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Le sport et les loisirs
dans Signes & sens
L’acte sportif…
et les limites
de la préparation mentale
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Que se passe-t-il lorsque le sportif passe la barre, la limite qui peut le faire devenir quelqu'un d'autre ? L'athlète en entretien se lance mais les mots se perdent et sont remplacés par quelques fourre-tout qui se résument souvent par un « difficile à décrire » ou juste un silence comme des points de suspension. Nous essayons d'aller plus loin et deux voies se dessinent.
L'athlète, lors de la compétition, se plie au rituel du comptage. Celui-ci doit être sans équivoque. La science est d'ailleurs appelée à être garante : chronomètre à déclenchement électronique, photo-finish, contrôle par vidéo. Le chiffre, être premier, deuxième... vient recouvrir l'identité du sujet, si ce n'est pas un temps, une hauteur ou une distance. L'inscription symbolique a ses effets. Les mots résonnent : Tu seras « un » homme, mon fils… Le chiffre fait coupure dans la vie du sujet, par l'univoque de sa signification. C'est en ça que toute performance doit être considérée comme un acte : l'acte en coupure qui va changer la personne qui le pose ou qui va la laisser identique, pourrait-on rajouter. Être deuxième, troisième, quatrième... appelle à faire mieux, à convoiter la première place et le désir de s'emballer. Être premier demande du nouveau : une compétition d'un niveau au-dessus, une autre catégorie ou une autre distance. On comprend que lorsque ce n'est pas possible, l'un des seuls recours soit l'argent : on passe ici d'un classement limité, pas de meilleure place que premier, à quelque chose d'infini : toujours plus d'argent ! Sergueï Bubka, en saut à la perche, pourrait sûrement nous en dire quelque chose. Dès lors le désir n'a de limite que l'ennui.
Les sensations
Et le mouvement dans tout ça ? Pour parler de réussite, le sportif décrit une harmonie présente ou pas : le joueur de tennis sent la balle, le grimpeur parle d'unité avec le rocher... Et ces derniers de rechercher ce phénomène, d'y croire, de l'attendre... Redevenir animal, au plus près des sens comme s'il s'agissait d'instincts. À certains moments, le mot plaisir est employé, mais il ne suffit pas ; un temps de suspension, c'est plus que cela, autre chose et on n'est pas loin de « Au-delà du principe de plaisir » de Sigmund Freud ; il y a un dépassement qui doit s'effectuer, un dépassement du corps. Venir frôler une jouissance, intenable parfois, mortifère dans tous les cas mais qu'on a besoin de sentir, qui va parfois jusqu'à faire vomir - l'entraînement du cent dix mètres haies est souvent donné en exemple - ou saigner, fréquent en gymnastique, sans parler de boxe. L'instant « t » de la victoire, ce moment attendu depuis si longtemps, n'est donc pas anodin pour la personne qui s'y confronte. On comprend alors l'angoisse, le stress, de l'athlète qui va rentrer dans le stade ou de la gymnaste qui fait ses premiers pas sur la praticable : ne serait-ce pas ce soupçon de la possibilité de se réduire à son corps pour pouvoir arriver à n'être plus qu'un chiffre. On veut que le corps parle et que la pensée s'arrête, mais cette mise en suspens de cette dernière, d'où peut découler l'exploit sportif, qu'est-ce d'autre si ce n'est le temps de la mise en acte ?
La préparation mentale
Et le préparateur mental d'aider à la déconnexion de la pensée, rendre automatique le geste mais le geste technique décomposé n'est pas la sensation. Il peut aussi rendre probable la victoire grâce à un rituel bien fait. C'est oublier les coordonnées du problème : à la rencontre de l'inconnu, de ce point de Réel, certes l'Imaginaire qui donne consistance au corps est concerné mais le registre du Symbolique ne l'est pas moins. Le sportif est le premier à le dire, il distingue les deux, comme nous venons succinctement de le faire mais il n'arrive pas à les dissocier de la performance. Les paramètres accompagnant de possibles bonnes « sensations » sont parfois étonnants : regard du père ou de l'entraîneur, compétition de trop grande envergure ou de trop petite, etc... Autant de facteurs qui nous renvoient au registre Symbolique, comme à la dimension du singulier, du cas par cas. Le préparateur mental croit pouvoir déjouer le piège du symbolique par la suggestion. Cela peut faire office de cataplasme mais c'est oublier la découverte du déplacement du symptôme, par Freud.
Aller plus loin
L'acte sportif, cet instant de coupure, où est redonnée liberté au corps pour un temps donné, vient marquer ; il est ce point d'indétermination que pose le sportif mais dont il doit aussi se remettre... La dépression post-performance de Bob Beamon, après son saut extraordinaire au J.O. de Mexico en 1968, en est un exemple frappant. Angoisse avant, dépression après, instant qui n'arrive pas comme, ou pas quand, on le voudrait... Autant d'axes à travailler où les points de suspension sont à prendre comme des repères qu'il y a quelque chose à aller y voir, à cerner avec le sujet. Reprendre la définition de l'Acte, telle que la psychanalyse nous la donne, permet de comprendre l'importance de ce point d'indétermination que veut saisir le sportif par son acte. Le travail consiste alors à noter ce qu'il en est du corps dans ce qui ne peut se dire, ce qui se cherche... comme à repérer ce que nous disent les mots de la place que prend le sport et l'événement à venir. Et finalement d'aider le sujet à s'affranchir quelque peu de la détermination symbolique dans lequel il est pris, en mettant un peu d'équivoque face au poids que prennent les mots parfois.
Sacha Dreyfus
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