L'orthofolie est cette orthodontie qui extrait, déplace et aligne les dents, sans se soucier des conséquences à long terme… L'orthofolie est une médecine de symptôme et non de cause ; avant même de corriger quoi que ce soit, peut-être faudrait-il s'interroger sur les causes des défauts ? Pas plus qu'ils ne sont dus au hasard, ils n'ont une origine exclusivement génétique.
L'implantation des dents n'est que la résultante des forces qui s'appliquent sur elles : forces musculaires, mécaniques, psychiques. L'ensemble de ces forces constitue une sorte de moule ou enveloppe qui conditionne l'implantation des dents ; il y a deux types d'enveloppes : l'une est fonctionnelle (habitudes de respiration, de déglutition, de mastication, etc.), l'autre est psychique (croyances et tendances profondes de la personnalité). Les deux types d'enveloppes sont étroitement liés, les dissocier est impossible… Ainsi, une personne qui avale en poussant avec la pointe de sa langue sur les dents (pulsion linguale) possède-t-elle une enveloppe qui conditionne une implantation des incisives en avant. Si, outre éduquer sa langue, cette personne ne résout pas son problème d'estime de soi, elle n'a aucune chance de conserver un alignement satisfaisant. Un traitement qui se contente de déplacer les dents sans modifier les enveloppes ne résout rien. Les courants de force ramènent inexorablement les dents à leur position initiale, à moins qu'une contention ne les immobilise.
Un capital dentaire amputé
Indépendamment de la non prise en compte de la dimension psychologique qu'il n'est pas de son ressort de traiter, l'erreur fondamentale de l'orthodontie est de considérer la position des dents sans tenir compte de l'environnement musculaire de la bouche et du visage. Évolution révélatrice de la terminologie, l'orthodontie
(étymologie “ dent droit ”) considère la dent seule, alors qu'à ses débuts, le but de l'orthopédie dento-faciale était de prendre en compte l'équilibre de la dent et du visage
(dent et face). Une erreur que le patient paie malheureusement fort cher. La correction orthodontique ne tient pas, le sourire se désaligne. Même si les dents restent droites, la bouche étroite ne cadre pas avec le visage. Le sourire est sans âme, en
barrière de piquet. Les extractions génèrent un profil disgracieux avec un nez trop saillant, des joues creusées et des lèvres rentrées. L'intervention trop tardive a laissé le visage se développer de manière dysharmonieuse, souvent en longueur (expression vide, aspect peu séduisant) ; parfois, le visage tassé, l'étage inférieur est écrasé. Les dents peuvent être abîmées ou tachés par le port des bagues. L'état général sort amoindri du traitement. Le sujet respire mal, sa posture est déviée, ses muscles sont dans un état de tension permanent pour compenser le déséquilibre induit par les dents déplacées. L'articulation des mâchoires et le dos sont dans un état de souffrance déclaré latent. Le système immunitaire est fragilisé. La personne est vouée aux infections chroniques et aux allergies. Le capital dentaire est amputé de quatre à huit dents, la santé des dents est compromise (
caries, déchaussement, rhizalyse). Le patient mal traité (et maltraité) est amené à dépenser des fortunes pour se soigner
(antibiotiques, soins et prothèses dentaires).
Les schémas de dépendance
L'amélioration transitoire du sourire se fait au prix d'une aggravation psychologique insidieuse mais réelle. Non seulement le traitement orthodontique
standard ne règle rien, mais il accentue la problématique, verrouillant peu à peu l'individu dans un schéma de dépendance dont il ne pourra plus sortir. Le procédé orthodontique semble même confiner au machiavélisme, tant ses étapes successives convergent vers un seul et unique résultat : réduire l'expression et l'autonomie de l'individu. En négligeant de prendre en compte les problèmes de déglutition infantiles et de respiration buccale, le traitement entretient la dépendance affective et l'étouffement de la personnalité. Les extractions ciblées aggravent le problème. Elles amputent l'individu de sa capacité de se détacher et de se transformer. L'extraction des dents de sagesse le prive de ses appuis personnels. Si elle a lieu par germectomie, elle lui ôte toute velléité de quitter les parents, coupant l'impulsion qui le pousse à partir avant qu'elle n'ait pu s'exprimer. Ainsi, en lui arrachant les dents qui correspondent à la capacité à grandir
(prémolaire) et à devenir adulte
(dents de sagesse), en lui laissant une bouche de la taille de celle d'un enfant, l'orthodontie envoie à l'individu le message explicite :
Reste petit . Pour clore le processus, la contention de fin de traitement l'enferme dans des limites étroites. Là encore, le message est clair :
Tais-toi, ne bouge pas, reste là où on t'as mis. Ne fais pas de vagues, marche droit. Pas plus que la dépendance, l'étouffement n'est réglé. Bien au contraire. L'un et l'autre aboutissent à une paralysie affective et mentale, véritable sclérose de la personnalité. Au bout du compte, le sujet au départ fragile et immature est devenu un individu stressé, mal dans sa peau, prédisposé aux addictions et dépendances de toutes sortes
(drogues, sucre, cigarette, télévision, ordinateur, psychotrope). Qui fera le rapprochement entre l'orthodontie et l'état de mal être et d'instabilité intérieure ?
Un problème de santé publique
Pratique imposant au corps des modifications profondes, l'orthodontie porte une lourde responsabilité dont elle ne peut se défausser en prétendant agir au seul niveau local. Elle formate bel et bien l'individu en fabricant des dépendants affectifs qui ont de plus en plus de difficultés à s'exprimer librement et à s'assumer seul, un véritable syndrome Tanguy pourrait-on dire. Tanguy est le prototype même de l'adolescent attardé. Il a été popularisé par le cinéaste Etienne Chatillez dans le film du même nom. À près de trente ans, Tanguy s'obstine à rester chez ses parents. Le film raconte comment, sans le vouloir, il pourrit la vie des infortunés géniteurs, partagés entre l'envie de garder leur fils unique à la maison et le besoin légitime de préserver leur intimité. Le problème de Tanguy est d'être un attardé affectif.
À notre insu, l'orthodontie fabrique des moutons, elle favorise l'émergence d'une masse malléable à l'esprit grégaire, prête à suivre et à subir les courants de pensées dominants plutôt qu'à s'affirmer et à se distinguer. Lentement mais sûrement, elle fabrique des esclaves dont le joug, entrave discrète et insidieuse, se porte désormais derrière les dents. Elle fabrique des individus dépendants, influençables, habitués à plier sous des contraintes extérieures, des individus au mental encagé, à la parole figée et muselée par les fils de fer collés à vie sur leurs dents. Un tableau qui donne à réfléchir !
À l'heure où les dépenses de santé ne cessent de s'accroître, la collectivité pourrait s'interroger sur le coût et les incidences énormes d'un traitement d'
orthofolie. Outre le coût primaire du traitement, se pose le problème du coût secondaire, à la fois en matière de dépense de soins
(médecins, dentistes, ostéopathes, kinésithérapeutes, psychiatre) et de santé publique
(arrêt maladie, défaut de productivité, absentéisme). Sans parler des nombreux cas où aucune amélioration ne peut être espérée…
Estelle Vereeck*
*Pour en savoir plus, lire :
“ Orthodontie. Halte au massacre ”
Editions Luigi Castelli.