait que le Seigneur exaucerait sa prière ! Sa foi était telle, si forte, si sincère, que j’entrai dans un mutisme, voire un silence tel que le reste de la route me parut proche de l’ambiance d’un rêve…
    Pourtant, je n’avais pas rêvé. Au moment de ce passage de ma vie, j’étais en pleins doutes quant à une existence divine possible. Issue d’une famille catholique non pratiquante, je fluctuais lorsque le sujet de la foi pouvait être évoqué. Et si mon mari et moi avions décidé de scolariser notre enfant dans un établissement religieux, ce n'était pas pour qu’il reçoive une éducation chrétienne mais, travaillant tous deux beaucoup, nous savions que le problème de l’absentéisme - souvent rencontré dans les établissements laïcs - y serait quasi inexistant. Ceci dit, depuis ce court voyage avec cette religieuse, il ne s’écoulait pas une journée sans que je repense au côté bizarroïde de ce petit évènement. Je m’en défendais avec vigueur mais j’avais malgré tout la conviction qu’il signifiait quelque chose.
    Mon fils passant en cours élémentaire, il m’arrivait désormais assez rarement de croiser son enseignante de cours préparatoire. Pourtant, une nuit, je fus réveillée en sursaut par le cauchemar que j’étais en train de faire : la religieuse était venue me voir au stand de tir, me menaçant avec deux bâtons qu’elle avait cloués en forme de croix, m’ordonnant de ne plus fréquenter ce club. Elle se voulait vengeresse et abattit la croix sur moi... Je me suis assise dans mon lit, en nage, transpirante et tour à tour grelotante… Si j’eus du mal à me calmer, je me disais avec conviction que ce cauchemar idiot n’allait quand même pas me parasiter : depuis quand une religieuse sans expérience pouvait-elle dicter la conduite de vie d’une femme, mère de famille, bosseuse, qui avait juste besoin d’évacuer son stress deux petites matinées hebdomadaires ? Quant à la portée prémonitoire d’un cauchemar, tout d’abord, je n’étais pas psychanalyste et, quant à Freud et ses travaux sur les rêves, s’ils contentaient et convaincaient une partie de la planète, moi je ne jouais pas dans ce type de croyances destinées aux faibles ! Même remarque pour la religion, l’opium du peuple selon Karl Marx… Tout à fait ! À cet instant, ma voix intérieure en profita pour me signaler que lorsque je décidais d’être de mauvaise foi, rien ne m’arrêtait. J’allais en faire les frais !
    À la fin de la matinée de tir, en ce dimanche de printemps, tout le monde était parti, sauf le Président. Nous discutâmes un moment. Il ferma le club et nous prirent chacun notre voiture. La sienne étant beaucoup plus puissante, il me doubla rapidement en me faisant un gentil geste de la main. Deux kilomètres se déroulèrent sans encombre quand soudain, l’horreur : j’eus l’impression de ne plus pouvoir tourner le volant de ma voiture. Fort heureusement, un accotement convenable me permit de me garer sans mettre en danger qui que ce soit. Pas question de rouler dans ces conditions. Le plus simple était de téléphoner à mon mari pour qu’il vienne constater la gravité ou non de la panne. Je cherchai mon portable, je fouillai dans mon sac, je le vidai, je m’énervai, me calmai, refouillai : pas de portable… J’avais dû le faire tomber dans la voiture : je cherchai sous les sièges attentivement. En vain. Je ne me rangeai pas à l’hypothèse de faire du stop. Sûrement pas. D’ailleurs, c’est décommandé. Quand s’imposa à moi l’image de la religieuse sur le trottoir et son récit sur la force de la prière. À contre-cœur (je n’avais guère d’autre choix, encore que…), je me mis à prier (un guide !) pour que je sois dépannée. En revanche, je restai dans ma voiture pour attendre un miracle… L’heure tournait et mon mari pouvait se demander ce que je fabriquais. Cependant, n’était pas là pour me rassurer le fait que restant zen et confiant dans la plupart des cas, il ne devait pas s’inquiéter outre mesure. Il savait en outre que j’avais mon téléphone sur moi et qu’en cas de nécessité, je le préviendrais. Sauf que je l’avais perdu ou oublié à la maison. Cette deuxième option me convenait car je pensais ainsi qu’il se rendrait compte de mon oubli, que j’étais peut-être en danger. Un vrai délire, pensai-je, car j’étais plutôt convaincue maintenant que j’avais bel et bien perdu mon portable. Je commençais à imaginer que j’allais sûrement devoir me résoudre à devenir auto-stoppeuse d’un jour quand une voiture, roulant en sens inverse de la mienne, ralentit pour s’arrêter à mon niveau : je reconnus tout de suite un de mes employeurs dont l’attention fut attirée par la marque et la couleur de ma voiture peu courante. Je lui racontai ma mésaventure mais ne lui avouai pas (ni jamais !) que j’étais là depuis un certain temps à attendre le résultat de ma prière…
    Mon témoignage ne nourrit pas le moindre but d’évangélisation mais il s’agit pour moi de préciser que j’avais reçu des signes depuis longtemps déjà qui m’indiquaient que le tir n’était pas une activité pour moi (une première fois, je m’étais fait dérober mon portefeuille au club et quelques semaines après ce vol, en allant à ma matinée de tir, j’avais échappé de peu à un accident de la circulation). Ceci dit, avec cet épisode de « direction bloquée » et mon recours à la prière, il devenait difficile de ne pas mettre maintenant en miroir la nécessité pour moi de renouer avec la foi et de la nourrir. Une précision encore : le Cabinet d’assurances dans lequel je travaillais se trouve sur une place qui porte le nom d’un saint…

     
     
    Mentions légales  Signesetsens.com ©